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Quand le wokisme provoque la faillite

Quand le wokisme provoque la faillite

La faillite de la Silicon Valley Bank a entraîné une panique boursière mondiale, aujourd’hui jugulée. Ce qu’on ne dit pas, c’est que cette banque s’était convertie au wokisme managérial.

Si Bruno Le Maire annonce beau temps, couvrez-vous, prévoyez un col roulé et n’oubliez pas votre parapluie. C’est qu’une tempête boursière se prépare. « Notre système bancaire est solide », a-t-il proclamé avec l’aplomb d’un Paco Rabanne de la finance positive. Nul besoin de lire dans les entrailles de notre ministre de l’Économie pour savoir que, solide, le système bancaire ne l’est guère. Il n’a pas fallu 48 heures à la Silicon Valley Bank (SVB), 16e institution bancaire américaine, pour voir ses 209 milliards de dollars d’actifs fondre comme neige au soleil. C’est le problème, avec le silicone : c’est mou et aussi inconsistant qu’un discours de Bruno Le Maire. La SVB était pourtant censée être financièrement saine. Rien ne laissait présager un risque de défaillance, sinon son ardeur à s’illustrer dans une bulle spéculative d’un nouveau genre : la bulle du wokisme managérial, à laquelle avait succombé la SVB, avant d’en succomber.

Le wokisme n’est, certes, pas seul responsable de cette déroute en forme de banqueroute. Au temps de son faste, la SVB avait acquis 120 milliards d’obligations, sans prévoir que la Réserve fédérale américaine (Fed) allait augmenter ses taux d’intérêt pour endiguer l’inflation. Patatras ! Ses obligations se sont brutalement dépréciées. Le cours de l’action de la banque a dégringolé et les clients, paniqués, ont retiré plus de 40 milliards de dollars en une journée. La psychologie des marchés financiers fonctionnant comme la psychologie des gnous et des foules, les Bourses mondiales ont, dans la foulée, dévissé, surtout les banques (-10 % pour BNP Paribas et la Société générale). Avant que les autorités américaines ne reprennent les choses en main en garantissant l’ensemble des dépôts. Pas de panique aux guichets des banques, au grand soulagement des Pangloss de la main invisible des marchés qui redécouvrent, une fois de plus, les vertus de l’intervention publique.

Dilemme cornélien

Rien n’est résolu, pourtant. Le système financier s’est laissé enfermer dans une injonction contradictoire, classique des cas de schizophrénie. Qu’est-ce qu’une injonction contradictoire ? C’est une double contrainte paradoxale : on ne peut obéir à l’une des deux contraintes sans renoncer à l’autre. Par exemple, comment concilier la diminution constante de la vitesse sur route et l’augmentation constante de la motorisation des véhicules ? Tout notre système économique est construit sur ce modèle paradoxal : consommez plus, polluez moins ; un pied sur l’accélérateur, un sur le frein. On a les dilemmes cornéliens qu’on peut.

Pour comprendre la faillite de la SVB, il faut revenir à la crise de 2008, quand les banquiers centraux ont sauvé le système financier en remettant à flot les banques, mais sans jamais chercher à le réformer en profondeur. La Fed, suivie par la BCE, ouvrant les vannes du crédit avec des taux à 0 %, qui ont permis aux plus riches de s’adonner à leur sport favori : la spéculation sur les actifs les plus rentables et les plus indispensables à l’économie réelle, comme le foot business ou les baudruches de l’art contemporain.

La contrepartie de cet « argent gratuit », c’est l’inflation. De deux choses l’une : ou bien les taux rebaissent et l’inflation ne risque pas de s’assécher ; ou bien les taux continuent d’augmenter et c’est le risque de cessation de paiement, faute d’un refinancement de notre économie Potemkine par une nouvelle montagne de dettes. « Une des grandes faiblesses de la race humaine, a dit le physicien Albert A. Bartlett, c’est son incompréhension de la fonction exponentielle. » Autrement dit, des courbes qui, jusque-là, augmentaient progressivement s’emballent et crèvent le plafond, avant de retomber à une vitesse aussi vertigineuse. Ainsi des bulles.

Le carnaval entrepreneurial LGBT

Celle du wokime est le chef-d’œuvre de la SVB. On s’était accoutumé au grand-guignol du wokisme sur les campus, il prospère désormais dans l’univers entrepreneurial. La SVB n’avait pas son pareil en matière de diversité et d’inclusion. Faute d’un profil idoine qui cochait toutes les cases du parfait petit wokiste, la banque n’a pas eu de directeur des risques huit mois durant, alors que les nuages s’amoncelaient. Elle a fini par jeter son dévolu sur une femme (diversité oblige) deux mois avant sa faillite. En attendant, c’est une activiste queer intersectionnelle, Jay Ersapah, en charge de la branche anglaise des risques qui régentait l’entreprise.

L’intersectionnalité est au wokisme ce que le décathlon est à l’athlétisme : elle requiert des champions transdisciplinaires du misérabilisme. En tant qu’enfant de la classe ouvrière, en tant que lesbienne, en tant que personne de couleur, Jay Ersapah était discriminée au cube. Cosette, donc, mais chez les milliardaires. La pauvresse passait le plus clair de son temps à organiser des journées de visibilité des lesbiennes, à chapeauter des semaines de sensibilisation aux trans et à œuvrer à des mois de la fierté LGBTQ+. Les nouveaux éphémérides de la déconstruction. Toutes ces initiatives lui ont valu une sorte de prix McDo de l’employée LGBT 2022.

En cet Extrême-Occident californien, on ne chante même plus « Sea, sex and sun » mais « Silicium, silicon and safe space ». D’ailleurs, les Beach Boys s’appellent aujourd’hui les Beach Ladyboys. Inutile de dire qu’ils n’ont pas les faveurs des conservateurs américains, déchaînés depuis la faillite de la SVB. « Get woke, go broke », répètent-ils (« Devenez woke, faites faillite »). Celle de la SVB ne leur donne pas tort.

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