Le magazine des idées

Les contre-vérités d’Aude Lancelin : retour sur un entretien avorté

Dans un entretien fort maladroit, mené par Ludivine Bénard et Adlene Mohammedi pour le site Le Comptoir, l’ancienne directrice adjointe du Nouvel Observateur Aude Lancelin a tenu à clore son intervention sur les médias en mettant en cause la revue Éléments. Elle y déclare : « Éléments m’avait demandé un entretien pour Le monde libre, que j’ai refusé bien sûr. D’ailleurs, c’est drôle, au début, lorsqu’ils proposent l’entretien, ils sont très aimables et sinueusement flatteurs. Et à partir du moment où vous déclinez, au motif que vous ne parlez pas à la droite néo-paganiste, là, ils deviennent presque insultants, ce qui m’a confirmé dans l’idée que rien n’est possible avec ces gens. »

Naturellement, aucun collaborateur d’Éléments n’a insulté Aude Lancelin ni même… presqu’insulté ! Pour le dire tout net, nous avons été stupéfait de cette accusation un peu bêtasse. Les lecteurs honnêtes peuvent consulter les échanges de courriels que nous publions bien volontiers (en fin d’article) pour que chacun se fasse une opinion (1). Invariablement, les collaborateurs d’Éléments adoptent la même courtoisie avant, pendant et après les entretiens de personnalités, que ces dernières acceptent, refusent ou s’agacent. De même, Éléments n’a jamais été « sinueusement flatteur », mais sincèrement intéressé par un document sur les coulisses du journalisme à la française, qui reste passionnant malgré le coup de Jarnac à notre endroit par son auteur !

Pourquoi avions-nous pris contact avec Aude Lancelin ? Il se trouve que l’excellent journaliste Saïd Mahrane avait évoqué, dans Le Point, les mânes de Jean Cau, de Guy Hocquenghem et de la Nouvelle Droite pour saluer la sortie du livre de sa consœur. À Éléments, nous avouons quelques faiblesses: certains noms agissent sur nous comme des décharges électriques. Cau et Hocquenghem en font partie. Ils nous ont conduits au livre d’Aude Lancelin. Il n’y a pas à regretter nos engouements. Ils nous permettent de mettre au jour les mauvaises manières.

C’est ainsi que pour se dédouaner, Aude Lancelin reprend l’antienne surannée de certains journalistes, qui n’ont jamais fait l’effort de nous lire, selon laquelle les intellectuels ou les écrivains que nous interrogeons sont au mieux de doux illuminés qui ne se rendent pas compte de ce qu’ils font, et au pire des victimes que nous piégeons, tant il est vrai que nous avançons masqués pour collectionner « des fétiches de la gauche » dans nos colonnes. « Ils [Éléments] savent très bien ce qu’ils font, croit savoir Aude Lancelin. C’est dommage qu’il n’y ait pas toujours en face la même intelligence stratégique. »

De quoi cette accusation est-elle le nom ? Au delà du désarroi d’une journaliste qui a du mal à se défaire des reflexes conditionnés inculqués par ses anciens employeurs, il convient de préciser qu’Éléments n’a jamais fait de chasse aux « fétiches de gauche ». Pour rappel, Éléments a toujours été un magazine du temps long. Mais qu’importe ! La sidération d’Aude Lancelin ne s’arrête pas à ce genre de chose. Prenons l’exemple de Jacques Julliard qui l’inquiète tant. « Je suis estomaquée, dit-elle, quand je vois Jacques Julliard interviewé à la une d’Éléments. Ce n’est pas possible de s’exprimer dans les colonnes d’Alain de Benoist, cela revient à orchestrer son blanchiment. »

[ la journaliste affirme avoir lu Les Hauteurs béantes d’Alexandre Zinoviev, dont Éléments s’honore d’avoir publié un grand entretien dans les années 2000 alors que l’écrivain russe était interdit dans les colonnes du Nouvel Observateur pour déviationisme rouge-brun ! ]

C’est à notre tour d’être « estomaquée » par l’aplomb d’Aude Lancelin. N’a-t-elle pas dirigée les rubriques « Idées » de deux grands hebdomadaires parisiens (Le Nouvel Observateur et Marianne) pendant plus d’une décennie où elle a côtoyé quotidiennement Jacques Julliard, qui n’a jamais caché l’attention qu’il portait aux travaux d’Alain de Benoist ? N’a-t-elle jamais ouvert la revue Mil neuf cent, anciennement Cahiers Georges Sorel, que dirige le même Jacques Julliard et dans laquelle Alain de Benoist a collaboré bien avant que Julliard n’intervienne dans les colonnes d’Éléments ?

D’un certain point de vue, la situation intellectuelle est bien plus grave que l’imagine Aude Lancelin ! Et pour prendre le cas de Jacques Julliard, bien malin celui qui peut dire qui a été le premier à exhiber un fétiche de droite (Alain de Benoist) dans une revue de gauche (Mil neuf cent) ou un fétiche de gauche (Jacques Julliard) dans une revue de droite (Éléments) ? À coup sûr et l’un et l’autre, qui sont des esprits libres, s’en soucient comme d’une guigne.

