Avant que François Bayrou ne se roule par terre pour obtenir son hochet de Premier ministre, ce avec le dénouement croquignolesque qu’on sait, on dit que Sébastien Lecornu était le premier choix présidentiel. Jeune, il hésite à devenir moine ou soldat, il entre finalement en sarkozysme à seize ans, avant de réapparaître dans le sillage d’Édouard Philippe et de finalement rallier Emmanuel Macron. Ministre de la Défense depuis le 20 mai 2022, il est plutôt apprécié de l’institution militaire. Réputé affable et courtois, il partage indifféremment la table d’Anne Hidalgo, Vincent Bolloré, François Hollande, Éric Ciotti, Jordan Bardella et même Marine Le Pen. Il y avait l’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, voici maintenant celui qui susurre aux personnalités de gauche comme de droite. Une qualité d’écoute qui devrait lui être bien utile dans les semaines à venir.
Déjà attaqué par son propre camp…
En effet, il est le quatrième à occuper Matignon en seulement un an ; un poste qui n’est manifestement pas de tout repos, depuis la dissolution de l’année dernière. Plus un CDD qu’un CDI, donc. Comme toujours, les critiques les plus acerbes viennent de son propre camp. Le 11 septembre, cités par Le Point, des proches du Château, « jaloux sans doute de son irrésistible ascension, lui font grief de scores catastrophiques dans l’Eure pour Emmanuel Macron à la dernière présidentielle et aux législatives (sur cinq circonscriptions, quatre sont passées au RN). […] Ce n’est quand même pas brillant. » D’autant moins « brillant » que l’Eure est le fief électoral du même Sébastien Lecornu.
Du côté de La France insoumise et du Rassemblement national, la rupture est exigée du gouvernement à venir. Inutile de préciser que les ruptures en question ne sont pas exactement de même nature, même si ces deux formations présentent au moins ceci de commun : ils n’entendent pas participer au gouvernement et sont les plus menaçants en matière de censure. Devant une telle tournure, il est à craindre qu’au bar de la tendresse, Sébastien Lecornu ne soit pas près de se voir remettre sa tournée.
Le PS et les LR partis à la chasse au dahu…
Du côté du Parti socialiste et des Républicains, la situation est déjà plus complexe. Ces deux partis voudraient aussi chacun leur rupture ; augmenter les impôts à gauche et faire de même des effectifs policiers à droite, si l’on résume. Mais tout en espérant intégrer l’exécutif. La chasse au dahu, en quelque sorte. Une configuration pour eux éminemment complexe, sachant PS et LR pèsent de moins en moins dans les urnes et se trouvent inquiétés, en matière de radicalité, l’un par LFI et l’autre par le RN.
Dans le scénario échafaudé par les brillants esprits élyséens, les deux auraient vocation à rejoindre le bloc central. Mais ce qui valait du temps de la splendeur macronienne, au début de son premier quinquennat, ne signifie plus grand-chose aujourd’hui, le Président nageant depuis longtemps au fond des abysses sondagières. Ces gens-là ne sont déjà pas très bien portants, mais ne peuvent décemment s’offrir le luxe de sacrifier le peu qu’il leur reste de crédibilité en prenant le risque d’être engloutis dans un naufrage politique annoncé. Ce qui équivaudrait pour eux à faire du saut à l’élastique sans élastique, exercice des plus périlleux, comme chacun sait.
Des popularités en trompe-l’œil…
Côté socialiste, Mathieu Gallard, directeur d’études chez Ipsos, assure néanmoins, dans Le Figaro de ce 13 septembre, qu’en cas de dissolution et d’élections législatives anticipées, le PS et ses alliés écologistes et communistes pourraient espérer entre 16 % et 19 % des suffrages, contre 9 % à 11 % pour LFI. Ce qui assurerait une domination socialiste au sein de la gauche, le PS étant encore fort d’un réseau d’édiles enracinés. Mieux, il pourrait même passer devant le bloc central (Renaissance, MoDem et Horizons), mais derrière le RN dont il fera alors figure de principal opposant. Effectivement, c’est tentant. Mais ne doit néanmoins pas faire oublier que la cote de popularité des deux principales figures du parti à la rose ne donne pas forcément envie de danser la polka.
Ainsi, dans le baromètre du Point du 11 septembre, de l’institut Cluster 17 (dont la spécificité consiste à découpler la popularité et de telle ou telle personnalité politique et le soutien réel dont il peut bénéficier), Raphaël Glucksmann, le sémillant patron du club Place publique, pointe-t-il à la dixième place du classement avec 23 % d’opinions favorables, mais ne recueille que 7 % de soutien. Quant à Olivier Faure, premier secrétaire du PS, c’est pire encore : 24e sur trente personnalités sondées, avec 16 % de d’opinions favorables et… 0 % de soutien. Pas de quoi non plus danser la java.
Côté Républicains, l’avenir semble moins rose, si l’on peut dire en la circonstance. Car eux, ce n’est pas un LFI à 10 % qui hante leurs nuits, mais un RN évalué entre 30 % et 35 % des voix en cas de scrutin législatif précipité. Pour tout arranger, Bruno Retailleau, leur président, ne doit sa popularité qu’à son poste de ministre de l’Intérieur, là où il dit beaucoup, mais fait finalement assez peu. Une popularité d’autant plus relative que, toujours selon le même sondage, si le Vendéen le place en troisième position du podium, avec 35 % de bonnes opinions ; son soutien, lui, plafonne à 13 %. Il lui faudra donc attendre un autre jour pour danser la lambada.
La revanche d’Éric Ciotti…
Ce que confirme d’ailleurs Éric Ciotti, à l’occasion d’un entretien accordé ce 10 septembre à Valeurs actuelles : « Je reconnais à Bruno Retailleau la constance de ses convictions, mais il a commis une erreur majeure, comme tous les dirigeants des Républicains, en refusant de me suivre pour bâtir l’union des droites et préparer l’alternance. Il est devenu l’otage du macronisme. » Bien vu. Quant à Laurent Wauquiez, prêt à laisser sa chance à un éventuel gouvernement socialiste, le nouvel allié du RN est plus sévère encore : « Les bras m’en sont tombés. Depuis des mois, j’avais annoncé qu’en basculant dans l’orbite du macronisme, LR se condamnait à dériver vers la gauche. » Et le coup de grâce : « Finalement, les alliances de la honte avec La France insoumise et le Parti communiste aux précédentes élections législatives pavaient le chemin de la trahison de l’état-major des Républicains. »
Après, deux solutions : la dissolution ou la démission, l’une pouvant éventuellement entraîner l’autre. La dissolution ? Emmanuel Macron ne devrait s’y résoudre que le dos au mur ; si, par exemple, le gouvernement de Sébastien Lecornu tombait bientôt. Une hypothèse qui n’est pas forcément à exclure. La démission ? Notre homme s’aime à l’évidence trop pour y songer un seul instant.
Pourtant, d’autres voix s’élèvent, et pas que celles de Marine Le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon, pour pousser le premier des Français à une telle extrémité : Thierry Breton, Valérie Pécresse ou Jean-François Copé, qui ne sont pas tout à fait des excités.
Comme dans les séries, la suite au prochain, épisode. Sauf qu’avec Emmanuel Macron, ça sentirait plutôt les fins de série ; un peu comme les soldes d’avant Noël.





