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Parlement Européen

Préférer cette Europe imparfaite à pas d’Europe du tout

La livraison du numéro 146 d’Éléments, consacré au pacte budgétaire européen, nous a valu un abondant courrier, passionnant, passionné voire emporté, tel qu’il est de coutume lorsque l’on aborde la question européenne. Dans son style, brillant, documenté, intelligent – mais certes pas dénué d’une légère touche de mauvaise foi!–, notre ami Luc Pauwels, ancien directeur de la revue flamande TeKoS, rappelle à tous que le titre complet de notre revue s’appelle: Éléments pour la civilisation européenne !

« Il y a quelques semaines j’ai reçu quasi en même temps une invitation à une commémoration de Louis XVI, assortie d’une diatribe contre l’euro, émanant de l’Action française et le n°146 d’Éléments titrant sur «La fin de la souveraineté». Je déplore vivement cette instillation de phobies maurrassiennes dans notre revue. Laissons Maurras où il a sa place, à la cendre de nos foyers, et relisons plutôt L’Europe contre les patries de Drieu la Rochelle ! Lui, il avait vu juste : « Les États nationaux ne seront plus que les gardiens de vieilles grammaires comme les Églises le sont d’autres vieux livres ». Un titre : « Ouf, la fin de la souveraineté. Debout l’Europe ! » aurait été beaucoup plus dans la ligne que suit Éléments depuis plus de 40 ans.

« Quant à l’euro, il est à défendre bec et ongles. Sa disparition serait une catastrophe pour l’Europe, un cadeau séculaire pour le dollar et la plus éclatante victoire de l’impérialisme américain depuis 1945. L’euro n’est pas du tout la cause de la détresse financière. Le premier coupable est le capitalisme anglo-saxon. Au niveau des États, le grand responsable est la partitocratie avec sa surenchère de promesses électorales après la seconde guerre mondiale. La réalisation de ces promesses (en gros : l’État-providence) a été financée d’abord par la croissance, puis par une hausse de la fiscalité, puis par le passage de la facture au gouvernement suivant (= déficit), et finalement par l’endettement pur et simple. Or les dettes impliquent la dépendance des banques ! « Ainsi nous sommes arrivés au paradoxe du laxisme budgétaire social-démocrate qui a gangrené pratiquement tous les états membres de l’UE, sauf l’Allemagne et les Pays-Bas : ceux qui critiquent le plus – et à juste titre – notre dépendance envers la haute finance. Keynes n’a pas grand-chose à voir là-dedans, il n’est qu’un alibi. S’ajoute à cela, l’introduction sous pression américaine du système de comptabilité FASB 157 (valeur « actuelle » des actifs au lieu de valeur historique etc.) qui a déstabilisé beaucoup d’entreprises.

« Bien sûr, l’Union européenne est critiquable, mais pour nous elle n’a jamais été une fin en soi : elle n’est qu’une étape sur le long chemin de la CEE libérale à l’Empire européen. Si l’Europe dans sa forme est très loin d’être parfaite, il nous faut préférer cette Europe imparfaite à pas d’Europe du tout. Pour que l’Europe « vienne à bout des patries qui la déchirent » (Drieu), il importe de démasquer les souverainistes et autres jacobins rouges ou blancs. Ils se révéleront être les idiots utiles d’Uncle Sam, les alliés objectifs de l’impérialisme américain, toujours avide de diviser les Européens et de les dresser les uns contre les autres. Voilà un sujet pour un futur numéro d’Éléments


« Je comprends bien que l’Union européenne laisse tiède dans son état actuel. Si elle suscite même de l’antipathie auprès des spectateurs non avertis, la faute en incombe à nos politiciens lâches qui s’écrient à chaque décision impopulaire : « Ce n’est pas nous, c’est l’Europe qui nous y oblige ! ». Et après chaque sommet européen, les capitales étalent invariablement, dans un spectacle franchement écœurant, leur triomphalisme : ce serait pleinement justifié si on applaudissait à la réussite d’une nouvelle étape vers plus d’intégration européenne, mais tout au contraire, on acclame les coups tordus qu’on a réussis à faire à tel ou tel partenaire européen et on se vante d’avoir fait triompher les intérêts particuliers sur l’intérêt général de l’Europe.

« Le désenchantement de l’unification européenne ne justifie en rien la réaction rétrograde d’un souhait de retour au statu quo ante des États souverains. La bonne politique pour résister à la mondialisation et préserver notre culture, ce n’est pas « moins d’Europe », mais exactement le contraire c’est-à-dire plus d’Europe, plus vite et plus profonde. La résistance au niveau des États souverains est d’avance vouée à l’échec parce qu’elle nous livrerait à une concurrence meurtrière intra-européenne entre les États, qui tâcheront tous de profiter au maximum des « avantages » de la mondialisation en mettant les détriments sur les bras aux autres. Un scénario épouvantable dont les seuls bénéficiaires seront à moyen terme toutes les forces anti-européennes.

« Aux déçus de la cause européenne il faut expliquer que la construction européenne n’est pas une évolution linéaire et prévisible, mais un processus dialectique qui doit nous mener à une synthèse des peuples-nations et de l’unité européenne : l’Europe fédérale. Pour avancer dans cette direction un sérieux coup de barre dans le sens communautaire est absolument nécessaire. Souvenons-nous de Camillo Benso, comte de Cavour, l’architecte du Risorgimento, qui pour promouvoir l’unité italienne prenait parfois des positions à l’encontre des intérêts (immédiats) du Piémont-Sardaigne dont il fut le premier ministre. Nous sommes dans l’attente de politiciens français, allemands, italiens et autres qui font pareille…

« Un dernier mot sur Wilhelm Röpke, qui nous est présenté comme « président de la Société du Mont-Pèlerin ». Il le fut en 1960-1961 et son différend avec le néolibéralisme de Hayek était tellement violent que Röpke non seulement résignait à ses fonctions

de président, mais claquait la porte de la Société du Mont-Pèlerin pour ne jamais y retourner. Ceux qu’on a appelés les « ordo-libéraux » (Röpke lui-même s’est jamais désigné ainsi !) partaient de toutes autres prémisses que les néolibéraux : non pas l’individualisme et le darwinisme social, mais le bonum commune, l’intérêt général, dans le sens de Montesquieu: «Le bien particulier doit céder au bien public» (De l’esprit des lois, 1748). Ses inspirateurs étaient Aristote, Edmond Burke et l’encyclique Rerum novarum. Adversaire acharné de la société marchande, à savoir l’invasion des valeurs et des procédés marchands dans toutes les sphères de l’existence humaine, collective et individuelle, Röpke et les néolibéraux autour de Hayek ne pouvaient être que des adversaires et même des ennemis.

« Pour bien situer Wilhelm Röpke il faut lire son Au-delà de l’offre et de la demande (1961). Quand Alain de Benoist écrit que « le marché n’a jamais été un phénomène “naturel”, mais il a au contraire été institué par les pouvoirs publics », il reprend une thèse chère à Röpke et, bien sûr, à l’opposé du néo-libéralisme. Aujourd’hui la personne en Allemagne qui cite et défend Röpke s’appelle Sahra Wagenknecht, ancienne dirigeante du Plateforme communiste, et actuellement vice-présidente du Parti de gauche, Die Linke.

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