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Le malade imaginaire

Molière? « La plus claire expression du génie de notre race »

Dans trois jours, le 15 janvier, Molière aura 400 ans. C’est le plus vivifiant de nos monuments nationaux. On le célèbre à n’en plus finir, mais la vérité, c’est que, s’il revenait aujourd’hui parmi nous, il serait convoqué par Tartuffe devant la 17e Chambre correctionnelle pour discrimination de toute sorte. Au piquet, Molière ! Au parquet même.

Quand on lançait à Sacha Guitry « Quoi de neuf, maître ? », il répliquait toujours de sa voix sucrée et vibrante qui jouait sur du velours : « Molière ! » – Et Guitry d’ajouter : « Molière est la plus claire expression du génie de notre race » ! Quel mot ! Le génie de notre race, à nous autres Français, à nous Gaulois, à nous Celtes. C’est ce mot qu’on aimerait entendre pour cette année Molière, marquée par les célébrations des 400 cents de la naissance de Jean-Baptiste Poquelin : 1622-2022. Mais on ne l’entendra pas, ou alors en sourdine, ou alors en contrebande, ou alors inavouablement.

Accusé Molière

La vérité, c’est que, si Molière revenait aujourd’hui, il serait giflé par Alice Cofin à la sortie des Précieuses ridicules. S’il revenait aujourd’hui, il devrait s’excuser auprès de Caroline de Haas pour avoir écrit Les Femmes savantes. S’il revenait, il serait condamné à faire des travaux d’intérêts généraux à la Maison des femmes et un stage citoyen à Osez le féminisme ! Au piquet, Molière ! Au parquet même. Les journalistes lui feraient un procès en populisme et Tartuffe le convoquerait devant la 17e Chambre correctionnelle pour discrimination : contre les bas bleus, contre les vieux barbons, contre les snobs, contre les intellos hermétiques, contre les culs-bénits, contre les non-binaires, contre les bourgeois à prétention bohème, contre les médicastres, contre les Turcs, contre les avares. Macron, pâle roi au soleil déclinant, le condamnerait aux galères pendant qu’il inviterait à l’Élysée le Lully du pauvre, le DJ Kiddy Smile. Molière n’aurait plus de protecteurs, plus de prince de Conti ni de Louis XIV, rien que des détracteurs. SOS racisme lancerait contre lui une nouvelle cabale des dévots et l’obligerait à partir en cavale. Le Conseil de l’ordre des médecins le radierait de ses registres. Accusé Molière, vous devez rendre compte de vos privilèges de classe, fils de bourgeois, valet de chambre du roi, protégé des plus grands.

Notre génie comique et réaliste

Pour toutes ces raisons et parce que c’est un mâle blanc, Delphine Ernotte le déprogrammerait de France Télévisions. Radio France se contenterait d’un hommage sur les ondes de France Bleu Bourgogne à minuit. Les libraires se flatteraient de ne pas vendre ses livres vraiment trop misogynes ; ou bien ils reverseraient le produit de leur vente à une association pour le slam et contre les féminicides. Si Molière revenait, il serait martyrisé par cette nouille de Francis Huster qui nasaliserait son théâtre et saccagé dans une mise en scène de Denis Podalydès, à qui l’on doit le pire Scapin de l’histoire.

Mais surtout, mais surtout, si Molière revenait parmi nous, il devrait s’excuser d’être ce qu’il est, Français jusqu’au bout des ongles. La plus claire expression du génie de notre race. Et pas seulement son génie comique, son génie réaliste aussi. C’est le grand peintre de nos mœurs. Quel disciple de Bourdieu pourrait donner la réplique à l’auteur du Bourgeois gentilhomme ? Je vous le demande. Là où d’autres voient des péchés, lui voyait des ridicules. Il a rabattu les prétentions de la science et de la religion à gouverner les hommes. Les hommes sont gouvernés par leurs passions, il faut seulement veiller à ce qu’elles ne les dévorent pas. L’homme n’est pas plus un géant qu’il n’est un nain. Il est seulement plus sot que méchant, même s’il y a des méchants, fussent-ils grands seigneurs comme Dom Juan ; plus vaniteux que dangereux, même s’il y a des dangereux, fussent-il venimeux comme Tartuffe ; plus présomptueux qu’orgueilleux, même s’il y a des orgueilleux, fussent-il touchants comme Alceste dans Le Misanthrope.

Le portrait de l’esprit français en pied

S’il y a une morale chez lui, c’est que la morale doit être modeste, elle doit marcher sur la pointe des pieds, elle ne doit être ni prescriptrice ni sermonneuse. Molière n’est pas médecin des âmes – il les déteste, les médecins, pas les âmes. Car la vie est une maladie sans remède. Nulle métaphysique ici. La seule métaphysique, c’est le refus de la métaphysique. C’est cela qui fonde la légèreté française. Sa tradition, c’est un catholicisme qu’on qualifierait aujourd’hui de sociologique, sans entrain, mâtiné d’un scepticisme enjoué, qui s’accommoderait des libertins. Ni la foi ni non plus l’impiété. Sa philosophie copie celle de Montaigne. Elle se range du côté des rieurs, d’aucune école, sinon celle de la vie. Son théâtre refuse obstinément le malheur, il dédaigne les grands mots, il récuse les équations impossibles de la métaphysique, confond les ridicules, étrille les sottes à jargon, soufflette les marquis gonflés d’importance, fait bastonner les vieillards indignes. Seul le ridicule tue ici. Ah Molière ! Sa langue est la langue commune. Nous sommes comme Monsieur Jourdain, nous faisons du Molière sans le savoir. Il s’est tellement imprégné de nous, nous nous sommes tellement identifiés à lui. L’histoire d’amour dure depuis quatre siècles. Si jamais elle devait prendre fin, c’est que l’esprit français ne serait plus ni français ni spirituel.

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