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Portés disparus ? Que sont devenus les libéraux ?

Portés disparus ? Que sont devenus les libéraux ?

En 1979, avec l’arrivée au pouvoir de Margareth Thatcher en Angleterre et celle de Ronald Reagan, un an plus tard aux USA, les idées libérales connaissent un regain de popularité en France. Que reste-t-il aujourd’hui de cet engouement ?

Au siècle dernier, des théoriciens tels que Henri Lepage ou Jacques Marseille ont table ouverte dans tous les médias ou presque. Des journaux, tels Le Libéral européen, très proche d’Alain Madelin, ou L’Esprit libre de Guy Sorman, sont lus dans tous les cénacles de droite. Jacques Chirac abandonne le « travaillisme à la française » pour rallier les idées libérales, tandis que Jean-Marie Le Pen se présente comme le « Reagan français ». Dans le même temps, la fameuse « bande à Léo » (François Léotard, Gérard Longuet, Alain Madelin et quelques autres seconds couteaux) fait la pluie et le beau temps sur la politique d’alors. L’acmé de leur influence ? La cohabitation entre François Mitterrand et Jacques Chirac, de 1986 à 1988, avec privatisations à tout va.

Alain Madelin, éternel revenant ?

Et depuis ? Hormis David Lisnard, le maire de Cannes, qui continue de porter le flambeau libéral, rien ou presque. Le 19 novembre dernier, c’est presque avec incrédulité qu’on découvre, dans Valeurs actuelles, deux pages consacrées au même Alain Madelin. Cela aurait pu être dans la rubrique histoire ; mais non, c’est dans celle consacrée à la politique. Interrogée par l’hebdomadaire, Sophie de Menton, dirigeante du club Ethic (Entreprises de taille humaine indépendantes et de croissance), nous en dit plus : « Je suivais de près Idées actions [club fondé par Alain Madelin, ndlr]. (…) Il y avait un côté Macron avant Macron. » Nous y voilà. C’est d’autant plus finement observé qu’Alain Madelin sera, avec Daniel Cohn-Bendit, l’un des premiers soutiens historiques d’Emmanuel Macron. Ce qui est parfaitement logique, les deux ludions professant le même libéralisme-libertaire les amenant à approuver le mariage homosexuel et la drogue en vente libre. Logique, une fois encore, s’agissant de ces contrats librement consentis entre citoyens responsables, l’un des fondements majeurs du libéralisme.

L’impasse des libéraux-conservateurs…

Mais, comme rien n’est jamais simple et que le libéralisme est multiple, c’est sa version conservatrice qui a désormais le vent en poupe. Celle incarnée, en comptant large, par Éric Zemmour, Sarah Knafo et Bruno Retailleau. Seulement voilà, ce mot-valise de « libéral conservateur » a tout d’un oxymore. On peut être l’un ou l’autre ; mais pas les deux en même temps. En ce sens, ce sont deux sortes de libéralismes qui s’affrontent désormais. D’un côté, le libéralisme-libertaire d’un Emmanuel Macron et, de l’autre, sa version conservatrice. Le premier est évidement idéologiquement plus conséquent que le second, qui chérit les causes dont il maudit les conséquences, pour reprendre une expression bien connue. L’une d’elle est évidemment l’immigration, angle mort des penseur libéraux – au même titre que leurs homologues écologistes – puisque incarnant le dogme du « contrat » poussé à son extrémité : « Je veux bien me faire exploiter parce que c’est mon choix et que, d’ailleurs, je n’ai pas le choix. » D’ailleurs, si marchandises et capitaux sont susceptibles de librement circuler sur la planète entière, pourquoi les êtres humains n’auraient-ils pas eux aussi ce droit ?

