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Le mensonge du recyclage

Le mensonge du recyclage

Le logo du recyclage est partout, sur tous les produits, toutes les poubelles, toutes les affiches. Pourtant, nos villes, nos campagnes et nos mers sont jonchées d’ordures. On recycle tout le temps, et les détritus sont partout. Il y a quelque chose de pourri au royaume des poubelles.

Selon les chiffres officiels, un Français jette chaque année 360 kilos de déchets. Un kilo par jour et par habitant, dont 40 % est recyclé. On pourrait faire mieux : les Allemands recyclent environ 60 % de leurs déchets. A chacun donc d’être un éco-citoyen responsable et nous entrerons dans une économie circulaire où l’on n’aura plus besoin d’extraire des matériaux, un monde sans mines, sans décharges et sans pollution, un monde aux ressources illimitées, bref un pays de cocagne.

Ces chiffres officiels sont parfaitement exacts et parfaitement trompeurs, car ces 360 kilos par an et par habitant de déchets ménagers ne représentent qu’une part de nos déchets. Si l’on ajoute les déchets mis en déchetterie, on passe à 600 kilos par an. Si l’on ajoute tous les déchets issus de la production des marchandises avant même qu’elles ne soient consommées et jetées, ce qui donne l’emprunte matière globale, on arrive à la masse réelle des déchets : 12 tonnes par habitant et par an. Chaque kilo jeté n’est donc que le bout du processus, la partie émergée de l’iceberg des déchets. A chaque kilo d’ordures ménagères il faut ajouter 20 kilos invisibles et pourtant bien réels.

Produire un T-shirt fait 7 kilos de déchets, en majorité les résidus du charbon brûlé – le textile est produit en Asie – résidus toxiques et non recyclables. Une simple tomate industrielle de quelques grammes mise au composteur traîne après soi toute sa production (machines, engrais, énergie, transports) qui génère d’énormes quantités de déchets. L’addition est lourde dès que l’on regarde l’emprunte globale : 100 milliards de tonnes sont extraits chaque année – en gros, une muraille de 10 mètres de large, 275m de haut, faisant le tour de la terre, chaque année. Sur cette masse, 30 % sont recyclables et 9 % sont effectivement recyclés.

Cette masse de déchets ne cesse de croître. On s’attend à 70 % de déchets en plus d’ici 2050, le seul plastique dans les océans devrait tripler d’ici 2040. On produit toujours plus de déchets, la majorité de ces déchets n’est pas recyclée mais perdure et s’accumule. Ce bilan accablant conduit à une question essentielle : si l’on recycle en réalité si peu, moins de 10 %, est-ce pour des raisons conjoncturelles – le recyclage est mal organisé – ou pour des raisons structurelles ? Pour trois raisons, les limites du recyclage sont structurelles.

Les limites structurelles du recyclage

D’une part pour des raisons physiques. On connaît la célèbre formule de Lavoisier « rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme ». On sait moins souvent que cette formule est fausse. La loi d’entropie, la seconde loi de la thermodynamique, établit une déperdition inévitable : il est impossible de recycler à 100 %. L’aluminium se recycle sans aucun problème, pourtant recycler une canette ne donnera jamais une autre canette. De même, avec les textiles usagés on fait des chiffons de piètre qualité non recyclables. Les emballages en carton deviennent du papier toilette, non recyclable. Les bouteilles en plastique donnent de la laine polaire, non recyclable. Ce que l’on appelle recyclage n’est pas une boucle infinie mais une réutilisation un nombre limité de fois. Cerise sur le gâteau, le recyclage est une industrie, qui comme toutes les industries consomme de l’énergie – on chauffe beaucoup pour recycler – et génère des déchets ultimes, non recyclables.

D’autre part pour des raisons techniques. Plus un produit est technologiquement avancé, plus il est difficile à recycler : miniaturisé, contenant d’innombrables matériaux en quantités infimes, sans cesse renouvelé ce qui empêche de créer des chaînes de recyclage industriel. De vieilles chaussettes en coton se recyclent aisément, pas des chaussettes anti-transpirantes contenant de l’aluminium et des fibres synthétiques. Le progrès technique n’améliore pas le recyclage, mais le diminue : plus on innove, moins on recycle.

