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Réflexion autour d’une dépossession. Le XVIIe siècle, de Malherbe à la naissance de l’Académie française (3/3)

Si la Renaissance a permis un renouvellement de l’inspiration littéraire grâce, en partie, au travail des poètes de la Pléiade, les guerres de Religion qui secouent la fin du XVIe siècle vont envahir peu à peu la littérature et il faudra attendre Henri IV pour que l’équilibre de la France politique permette à des auteurs comme Malherbe et Boileau de mettre de l’ordre dans les lettres et qu’éclose l’institution qui lutte encore aujourd’hui à la défense de la langue française : l’Académie française. Auditrice de la promotion Dante de l’Institut Iliade, Marion du Faouët enseigne le français dans le secondaire. Dernier volet de notre série.

La Renaissance aura enseigné à la France le culte de la beauté plastique et, en faisant de l’imitation le principe fondamental de toute œuvre littéraire, elle aura ainsi rendu possible l’éclosion de la pensée classique, subtil équilibre entre la sagesse humaine et chrétienne. Elle aura aussi détourné l’écrivain du peuple, lui donnant une pensée trop universaliste au détriment des préoccupations nationales. Richelieu, avec la création de l’Académie Française, tâchera d’y remédier.

La Renaissance s’ouvre sur une révolution technologique dans le monde littéraire : le développement des maisons d’imprimerie. On connait bien évidemment Gutenberg, mais, dès le XVIe siècle, les imprimeurs sont légion dans les grandes villes européennes : d’abord présents sur les terres du Saint-Empire romain germanique, ils essaiment en Italie, appelés par le pape pour éditer les textes de Cicéron. Vient ensuite la France où l’imprimerie s’installe directement dans un lieu symbolique : la Sorbonne, puis ce sera la Hollande et la péninsule Ibérique. Le développement européen de ces ateliers d’imprimerie répond à un besoin de plus en plus pressant : les copistes ne parviennent plus à répondre à la demande toujours plus croissante d’ouvrages, qui tendent à se diversifier, exigés par un monde de lettrés de plus en plus important. Cette technologie nouvelle ouvre dès lors une réflexion sur la langue et sur l’orthographe : la copie uniforme d’un même texte ne nécessitera plus le travail de plusieurs correcteurs et l’on s’attachera à fixer une bonne fois pour toutes l’orthographe des mots.

Enfin Malherbe vint, et, le premier en France

Ainsi le XVIIe siècle voit le jour sur des besoins nouveaux : de discipline, d’ordre social, de raison et d’un sentiment religieux et national. La première partie du siècle voit la formation d’un idéal classique qui s’exprimera pleinement dès 1660.

Mais elle était du monde, où les plus belles choses
Ont le pire destin ;
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L’espace d’un matin.

Qui ne connaît ces vers de Malherbe dont la légende raconte que, dans la première version, le poète avait écrit « Rosette a vécu… », et l’imprimeur de lire trop vite et d’imprimer « Rose, elle a vécu… » ? L’auteur aurait été frappé par l’harmonie nouvelle du vers, créée par cette erreur. Peu nous importe ici de démêler la légende de la réalité historique, l’anecdote ayant marqué des générations d’élèves depuis lors. Si Malherbe est connu pour ces vers tirés de la Consolation à Monsieur du Périer, il ne faut pas oublier qu’il fut avant tout un réformateur clairvoyant et rigoureux de la langue française, qui poursuivit, en l’élaguant, l’œuvre entamée par les poètes de la Pléiade. L’œuvre de Malherbe n’est pas, à proprement parler, remarquable. Poète peu inspiré, l’on juge ses vers secs et froids. Mais la critique est aisée, tant il s’éloigne de la pédanterie de ses prédécesseurs. L’apparente simplicité de sa poésie est la marque d’un homme qui voit la poésie comme un véritable ouvrage, à l’image de Boileau qui dira plus tard dans une stance devenue célèbre :

« Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage

Travaillez-le sans cesse et le retravaillez »

Le culte du mot juste

Loin de l’image du poète-vate proposé par Ronsard, Malherbe se voit comme un artisan du verbe qui doit agir avec les mots à la manière d’un orfèvre. Toute son œuvre est ainsi caractérisée par un souci d’harmonie qui fera de lui un précurseur du mouvement classique. Pour Malherbe, la poésie est œuvre de raison. Elle rencontre chez lui l’éloquence et se doit de rendre l’idée abstraite saisissante, en la réalisant sous la forme d’un tableau concret. Il a ainsi le culte du mot juste qui nous manque tant aujourd’hui.