On notera que le grand patronat, celui qui chouine en permanence alors qu’abreuvé de subventions, sans négliger le fait qu’il vive bien souvent de marchés publics, à l’instar de Bouygues et de Dassault, est le premier à pousser à l’ouverture des frontières et au recrutement d’une main d’œuvre toujours moins coûteuse. De plus, ce même système, qu’on le nomme libéral ou néo-libéral, n’a que faire des inquiétudes, pourtant légitimes, de sa frange conservatrice. Le mariage homosexuel ? Des clients de rêve, sans enfants et avec deux revenus ; si la Gay pride est l’un des événements publics les plus subventionnés de France, c’est plus pour le pouvoir d’achat présumé de cette nouvelle clientèle que par appétence pour ceux qui jouent aux jeux de l’amour en inversant les rôles, tel que jadis chanté par Georges Brassens dans Les Trompettes de la renommée. Le divorce de masse ? Là c’est bingo à tous les étages. Tout sur le rouge et trente-six dois la mise. Un divorce ? C’est double loyer, double canapé, double télé, double tout. Pourtant, les anciens mariés, une fois lessivés, n’ont plus qu’un pouvoir d’achat en deux divisé pour pleurer. D’où l’une des causes majeures de la paupérisation française.

Aujourd’hui, Alain Madelin, plaint le sort de ces gens. Toujours cité par Valeurs actuelles, il affirme, non sans raison : « Vous avez 10 % des Français qui sont à vingt ou trente euros près. Allez voir une caisse de supermarché en fin de mois et vous verrez des hésitations, pour quelques euros, d’une famille. » Là, il y a hiatus. Glisserait-il du côté de cette justice sociale prônée par Marine Le Pen et Jordan Bardella qui les fait taxer de « communisme » par les amis libéraux du candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2002 au résultat des plus piteux : 3,91 % ? Peut-être pas encore. Mais le pire est que ce libéral auto-proclamé dans les idées ne l’est pas vraiment dans les faits, ayant longuement pantouflé, après son retrait de la politique, dans le secteur parapublic, telle qu’en témoigne sa présidence, en 2011, à la tête du GIPENA, fantomatique, Groupement d’intérêt public pour l’éducation numérique en Afrique. Ainsi en va-t-il souvent de ces partisans de l’initiative privée faisant leur pelote chez les hauts fonctionnaires, tout aussi plausibles que certains racistes affichant à peine plus d’un mètre vingt sous la toise, talonnettes y comprises.

Le retour du XIXe siècle…

D’où ce paradoxe français, sorte de mouton à cinq pattes, ni véritablement socialiste, ni totalement libéral, et cumulant trop souvent les inconvénients de ces deux systèmes, sans même en connaître les avantages. Soit le libéralisme sans la liberté d’entreprendre et le socialisme sans la justice sociale. Soit un autre oxymore, baptisé « économie mixte » par les technocrates.

Au final ? Des impôts battant des records, mais sans la moindre contrepartie : les services publics, qu’ils soient hospitaliers, de justice, de police ou éducatifs ne fonctionnent plus qu’à la rustine et à la méthode Coué.

Et c’est peut-être parce que nos penseurs libéraux semblent pour le moment avoir gagné la partie, Macron synthétisant toutes leurs aspirations, qu’ils semblent avoir disparu du paysage politique. Mais cette victoire a tout du match nul, tant leur monde semble désormais au bord de l’effondrement.

Leur société du « contrat », de « la main invisible du marché », du « doux commerce » et autre « concurrence loyale non faussée » n’aura pas tenu face au choc des réalités. En ce sens, Donald Trump est Ronald Reagan à la puissance mille. Son prédécesseur croyait plus aux rapports de force qu’au droit international. Son successeur ne prend plus la peine de sauver les apparences, multipliant taxes douanières tout en bétonnant ses frontières. La Chine, la Russie et tous les pays du Sud global font de même. Et le seul contrat qui tienne est celui signé par le plus fort, qui en a rédigé les clauses, l’a signé tout en obligeant son interlocuteur à faire de même, quitte à lui pointer un flingue sur la tempe.

Cela, les penseurs libéraux du XIXème siècle et leurs descendants ne l’avaient pas vu venir, n’imaginant manifestement qu’on puisse revenir un jour à ce fichu XIXème siècle ; au nom, déjà, de la fin d’une l’histoire, par nature cyclique et donc promise à un éternel recommencement.

Si l’on ne sait pas si c’était fondamentalement mieux hier, parions que demain sera peut-être moins pire qu’aujourd’hui.

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