Trop occupé à survivre au sein de la haute hiérarchie des grands médias parisiens, Aude Lancelin n’a pas vu, n’a pas voulu voir et, malheureusement, ne voit toujours pas la nouvelle culture qui s’élabore sur les marges, dans les petites revues dont on ne parle pas dans les revues de presse, dans les clubs de pensée dissidents qui ne sont pas subventionnés et sur les sites de « réinformation » qui éclosent sur Internet. Cette nouvelle culture échappe pour une large part au clivage droite-gauche. Et c’est tant mieux !

Il ne faut pas désespérer d’Aude Lancelin : elle est sur la bonne voie. En publiant Le monde libre, elle a effectué un premier pas en dehors du système médiatique – et c’était la raison pour laquelle nous l’avions conviée à un dialogue dans Éléments. Il faut lui laisser du temps pour comprendre que son monde a basculé définitivement. Pour écrire son livre, Le monde libre, la journaliste affirme avoir lu Les Hauteurs béantes d’Alexandre Zinoviev, dont Éléments s’honore d’avoir publié un grand entretien dans les années 2000 alors que l’écrivain russe était interdit dans les colonnes du Nouvel Observateur pour déviationisme rouge-brun ! Telle est prise qui croyait prendre !

Mais après Zinoviev, c’est Marcel Proust qu’Aude Lancelin devrait lire. La journaliste parisienne doit en effet quitter au plus vite sa panoplie de maîtresse de maison bourgeoise qui distribue les bons et les mauvais points, telle madame Verdurin qui s’inquiète de la moralité des invités de son salon et se vexe à chacune de leur incartade. À cet égard, les leçons de stratégie de communication qu’elle assène à Jean-Claude Michéa et ses reproches en provincialisme ont quelque chose de gênant pour le lecteur.

– Non, ma chère, ce n’est plus possible d’inviter Michéa dans notre salon, c’est « un rouge-brun, ce qui n’est pas très flatteur », et puis « cela devient très compliqué de le citer parmi la gauche intellectuelle ».

(1) Correspondance entre Pascal Eysseric et Aude Lancelin

Le 18 octobre 2016 à 12:55, Pascal Eysseric a écrit :

Mme Lancelin,

Sans aller jusqu’à dire comme Saïd Mahrane dans Le Point que vous avez « vu la même chose » que la Nouvelle Droite (je m’en voudrais de vous compromettre!), j’ai tout de même été saisi à la lecture de votre livre, passionnant au demeurant, par le nombre de convergences, de préoccupations et de lectures communes.

Nous avons l’intention de publier une recension de votre livre dans le prochain numéro d’Éléments. Peut-on imaginer y adjoindre un entretien avec vous ?

En vous remerciant de l’attention que vous porterez à ma requête,

Bonne journée,

Pascal Eysseric,

rédacteur en chef
Revue Éléments

Le 19 octobre 2016 à 12:12, Aude Lancelin a écrit :

Monsieur, 

Merci pour votre intérêt. Malheureusement, les conditions d’un dialogue ne sont pas réunies. Nous partageons peut-être des constats, mais nos buts divergent entièrement. 

Bien cordialement, 

A.L.

Le 19 octobre 2016 à 16:06, Pascal Eysseric a écrit :

Madame Lancelin, 

Depuis plus de quarante ans, Éléments se veut être le «magazine des idées». Guy Hocquenghem en son temps et Jacques Julliard plus récemment, mais tant d’autres encore, intellectuels, cinéastes, poètes, gens de droite ou de gauche, n’ont pas estimé nécessaire de poser des « conditions » à un dialogue avec Éléments pour y figurer au sommaire. Ceci dit, je vous prie de bien vouloir me croire si je vous dis que je souhaite ardemment les connaitre afin de pouvoir lever tous vos doutes.

Car, pour l’heure et pour le dire sans détour, je m’interroge sur la teneur de ces fameuses « conditions » qu’Éléments ne peut réunir mais qu’apparement Jean-Jacques Bourdin, pourtant peu porté à la lecture de Jean-Claude Michéa ou d’Alain Badiou, a pu convoquer le 10 octobre dernier pour vous recevoir sur « Bourdin Direct ». Ma surprise à la lecture de votre réponse est d’autant plus grande que je n’imagine pas une seule seconde que vous partagiez les « buts » de BFM TV

Vous n’avez rien à craindre à accepter de dialoguer avec les journalistes bénévoles d’Éléments qui ont lu, analysé, annoté votre livre… sinon la surprise que « nos buts », comme vous dites, ne divergent pas autant que vous l’aviez prévu avant de nous rencontrer. 

Bien cordialement,
Pascal Eysseric

Le 19 octobre 2016 à 17:00, Aude Lancelin a écrit :

Monsieur, 

Je ne souhaite nullement dialoguer avec un journal de la droite identitaire, c’est aussi simple que cela. J’agirais de même avec Valeurs actuelles si jamais l’idée leur traversait l’esprit. J’ai d’ailleurs trouvé navrant que Jacques Julliard le fasse, et je l’ai même écrit noir sur blanc dans le livre que vous avez lu. Laissez-moi à ma cohérence. 

Merci encore pour votre intérêt et restons-en là je vous prie, mon intention n’était nullement de polémiquer. 

Aude Lancelin

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