ÉLÉMENTS. Qu’est-ce que vous a conduit à vous consacrer à la littérature jeunesse ?
AUDREY STEPHANIE. La volonté de contrecarrer l’oubli et de transmettre. Avec la disparition de la transmission dans les foyers et le dévoiement de la matière historique à l’ école, notre mémoire est amputée. L’histoire, comme l’a magistralement démontré Simone Weil, n’est pas un simple récit du passé, mais une force vivante qui nourrit l’âme en lui donnant un sentiment d’identité, de dignité et de but.
L’ignorance du passé est donc pour beaucoup dans le désœuvrement actuel de notre jeunesse. Cibles de choix des déconstructeurs et autres promoteurs de la culture de l’effacement, nos enfants ne connaissent que les aspects négatifs de notre histoire.
Leur fournir des exemples concrets auxquels s’inspirer, c’est leur fournir des repères solides qu’il sera ardu de diaboliser. Leur rappeler que l’histoire européenne est aussi faite de lumière et de beauté, c’est remettre de l’ordre dans le chaos dans lequel ils évoluent et alléger le fardeau de la culpabilité qui pèse sur leurs épaules.
ÉLÉMENTS. S’agit -il d’un ouvrage « historique », romanesque, romancé, édifiant, comment définiriez-vous votre livre ?
AUDREY STEPHANIE. C’est un livre d’histoire… écrit à la manière d’un roman : en me basant sur des sources fiables et faisant autorité (répertoriées en fin d’ouvrage), je n’ai en rien comblé les éléments manquants ni embelli ceux qui s’y trouvent. Mais l’histoire étant passionnante, épique et souvent invraisemblable, elle doit être transmise avec ardeur, émotion et enthousiasme ! A fortiori lorsque l’on s’adresse à la jeunesse d’aujourd’hui, facilement encline à l’anhédonie. Bref, il ne s’agit pas d’aligner des dates, mais de faire battre des cœurs.
ÉLÉMENTS. Votre ouvrage est consacré au « héros européens », sur quels critères avez-vous établi votre sélection ?
AUDREY STEPHANIE. En premier lieu, c’est bien sûr le sentiment d’admiration qui a été à l’origine d’une première sélection. Si malheureusement aucun de ces personnages fascinants ne m’a été transmis par l’Éducation nationale, ils sont tous l’objet de souvenirs marquants : comme lorsque, lors d’un voyage à Mycènes alors que je commençais mes études d’histoire, je fus frappée par la destinée rocambolesque d’Heinrich Schliemann, un érudit à mille lieues des rats de bibliothèque auxquels on s’attend lorsque l’on touche à l’histoire antique. Ou qu’au détour d’une lecture, je fus saisie par l’image de ce porte-étendard romain qui, pour éviter que l’aigle romaine ne tombe entre les mains de l’ennemi, préféra se noyer avec elle dans un marécage pour sauver l’honneur de Rome. Ou encore, quand, m’informant sur la part de vérité au sein du film « Le dernier samouraï », j’apprenais que le personnage principal s’inspire de Jules Brunet, un capitaine bien français hautement plus héroïque que Tom Cruise. À chaque fois, cela a suscité en moi l’envie d’en savoir plus, et surtout, de transmettre leur geste.
Ensuite, désireuse d’offrir une vision d’ensemble de notre histoire plurimillénaire, j’ai choisi des hommes de différents pays européens et de différentes époques, des anciens Grecs, des Romains, des Germains, des Français, etc.
ÉLÉMENTS. De quelle « Europe » les personnages que vous évoquez sont-ils les « héros » ?
AUDREY STEPHANIE. Vous l’aurez remarqué, je privilégie l’exemple, le concret, le tangible. Tous ces héros sont des hommes en chair et en os qui ont véritablement existé. Ils sont tous le symbole de quelque chose de fort et constitutif de notre culture singulière.
Atilius Regulus est l’emblème du respect de la parole donnée ; Arminius incarne le sang et les racines ; Leif Erikson et Pythéas personnifient l’esprit de découverte européen ; Henri de la Rochejaquelein, le sacrifice pour les siens ; Miguel de Cervantès, le génie littéraire et les idéaux chevaleresques, etc.
Il s’agit donc d’une Europe incarnée, réelle, dans tout ce qu’elle a d’atemporel. Aux antipodes des sables mouvants sur lesquels reposent des abstractions telles que « l’État de droit » ou les « valeurs de la République ».
ÉLÉMENTS. Cette « Europe » existe-t-elle encore ? L’Union européenne n’a-t-elle pas tué le « sentiment européen » dans le cœur de nombreux peuples qui la composent ?
AUDREY STEPHANIE. Cette Europe existe encore. Mais il est tout aussi vrai que « chacun d’entre nous est le dernier des Européens » comme l’écrivait Jean de Brem. « Chacun de nous, à Londres et à Vienne, à Berlin et à Madrid, à Athènes et à Varsovie, à Rome et à Paris, à Sofia et à Belgrade, doit ressentir le même drame. » Sentence plus actuelle que jamais, puisqu’en plus de devoir faire face aux mêmes ennemis de l’intérieur – les fossoyeurs de la civilisation – nous devons affronter un remplacement de population et un hiver démographique sans précédent.
Mais c’est peut-être aussi ce qui nous sauvera. Car si l’U. E. a mis à mal le sentiment d’appartenance à la civilisation européenne, je ne doute pas un instant que la confrontation avec l’Autre et le clair sentiment d’être en train de disparaître raviveront la flamme de l’identité.
Malgré nos différences et nos intérêts parfois divergents, nos compatriotes de Porto à Virmajärvi savent pertinemment faire la différence entre la bureaucratie bruxelloise et l’appartenance à cette grande et unique famille européenne…
ÉLÉMENTS. Face au dénigrement systématique de notre histoire, ne courrons nous pas la risque, par réaction, de trop la magnifier, la glorifier, « l’héroïser », justement, au risque de la caricaturer et de la simplifier à l’extrême ?
AUDREY STEPHANIE. J’ai montré les personnages riches de leurs imperfections (les sources n’étant pas avares de détails en la matière !) et de leurs défis intérieurs. Les thématiques développées sont parfois complexes (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je m’adresse aux adolescents et aux jeunes adultes). Le combat entre les deux frères barbares, Flavius et Arminius, est emblématique de cette complexité parfois insoluble: otages des Romains, le premier restera fidèle à l’idée impériale et à la Rome qui l’a élevé (dans les deux sens du terme), tandis que le deuxième, lui, choisira de répondre à l’appel de la forêt et des ancêtres. Pareillement, si la lutte pour un idéal est toujours noble, les motifs de l’engagement peuvent l’être moins, ce que je n’ai pas cherché à dissimuler. Les erreurs, les défaillances et les regrets y trouvent aussi leur place, comme dans la vie. Tout cela empêche la caricature et la simplification.
Mais le héros incarne un idéal, il est animé par un profond sens du devoir, et son absence fait cruellement défaut à l’heure actuelle. L’individu et la collectivité ont besoin de modèles, il faut leur proposer aussi une histoire positive.
ÉLÉMENTS. Un mot de la fin ?
AUDREY STEPHANIE. Je fais miennes encore une fois les paroles de Jean de Brem : « À moi, qui ne suis rien et qui n’apporte rien, la civilisation fait un cadeau gigantesque : le patrimoine de l’Europe. » La moindre des choses que je puisse faire pour honorer ce patrimoine, qui m’est si cher, est de le transmettre. Telle est la volonté cachée derrière ces pages.



