La transition énergétique consiste à opérer une conversion dans la production d’énergie, de passer des énergies fossiles comme le charbon, le gaz ou le pétrole aux énergies décarbonées ou renouvelables, comme les énergies nucléaire, hydroélectrique, solaire, éolienne.
J.-B. Fressoz en a fait l’histoire. L’idée de transition énergétique apparaît pour la première fois aux États-Unis dans les années 60 portée par le lobby nucléaire. En effet, l’électricité nucléaire plus chère et plus dangereuse semblait condamnée, alors une campagne fut organisée, qui soulignait que les énergies fossiles étaient en quantité limitée et qu’il fallait préparer l’avenir en développant une nouvelle énergie, disponible en quantité illimitée grâce à des réacteurs de nouvelle génération. La transition énergétique est à l’origine un slogan industriel.
Quelques années plus tard les premières inquiétudes écologiques émergent. L’idée de transition énergétique est alors reprise, mais dans un autre contexte. Il ne s’agit plus de remplacer des énergies fossiles limitées par des énergies renouvelables illimitées, mais de remplacer des énergies fossiles émettrices de gaz à effet de serre par des énergies nouvelles décarbonées.
Au sommet de Rio en 1972 les États se sont engagés dans cette transition énergétique, appelée aussi développement durable ou croissance verte. Le New York Times titrait en 1977 : « Les États-Unis et le monde à la veille de la transition énergétique ». Pourtant, le réel est têtu : en un demi-siècle de transition énergétique on extrait toujours plus de charbon et de pétrole, et les émissions de CO2 ont doublé. La transition proclamée n’a jamais eu lieu.
En réalité, il n’y a jamais eu de transition énergétique, mais une accumulation énergétique. Le charbon s’est ajouté au bois, puis le pétrole s’est ajouté par-dessus, etc. Les énergies dites renouvelables ne se substituent pas aux énergies fossiles, elles s’y ajoutent. Davantage d’éolien ne signifie pas moins de pétrole. Ce schéma aussi simple que connu le montre avec évidence :

Depuis plus d’un demi-siècle tout le monde parle d’une transition que personne n’a jamais vue. La transition énergétique est bel et bien depuis le début un discours, un slogan qui ne correspond à rien de réel. Mais il ne suffit pas de dénoncer cette imposture, encore faut-il comprendre pourquoi la transition énergétique n’existe pas. Il y a au moins deux raisons à cela.
La première raison a été récemment portée à la connaissance des profanes par Aurore Stephant et Célia Izoard. S’il n’y a jamais eu et n’y aura jamais de transition énergétique, c’est que les énergies renouvelables n’existent pas. Cela surprend, c’est pourtant évident. Le vent est effectivement une énergie propre et renouvelable, cependant on ne fait pas tourner sa machine à laver avec du vent, mais avec de l’électricité produite par une éolienne. Une éolienne ordinaire de 3MW et 120 m de haut contient trois tonnes d’aluminium, 2 tonnes de terres rares, 4.7 tonnes de cuivre, 335 tonnes de fer et 1200 tonnes de béton. Les énergies dites renouvelables ont en réalité des énergies métalliques.
Tous ces métaux sont extraits de roches où ils sont présents en des quantités toujours moindres. En moyenne dans une mine le minerai est présent à 0.4 % – pour l’or indispensable au numérique, c’est 0.006 % – ce qui signifie que l’extraction minière génère 99.6 % de déchets. Pour produire les 4.7 tonnes de cuivre de l’éolienne, il faut extraire 470 tonnes de roche ; pour produire les 700 kgs de la batterie d’un SUV moyen, on génère 70 tonnes de déchets. Pour séparer le métal recherché de sa gangue rocheuse, il faut d’énormes quantités d’eau, d’énergie et d’acides. L’industrie minière est de loin l’activité humaine la plus destructrice de l’environnement.
Pour électrifier la consommation actuelle d’énergie il faudrait multiplier par 10 l’extraction de minerais. Mais c’est une moyenne : il faudrait produire 28 fois plus de cuivre, 1000 fois plus de lithium. La seule électrification du parc automobile anglais absorberait deux fois la production mondiale de cobalt.
La transition énergétique est donc impossible, il n’y a pas assez de minerai ; elle n’est pas souhaitable, la ruée minière étant déjà un désastre écologique. En réalité, ce que l’on nomme transition énergétique consiste à passer des fossiles aux métaux, lesquels ne sont pas renouvelables et polluent énormément lors de leur extraction. D’une économie basée sur l’extraction des fossiles à une économie basée sur l’extraction des métaux, la continuité est flagrante : une même conception de tout ce qui est comme fonds ou stock disponible à exploiter en vue du profit.
La seconde raison pour laquelle il n’y a pas de transition énergétique a été développée par J.-B. Fressoz : les énergies sont en symbiose, elles vont ensemble, si bien qu’en augmenter une c’est augmenter les autres. C’est pour cela qu’elles s’accumulent sans se remplacer.
Prenons une voiture, incarnation de l’ère du pétrole. Le premier matériau de sa fabrication, c’est du charbon, puisqu’il faut 800 kg de charbon pour faire 1 tonne d’acier, sans parler du charbon nécessaire à la production du ciment des routes et des ponts. D’après Fressoz, une voiture consomme à peu près autant de charbon lors de sa fabrication (7 tonnes en moyenne) que de pétrole pour rouler. Ford en était bien conscient, lui qui avait acheté plusieurs mines de charbon. Plus de pétrole, c’est plus de voitures, donc plus de charbon.
De même, les énergies renouvelables ne vont pas sans énergies fossiles. Les mégamines de la transition ont besoin de pétrole pour faire fonctionner les engins colossaux qui y travaillent, de pétrole pour la nitroglycérine qui les creuse, de pétrole pour les acides qui raffinent les métaux. Développer les énergies dites renouvelables c’est développer les mines donc développer le pétrole. Comme tout ce qui utilise du pétrole est en acier, plus de mines, c’est plus de pétrole et plus de charbon. Et puisque le numérique est partout, il faut aussi plus de bois, car le charbon de bois est le matériau de base du silicium dont toutes les puces sont composées. Toutes les énergies sont en symbiose, elles s’appellent l’une l’autre. On pourrait multiplier les exemples.
Voilà pourquoi il n’y a jamais eu de transition mais au contraire une accumulation : parce que les énergies propres et renouvelables n’existent pas, parce que les énergies sont imbriquées les unes dans les autres. La transition énergétique n’aura pas lieu.
Mais alors, pourquoi autant veulent-ils y croire ? Parce qu’elle est la seule réponse du capitalisme au réchauffement climatique. Comme personne ne veut renoncer au productivisme et à la société de consommation, on fait depuis 50 ans semblant de croire que ça va s’arranger d’un coup de transition magique. La transition énergétique qui n’existe pas a encore de beaux jours devant elle.