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Paris bas-ventre, Richard Millet pulvérise à la nitroglycérine

Les choses sont dites (avec les tripes), bien écrites, parfaitement bien vues et, surtout, senties à pleines narines. Richard Millet s’est fait spéléologue du bas-ventre de Paris, Ville Lumière, devenue luciférienne, tant le « prince de ce monde » a bâti, là, son nouveau royaume terrestre. Exeunt sainte Geneviève, saint Denis et Notre Dame, nos saints patrons qui, jadis et naguère, protégeaient la capitale dont un bon roi affirmait qu’elle valait bien une messe.

Le ventre de Paris de Hugo, Sue et Zola a laissé place à une « descente d’organes », un bas-ventre innommable.

Comme d’autres avant lui, Millet montre ici que la misanthropie, à mi-chemin entre l’imprécation et le pamphlet, est susceptible d’être érigée au rang d’art littéraire. Il est vrai que nos contemporains sont haïssables. Dans un autre court essai du livre, intitulé Éloge du coronavirus, Millet persiste, signe mais épingle un codicille au bas du testament : « C’est entendu : l’espèce humaine est abjecte, mais il n’y en a pas d’autres. »

Tous ceux d’entre nous qui tâchent de vivre en anarques, en quête perpétuelle de canopées toujours plus inaccessibles, n’ôteront aucune ligne à l’implacable constat que dresse notre écrivain dont la sourde colère peine à cacher une certaine désespérance devant cette incontinente « débâcle intestinale ». L’ancien monde, celui auquel Patrick Buisson a récemment consacrénun requiem définitif, ne sera plus, c’est une inaltérable certitude. Le drame est là, sous nos yeux inexpressifs, abouliques, asthéniques. Notre tragédie. Notre tombeau aussi.

Oscillant entre une verve autant célinienne que bloyenne et un ton distant et désabusé à la Cioran, l’auteur de La fiancée libanaise et du Goût des femmes laides arpente en ethnologue, voire en archéologue, sinon en sociologue, les couloirs du RER parisien, tout en mettant ses pas dans ceux de Renaud Camus, autre contempteur, non moins vitriolique, du remplacisme global. Millet évoque quant à lui – mais l’idée emprunte à la même matrice camusienne –, le terme d’« échangisme ordinaire », auquel on pourrait adjoindre celui d’interchangeabilité multimodale, ce « parc humain » faisant penser à ces gares de triage où les trains s’accouplent aux conteneurs, où les lignes s’hybrident, s’intriquent, se croisent et s’emmêlent dans un indescriptible et assourdissant maillage technique et humain. Bienvenue dans le planétaire tunnel du multiculturalisme inclusif, intersectionnel, déspiritualisé et coronovacuitaire !

L’ère du vide, soit de dématérialisation hologrammatique d’Homo consumens devenu « Internaute », ne serait-elle jamais vouée qu’à cette destinée terminale du grand nettoyage par le vide ? Finalement, lorsque tout un chacun réclame de pouvoir se « lâcher » », se « relâcher », pour être plus « cool », plus « fun », plus « fashion », parce que c’est comme ça qu’on « kiffe sa life », il conviendrait de hâter, sans atermoyer, le processus de soulagement exonératoire de ce grand côlon sigmoïde que constitue notre inhumanité moutonnière et ochlocratique…

Richard Millet pulvérise à la nitroglycérine. Âmes sensibles, s’abstenir !

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