Enfin, pour des raisons économiques. La croissance économique réclame toujours plus de marchandises toujours plus éphémères grâce à la mode, l’obsolescence programmée, l’innovation. Ce sont autant de déchets : la courbe du PIB et celle des déchets sont corrélées. La mondialisation accentue ce phénomène : pour produire à bas coût on produit loin, donc on transporte, donc on emballe. Mais en même temps qu’elle démultiplie les déchets, la croissance limite le recyclage. Les experts ne parlent pas de « recyclage » comme tout le monde, mais de « valorisation des déchets » : cela dit tout. Il s’agit transformer les déchets en ressources. En les considérant comme des marchandises ayant de la valeur on les soumet à la loi des marchandises, la loi du profit. La valorisation n’est donc possible que si le coût des matériaux recyclés est égal ou inférieur au coût des matériaux neufs. L’or est recyclé à 99 %. Le lithium, qui ne vaut rien, est recyclé à 1 % bien qu’il soit présent dans toutes les batteries. Le recyclage n’est pas une démarche écologique, c’est une autre manière d’extraire des matériaux, qui considère la ville et ses poubelles comme une mine à exploiter dans la stricte limite de la rentabilité économique. Le recyclage ne diminue pas l’extraction, il s’y ajoute.

Les riches déversent leurs déchets chez les pauvres

Résumons. Contrairement à tous les discours, contrairement à ce petit logo vert omniprésent, nous recyclons très peu, moins de 10 % de l’empreinte matérielle globale. La masse déjà phénoménale de déchets produits ne cesse de croître. Ce n’est pas essentiellement dû à l’incompétence des politiques ni à la négligence des particuliers, c’est lié à des causes structurelles, physiques, techniques, économiques. La société de consommation génère toujours plus de déchets qu’elle ne peut pas recycler, tout en prétendant recycler pour décomplexer le consommateur. Ces déchets s’accumulent partout, dans des décharges, dans l’air lorsqu’ils sont incinérés, dans les océans, dans nos poumons, dans nos cheveux, dans nos cellules. Tout est saccagé, même l’espace où orbitent 150 millions d’objets divers, satellites obsolètes, morceaux de fusées, débris.

Cette accumulation de déchets pose des problèmes éthiques, puisque les riches déversent leurs poubelles chez les pauvres, en particulier en Afrique. Il ne faut pas s’étonner s’ils quittent leurs terres souillées pour venir chez nous. L’accumulation des déchets pose aussi des problèmes sanitaires : la pollution de l’eau et de l’air fait 11 millions de morts par an, soit la létalité moyenne de la seconde guerre mondiale (60 millions de morts en 5 ans). Cela pose enfin des problèmes esthétiques que n’importe qui peut constater. Chaque jour notre monde devient un peu plus une poubelle, à cause de la divine croissance économique. Le veau d’or patauge dans sa fange.

Les déchets sont ainsi un puissant révélateur de la réalité concrète que les beaux discours du recyclage dissimulent. Montre-moi tes poubelles, je te dirai qui tu es. Le verdict est sans appel : le capitalisme, avec sa production industrielle, sa société de consommation et sa soif intarissable de profit, a comme envers une accumulation sans cesse croissante de déchets. Il façonne un monde injuste, insalubre et laid. Si l’on n’aime pas trop fouiller dans nos poubelles, c’est aussi parce qu’elles nous rappellent que l’on ne peut pas rechercher la vertu et en même temps la croissance, aimer la nature et l’innovation, désirer la beauté et la réindustrialisation. Tous les vertueux petits logos verts n’y changeront rien : le monde de l’argent est un monde d’ordures.

N.B. : Les chiffres ici donnés viennent de chercheurs reconnus issus d’institutions publiques et d’ONG patentées : J. Cavé (IRD) & Y-P. Tastevin (CNRS), La Civilisation du déchet ; N. Gontard (INRAE) : Plastique, Le grand emballement ; F. Berlingen (Zero Waste) : Recyclage, Le grand enfumage ; les rapports de Systex.

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