Dès lors, s’il accepte le principe rendu fondamental par Ronsard de l’imitation des Anciens, Malherbe n’hésite pas à s’opposer au poète sur la question de la langue. Ronsard, rappelons-le, souhaitait faire de la langue française une langue nationale composite, où tous les dialectes régionaux seraient admis. Malherbe affirme la préséance de la « langue de Paris », celle que le peuple de Paris, les crocheteurs du Port-au-foin, pourrait comprendre. En matière de versification, Malherbe s’impose encore, réglant les lois de la césure et de la rime, contribuant, dans la continuité des auteurs de la Pléiade, à forger un art poétique à la française. Il apparaît comme un écrivain vraiment français par sa clarté, le parfait équilibre de ses vers et la solidité de sa langue. Déniant d’avance toute critique, il rendit sa réforme absolue et Boileau la résumera ainsi :

« Il réduisit la Muse aux règles du devoir »

Le bon usage

Parlant de la langue française et de son évolution, l’on ne peut faire l’impasse sur un homme dont l’œuvre influencera toute la pensée du XVIIe siècle. Baron de Pérouges, Claude Favre de Vaugelas publie en 1647 ses Remarques sur la langue française, dictionnaire du bon usage pour parler et écrire en français. C’est à lui, après Marot, que les écoliers doivent quelques sueurs froides lorsqu’ils abordent l’épineuse question de l’accord des participes passés… L’influence de Vaugelas sera immense : on dit à l’envi à cette époque que pour parler français, il faut parler Vaugelas. Grâce à son dictionnaire, la langue, jusqu’alors flottante, est fixée par des lois précises fondée sur un principe simple : celui du bon usage. Il l’exprime dans sa préface en ces termes :

« Voici donc comme on définit le bon Usage : c’est la façon de parler de la plus saine partie de la Cour, conformément à la façon d’écrire de la plus saine partie des Auteurs du temps. »

Ainsi la langue parlée doit se soumettre à la langue écrite et trouve son origine à la cour, c’est-à-dire au plus près du prince qui dirige le pays. Il s’agit de viser toujours la pureté de la langue, en évitant, selon les mots de l’auteur, un trop long séjour dans les provinces qui risquerait de contaminer le langage parlé, et partant écrit. Vaugelas a conscience que la défense d’une langue ne peut passer que par une prise de conscience : il faut en tout viser l’excellence, au risque de tomber dans la vulgarité. Cette préséance de la langue écrite sur la langue parlée déterminera la grammaire française, et il faudra attendre des grammairiens comme Jacques Derrida pour inverser le principe, participant de ce fait à la déconstruction de la langue et de la civilisation française.

L’Académie, écrin du français

Pour parfaire le tableau de la langue française du XVIIe siècle, il nous faut désormais évoquer la création de l’Académie française et Valentin Conrart. Ce calviniste, issu d’une famille de négociants, accueille dans son salon des hommes de lettres, pour y parler librement des ouvrages nouveaux et lire leurs propres productions. C’est François de Boisrobert, ami de Conrart mais aussi de Richelieu, qui informe ce dernier de ce salon atypique et si riche. Le cardinal, passionné d’organisation, propose alors à ces écrivains de devenir un corps régulier, officiel, soutenu par le pouvoir royal. D’abord hésitants, les auteurs finissent par accepter et l’Académie française naît en 1633 autour de quarante « immortels ». Poursuivant les travaux de Vaugelas, l’Académie tient pour premier but celui de composer un dictionnaire, une grammaire, une rhétorique et une poétique de la langue française que l’on aura bien évidemment nettoyée de ses imperfections. Il faudra attendre 1694 pour que paraisse son premier Dictionnaire qui se veut être un dictionnaire des mots et non des choses, informant de la nature grammaticale du mot, de son orthographe, de ses significations et acceptions. L’enjeu est important, voire primordial : la langue française devient un outil du pouvoir royal, cherchant à unifier le pays autour d’un socle commun. Ce n’est pas par hasard si le cardinal de Richelieu lui-même est nommé « chef et protecteur » de cette toute jeune académie dont le rôle est de donner à la France :

