Le magazine des idées
Rencontre de Nicoals Gauthier avec Gérard de Villers

Le grand retour des espions. Affaire Pegasus ou OSS117 ?

L’affaire Pegasus, du nom du logiciel israélien, a rappelé combien l’espionnage restait plus que jamais l’allié – parfois indiscret – du pouvoir. La fin de la guerre de froide n’en a pas signé la mort. Au contraire. L’âge d’or de l’espionnage est-il devant nous ? C’est la question qu’« Éléments » soulève dans son numéro d’été, à l’occasion de la sortie d’OSS117 et prochainement du nouveau James Bond.

ÉLÉMENTS : Le roman d’espionnage est étroitement associé à la guerre froide. A-t-il survécu à la chute du mur de Berlin ?

NICOLAS GAUTHIER. Oui, même si ce n’était pas forcément gagné d’avance. Avant la chute du Mur de Berlin, la littérature d’espionnage est un peu chasse gardée de la droite, à la notoire exception du Commander, de G.-J. Arnaud, excellent écrivain au demeurant – on lui doit la saga de La Compagnie des glaces –, mais à peu près aussi plausible en géopolitique que Marguerite Duras en danseuse de pole dance. Après, le pire ennemi, comme toujours, c’est la paresse intellectuelle : avec la fin du communisme, ces gens pensent que l’affaire est pliée, que Francis Fukuyama a raison en prophétisant la fin de l’histoire. En miroir, ajoutons que certaines vieilles barbes d’extrême droite persistent à voir du marxisme-léninisme là où il n’y en a plus, ne comprenant pas, ou refusant de comprendre, que la Chine néo-capitaliste et post-maoïste n’est pas l’ultime réduit bolchevique où l’Ordre rouge ourdirait sa revanche ; un peu comme certains esprits de gauche, tout aussi illuminés, pensaient naguère que les nazis avaient colonisé la face cachée de la Lune afin de préparer le retour du Quatrième Reich.

Le seul qui, à l’époque, sait raison garder, alors que je l’interviewe pour Minute, c’est évidemment Gérard de Villiers, le père de SAS. Lui me dit que l’histoire n’est jamais finie, qu’elle n’est pas linéaire, mais faite de cycles. Il m’assure ainsi que le prochain danger sera le terrorisme islamiste, sachant que les Américains ont réveillé une sorte de bête endormie en réactivant le djihadisme en Afghanistan, alors que le concept de Djihad militaire, petit Djihad à ne pas confondre avec le grand Djihad, lutte intime consistant à lutter contre ses démons intérieurs, était tombé en désuétude théologique depuis belle lurette. Tout cela fut malheureusement remis à l’honneur, sur fond de cet angélisme mâtiné de cynisme, propre à la CIA, avec pétrodollars saoudiens, onction religieuse égyptienne et piétaille arabo-magrébine en renfort ; soit la matrice de qui allait devenir Al-Qaeda et de Daech. Pareillement, Gérard de Villiers écrivait déjà sur le réveil à venir de la Russie, ravagée par les années Boris Eltsine, et la montée en puissance d’une Chine depuis longtemps sortie de son sommeil.

Le genre a donc survécu, pour répondre à votre question. J’ajouterai même que l’Anglais John Le Carré fut tout aussi clairvoyant en investissant un champ géopolitique délaissé par Gérard de Villiers : la mondialisation et le règne à venir des multinationales à la puissance mille que sont désormais les GAFAM.

ÉLÉMENTS : Il y a des BD de droite et de gauche, des polars de droite et de gauche, mais pas vraiment de romans d’espionnage de gauche. Pourquoi ? Faut-il être de droite pour en apprécier le sel ?

NICOLAS GAUTHIER. Tout simplement parce que l’homme de gauche a souvent tendance à croire aux « gentils et aux méchants » et que l’homme de droite est généralement plus enclin à moins prendre ce concept au sérieux. En effet, le monde des services secrets n’est pas celui des idéologies. Malgré les changements de régimes, la raison froide des États demeure, fondée sur une géographie immuable et des intérêts immémoriaux. Je conçois que cela puisse être très frustrant pour un esprit progressiste, mais la réalité n’est pas très romantique. J’en veux pour preuve l’épopée cubaine du siècle dernier. L’extrême gauche en pinçait pour Fidel Castro et l’extrême droite ne rêvait que de le jeter vivant aux homards et aux requins. Mais en coulisses, Juan-Manuel Fraga, l’homme fort du franquisme, était copain comme cochon (malgré la baie éponyme) avec le Lider Maximo, par détestation du Yankee, tout simplement. À gauche comme à droite, voilà qui faisait désordre, mais c’était ainsi. La réalité n’est jamais très belle à voir. L’homme de droite s’en accommode, persuadé qu’il est que l’humanité n’a pas encore inventé la machine à décambrer les bananes. Celui de gauche, lui, peine à la tâche, de peur qu’on lui casse ses jouets. Pour résumer, il n’aime guère recevoir des nouvelles du réel…

ÉLÉMENTS : Il y a toute une mythologie de l’espionnage, l’espionnage britannique ou israélien, les Soviétiques. Survivra-t-elle à la gadgétisation, aux drones, aux puces, etc. ?

NICOLAS GAUTHIER. Votre question tombe en pleine actualité, avec le « scandale » du logiciel israélien Pegasus, dont on dit qu’il permettrait d’entrer dans les téléphones de plus de cinquante mille personnalités médiatiques et politiques, dont Emmanuel Macron. Mais cela n’a rien de nouveau : depuis la nuit des temps, les nations s’espionnent et seuls les moyens changent. Ensuite, les fantastiques progrès technologiques autorisent des possibilités jusque-là tenues pour inespérées. Pourtant, je demeure persuadé que rien ne remplacera jamais le renseignement humain, ces bonnes vieilles méthodes psychologiques consistant à faire boire l’un au comptoir tandis que l’autre vide son whisky dans les plantes vertes, histoire de demeurer d’équerre, tout envoyant dans le lit de la cible une fille fuselée comme une Maserati. D’ailleurs, connaissez-vous les trois règles de la trahison ? L’argent, l’idéologie et, surtout, la frustration engendrée par le manque de reconnaissance de ses employeurs. Et il n’y aura jamais de 5G ou de 36G contre ça… D’ailleurs, pour se préserver de la surveillance technologique planétaire, il suffit de ne plus se servir de téléphones ou d’ordinateurs. Croyez-moi, l’être humain et les pigeons voyageurs ont encore de beaux jours devant eux.

Photo : Rencontre et entretien entre Nicolas Gauthier et Gérard de Villiers l’auteur des SAS.

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