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L’économie est-elle une science barbare ?

L’économie est-elle une science barbare ?

La finance dite « responsable » ressemble à une contradiction dans les termes (en plus d’être un effet de mode). Ce qu’elle est dans la plupart des cas. À rebours de cette conception, Alexis Rostand, investisseur et gérant de fonds, postule dans un essai qui vient de paraître (L’économie, science barbare ? Une philosophie de l'investissement) qu’une philosophie de l’investissement doit réinvestir les travaux des philosophes et y chercher des orientations économiques. L’occasion pour Champs communs, le laboratoire d’idées de la reterritorialisation de Guillaume Travers, de poser les enjeux d’une économie authentiquement responsable.

Dans le monde de la finance, on ne parle plus que d’investissement « responsable », de fonds « à impact », etc. Mais qu’entend-on vraiment par-là ? C’est la question qui dérange. La quasi-totalité des acteurs se contentent de faire confiance à des notes fournies par des agences spécialisées. Ce marché pose plusieurs problèmes, le plus important d’entre eux étant peut-être le fait que, faute d’une définition claire, il n’existe qu’une corrélation très faible entre les notes fournies par diverses agences. Par conséquent, en choisissant une agence particulière, un fonds ou une entreprise peuvent soudainement être mieux notés et avoir l’air plus « responsables ». Il n’est donc guère étonnant que certaines des entreprises impliquées dans des scandales récents (à l’image d’Orpea) aient eu des notes ESG très élevées.

La barbarie des chiffres

L’approche d’Alexis Rostand, investisseur et gérant de fonds, est ici toute différente. Son point de départ est très profond. Relisant nombre de philosophes, il pointe la racine du problème, non ses manifestations épiphénoménales : nous sommes devenus des « barbares ». Qu’est-ce à dire ? Le monde n’est plus pour nous que quelque chose d’extérieur, que nous ne comprenons plus intérieurement ; nous ne sommes plus capables d’établir des relations organiques entre les hommes et avec les choses ; tout sens du monde, de sa totalité, s’est donc effacé. L’investisseur moyen est exactement dans cette situation : il ne juge que par les opportunités de profit et, quand il veut teinter son acte de « responsabilité », il se tourne encore vers quelque chose d’extérieur – une note ESG (environnement, social, gouvernance) qu’il ne comprend pas vraiment. C’est donc un barbare, au sens philosophique ; il ne manie que les chiffres et non les significations. Jamais il ne s’interroge intérieurement sur ce qu’il fait.

Pour investir de manière vraiment responsable, il faut lutter contre cette barbarie. Avant chaque décision, il nous appartient de nous interroger sur son sens, sa signification, et les relations qu’entretient cette décision avec la totalité de l’être. Pour nous y aider, Alexis Rostand propose un bref parcours à travers l’histoire de la philosophie, et indique des noms et des idées qui peuvent servir de jalons : Aristote ou Toynbee, Girard ou Ortega y Gasset. On le suit avec plaisir et intérêt. C’est autrement stimulant que bien des écrits fades et techniques sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE).

Alexis Rostand, L’économie, science barbare ? Une philosophie de l’investissement, Boleine, 2023, 212 p., 15 €.

Retrouvez Guillaume Travers dans Champs communs, le laboratoire d’idées de la reterritorialisation : www.champscommuns.fr

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