Le magazine des idées
Illustration de Gerda Muller, couverture de Marlaguette, écrit par Marie Colmont.

Le loup et les bisounours

Depuis plusieurs jours, une publicité pour le groupe « Intermarché », sous la forme d’un bref conte de Noël mettant en scène un loup esseulé et rejeté du fait de son alimentation carnassière, connaît un succès fulgurant et considérable sur les réseaux mondiaux. Ce film d’animation réalisé par un studio français n’a cependant pas convaincu Eric Grolier qui en dénonce la niaiserie « vivre-ensembliste ».

Et l’Occident tout entier de s’extasier devant la dernière pub d’Intermarché, petit film d’animation prônant le « mieux manger » dans l’optique, toujours, d’un « vivre-ensemble » à la sauce bobo – cuisine woke bien entendu – et aux finalités évidemment commerciales…

De quoi s’agit-il ?

D’un loup en peluche offert à Noël à un enfant qui en a peur. Pour le rasséréner, le père ou l’oncle ou un ami de la famille (on ne sait pas bien) lui raconte une histoire : celle d’un loup qui voudrait bien avoir des amis mais qui effraye tout le monde avec ses habitudes carnivores. Pour briser sa solitude et sur les conseils d’un hérisson (pourtant pas le plus végétarien de la bande), il décide de cuisiner des légumes (et du poisson, on n’est pas à une contradiction près au royaume des bonnes intentions) pour se faire accepter par les autres animaux lors du grand banquet de Noël. Du coup, l’enfant du début s’endort en serrant la peluche contre lui, et le conteur s’attire le regard admiratif de tous les convives en plus de celui énamouré de sa compagne ou de sa sœur (on ne sait pas non plus).

Reconnaissons que ce petit film, vraie-fausse pub garantie sans IA mais pas sans bons sentiments, parfaitement servi par la chanson le « Mal-aimé » de Cloclo, est très bien fait. Il instrumentalise l’univers de l’enfance pour s’adresser aux adultes (ce sont eux qui font leurs courses à Intermarché), plus particulièrement aux bobos mis en scène, laissant le champ libre à leurs fantasmes et leurs préoccupations : une alimentation sans viande et une nature apprivoisée où il est possible de choisir celui que l’on veut être ; un monde indifférencié, apaisé, où prévalent les désirs de chacun.

L’engouement excessif que cette pub suscite est révélateur de la bisounoursisation de l’Occident, qui se cache sous la couverture en espérant que le monde réel, qui se révèle chaque jour plus brutal, le laisse tranquille.

Il existe pour les (véritables) enfants une autre histoire de loup, plus belle et plus vraie. Racontée dans un album paru chez Flammarion-Père Castor en 1952 : Marlaguette, écrit par Marie Colmont et illustré par Gerda Muller.

Marlaguette est une fillette qui cueille des champignons dans les bois. Une grosse bête l’attrape et l’emporte : c’est un loup. Mais elle se débat tellement qu’il se cogne la tête et se blesse. Oubliant sa peur et sa colère, Marlaguette décide de le soigner. Le loup, reconnaissant, n’ose plus la toucher. La fillette en profite pour lui interdire de manger des animaux. Seulement voilà, le loup s’affaiblit et tombe gravement malade. Un sympathique chasseur lui explique que le loup a besoin de viande pour vivre. Pour Marlaguette, c’est une terrible révélation : la nature du loup l’oblige à manger les autres animaux. « Je te dédis de ta promesse, lui dit-elle alors. Va vivre au fond des bois comme vivent tous les loups. » Marlaguette vient d’apprendre que la plus belle preuve d’amitié, c’est d’accepter l’autre tel qu’il est. L’album s’achève sur cette phrase superbe, qui il y a soixante-dix ans s’adressait aux enfants entre trois et six ans :

« En peu de temps, le loup redevint fort et beau. Mais il ne tuait maintenant que lorsqu’il avait faim et jamais plus il ne mangea de petit enfant. Parfois, de loin, entre les branches, il voyait passer la robe claire de Marlaguette et cela lui faisait à la fois plaisir et tristesse. Et Marlaguette regardait souvent vers le fond des bois, avec son doux sourire, songeant à cette grande bête de loup qui, pour l’amour d’elle, avait accepté pendant des jours de mourir de faim… »

Je vais peut-être, en critiquant le clip du loup végétarien, faire figure de vieux grincheux insensible à la magie de Noël. Mais je suis persuadé que les adultes devraient relire Marlaguette, regarder à nouveau le monde tel qu’il est, et cesser de maltraiter l’imaginaire des enfants qui méritent, quelle que soit l’histoire, qu’on leur dise la vérité.

© Illustration de Gerda Muller, couverture de Marlaguette, écrit par Marie Colmont.

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