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Marine Le Pen et Macron ont, aujourd’hui, le même objectif: se retrouver tous les deux face à face au second tour

NICOLAS GAUTHIER. Au cours de ces dernières semaines, nous avons assisté au second tour des élections municipales, puis à la mise en place d’un nouveau gouvernement. Peut-on dire qu’il en résulte un nouveau paysage politique ? Les forces en présence se sont-elles modifiées ?

ALAIN DE BENOIST : Sur les élections municipales, on a déjà tout dit. Les deux faits marquants sont l’abstention record (60 %), qui s’explique avant tout par le fait que la France périphérique n’a pas voté, et la poussée de ce qu’on a appelé la « vague verte », qui a permis à des représentants de EELV de s’emparer d’un certain nombre de grandes villes. Cette « vague » ne doit être ni surestimée ni sous-estimée. Sa cause fondamentale, au-delà de la vague sympathie que suscite le référent écolo dans tous les milieux, est la gentrification croissante des grandes villes. La droite a, bien entendu, réagi en recourant à des métaphores ringardes comme celle de la pastèque (verte à l’extérieur, rouge à l’intérieur) et en s’affolant de l’arrivée des « Khmers verts » dans les mairies. Elle est, il est vrai, totalement analphabète en matière d’écologie. Désolé, Yannick Jadot n’est pas Pol Pot ! Les Verts sont des libéraux-libertaires, grands défenseurs des migrants, qui sont beaucoup plus intéressés par la théorie du genre que par une écologie qu’ils ne conçoivent que d’une façon punitive et superficielle. De même que l’Union européenne a discrédité l’Europe, les Verts discréditent l’écologie. Ce sont les vrais partisans de l’écologie qui devraient le plus dénoncer leur imposture.

Il n’y a pas, non plus, grand-chose à dire sur le nouveau gouvernement, qui confirme seulement la volonté d’Emmanuel Macron de débaucher de plus en plus le centre droit afin de laminer les Républicains. Macron a compris qu’il n’a plus grand-chose à grappiller à gauche. La nomination de Dupond-Moretti, le King Kong des prétoires, a suscité une levée de boucliers chez les magistrats. Celle de Gérald Darmanin, préféré à Blanquer au ministère de l’Intérieur, a provoqué l’hystérie des néo-féministes (« un violeur place Beauvau ! »). L’arrivée de la Castafiore à la Culture n’a satisfait que les amateurs d’opéra. L’entrée de Jean Castex à Matignon a d’abord paru consacrer un Mr. Nobody qui allait permettre au chef de l’État de gouverner de façon plus « jupitérienne » et solitaire que jamais. Son image d’« énarque rural » ne doit toutefois pas faire illusion. Apparaître comme débonnaire n’empêche pas d’avoir de la poigne. Castex a d’ailleurs déjà eu la peau de Marc Guillaume, secrétaire général du gouvernement.

NICOLAS GAUTHIER. À la faveur de l’épidémie de Covid-19, Emmanuel Macron semble en être revenu à certains fondamentaux plus « régaliens ». Simple tactique ou changement plus en profondeur ?

ALAIN DE BENOIST : On ne juge pas les politiciens sur ce qu’ils disent, mais sur ce qu’ils font. Il est fort possible qu’au moment du confinement, Macron ait commencé à réaliser que la dépendance de la France lui est préjudiciable, mais je pense qu’il est incapable de résister à son tropisme d’origine. C’est un libéral autoritaire, un manipulateur narcissique, pour qui la politique se résume à une affaire de dossiers. Je suis convaincu que, loin de se « remettre en question », il cherche seulement un « autre chemin » de parvenir au même but : réformer la France pour l’adapter aux exigences de la mondialisation, c’est-à-dire des marchés financiers. Ce sera seulement beaucoup plus difficile qu’avant, car dans une Europe en récession, la France se retrouve dans une position pire que presque tous ses voisins.

NICOLAS GAUTHIER. Quelles leçons en tirer dans la perspective de l’élection présidentielle de 2022 ?

ALAIN DE BENOIST : Le fait principal est le suivant : en 2022, les Français vont subir de plein fouet des conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire qui vont s’avérer cataclysmiques. On n’en a pas encore pris la pleine mesure parce que les pouvoirs publics distribuent des milliards d’aides et de subventions afin de retarder les échéances, ce qui va rendre la dette publique intenable. En fait, la précarité va se généraliser, le pouvoir d’achat va s’effondrer, les faillites et les dépôts de bilans vont se multiplier (et pas seulement dans les secteurs sinistrés), le nombre des chômeurs va bondir, le tout sur fond de montée des radicalisations et d’ensauvagement de la société.

Or, comme le dit le politologue Jérôme Sainte-Marie, le choix des électeurs n’a jamais été autant corrélé à leur condition sociale qu’aujourd’hui : « Plus on dispose d’un revenu élevé, plus on adhère au macronisme. » Dans ce contexte de lutte des classes, qui va de pair avec l’ébranlement du clivage droite-gauche (qui en est à la fois la cause et la conséquence), de nouvelles couches des classes moyennes en voie de déclassement, des indépendants, des cadres moyens appauvris ou ruinés vont venir massivement grossir les rangs du bloc populaire.

Paradoxalement, Marine Le Pen et Macron ont, aujourd’hui, le même objectif : se retrouver tous les deux face à face au second tour de la présidentielle, comme ce fut le cas en 2017. La différence étant que la première n’aura pas, cette fois, à affronter un « homme nouveau », bénéficiant d’un préjugé a priori favorable, mais un personnage discrédité, au bilan lamentable et qui, durant son quinquennat, n’aura cessé de décevoir des couches de plus en plus larges de la population. Mélenchon, de son côté, ne sera pas un concurrent pour elle, puisqu’il a tourné le dos au populisme pour céder aux sirènes de l’islamo-gauchisme, ce qui l’a disqualifié auprès des catégories populaires. Macron, de son côté, redoute plus que tout de ne pas être au second tour, ce qui explique sa stratégie actuelle visant à faire disparaître tout ce qui existe entre le RN et LREM, à commencer par les Républicains.

Dans le cas d’un nouveau duel Macron-Le Pen, Macron conserverait quelques chances de l’emporter, mais Marine Le Pen aurait de bien meilleures chances de gagner, car elle devrait pouvoir bénéficier d’une vague populaire beaucoup plus forte qu’il y a deux ans. Si, en revanche, elle avait devant elle un ou plutôt une candidate représentant un conglomérat de Verts associés aux derniers débris d’une gauche en déroute, qui ferait au second tour le plein contre elle, sa tâche serait beaucoup plus difficile. La prochaine « cheffe » de l’État pourrait alors bien s’appeler Anne Hidalgo.

Propos recueillis par Nicolas Gauthier
Source : Boulevard Voltaire

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