« Une des plus glorieuses marques de la félicité d’un État [] : les sciences et les arts y fleurissent  [] , les lettres y fussent en honneur aussi bien que les armes. »

Civilisation de la langue, langue de la civilisation

Les Académiciens se veulent des phares dans la tempête de l’évolution linguistique. Ils ont à cœur, dès leurs premiers travaux, de maintenir leur double attachement à l’usage et à la norme. Le 15 octobre 1998, Hector Bianciotti résuma le but de l’Académie française, lors de son discours prononcé à l’occasion de la visite de Carlos Menem, président argentin de l’époque :

« Monsieur le Président, ici, nous sommes au sein de l’Académie fondée par le Cardinal de Richelieu ; dans cette enceinte, nous avons tous le même âge : trois cent soixante-trois ans.

Paul Valéry, notre confrère, observait que, quoique pourvue d’une charte qui lui assigne le devoir d’examiner et de noter les états successifs de la langue, l’Académie ne se réduit pas à une société qui renouvelle le dictionnaire ; et que “la singularité de l’Académie est d’être indéfinissable”.

Mais c’est bien dans cette salle que nous nous réunissons le jeudi, pour travailler à l’œuvre commune du dictionnaire.

C’est notre métier, notre mission : veiller aux nuances que l’usage introduit dans les mots ; accueillir ceux que la science, la technique, les découvertes… ont rendus indispensables ; écarter les mots et les tournures que l’on devine éphémères…

Cette vigilance méticuleuse, qui peut paraître infime en regard des affaires du monde et de leur urgence, est le fruit de notre foi dans le pouvoir des mots, ces mots qui ont forgé une grande littérature, une grande culture. C’est cette foi qui nous pousse à préserver la langue… pour sauver la civilisation : c’est toujours la langue qui rend le passé au présent et relie celui-ci à l’avenir. »

Faire langue, c’est faire peuple

Encore aujourd’hui, les mots de ces immortels résonnent dans nos cœurs. L’actualité des derniers mois en atteste bien. Comment oublier les dires des médias à propos des déclarations de l’Académie sur le genre de la Covid-19 ? Il est intéressant de noter qu’à l’image de la grande réforme de l’orthographe de 1990, la position de l’Académie française reste toujours peu ou prou la même en ces affaires : les sages ne sont pas là pour forcer les règles et imposer de nouvelles normes, mais doivent faire état d’un usage (pour reprendre le principe de Vaugelas) bon ou mauvais des mots, sans servir des intérêts particuliers mais bien ceux du pays.

En janvier 2020, une commission de six académiciens publie ainsi un rapport s’inquiétant de l’évolution de la langue française abreuvée à plus soif par des anglicismes toujours plus présents. Les sages constatent ainsi une « évolution sensible et préoccupante de la langue française que l’on constate dans l’ensemble de la communication institutionnelle ». Forts de leur conscience que la langue est le ferment d’un peuple, ils pointent un écueil important auquel nous sommes confrontés : lorsqu’un peuple ne parvient plus à utiliser sa propre langue au sein de ses institutions, un sentiment d’appartenance nationale est-il possible ?

Réflexion autour d’une dépossession. La défense de la langue française, un combat inutile ? (1/3)

Réflexion autour d’une dépossession. Ronsard et du Bellay, d’une rencontre hasardeuse à la défense de la langue française (2/3)

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