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Le Cosmos le titre de Krisis

Krisis : de quel cosmos parle-t-on ?

La dernière livraison de Krisis (numéro 54), très riche, vient de paraître. Son titre : « Cosmos ? » Vaste sujet !Par quel bout l’aborde ? À partir des anciennes mythologies ou à partir des sciences physiques. Alain de Benoist qui a dirigé ce numéro répond à nos questions.

ÉLÉMENTS. Cosmos, cosmos ! Que recouvre ce mot ? Comment l’appréhender, à partir des cosmogonies ou de la cosmologie ?

ALAIN DE BENOIST : On pourrait dire que la cosmogonie a précédé la cosmologie, comme l’astrologie a précédé l’astronomie. Cependant, dans « cosmogonie », on trouve le verbe grec gon qui signifie « engendrer ». Dans toutes les sociétés traditionnelles, la grande question que la contemplation du cosmos a fait naître est en effet celle de son origine. D’innombrables récits ont été produits pour répondre à cette question, ce qui a conduit Mircea Eliade à voir dans les cosmogonies le « modèle exemplaire de toute manière de faire ». Chez les Indo-Européens, la conception la plus commune est celle qui fait naître le monde, non à partir de rien (ou d’une volonté créatrice), mais par différenciation progressive à partir d’un chaos primordial traversé de forces antagonistes. Cette idée d’un chaos originel est celle que privilégie par exemple la Théogonie d’Hésiode, où l’on voit Gaïa (la Terre) engendrer Ouranos (le Ciel). Dans la religion germanique, ce chaos correspond à un abîme béant appelé ginnungagap, où la rencontre de la glace et du feu donne naissance à un géant du nom d’Ymir, dont le démembrement va permettre la formation du monde.

     Jean Haudry a montré, dans ses nombreux travaux, que le tout premier système religieux des Indo-Européens communs, avant même la formation du système trifonctionnel, a été celui de la « religion cosmique », dont il décrit les grandes caractéristiques dans ce numéro de Krisis. J’aborde moi-même un sujet voisin, avec une étude très détaillée sur Yggdrasill, l’Arbre de vie des anciens Germains, qu’il faut se représenter comme un véritable axis mundi, puisque son sommet touche le ciel, tandis que ses racines s’enfoncent jusque dans les mondes souterrains.

ÉLÉMENTS. De quel cosmos la cosmologie nous parle-t-elle aujourd’hui, pour reprendre le titre de l’article de Françoise Bonardel dans ce même numéro ?

ALAIN DE BENOIST : La cosmologie, qui est l’étude proprement scientifique des lois qui régissent l’univers, est notamment représentée par un très bel article de l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet, qui jouit aujourd’hui d’une renommée mondiale grâce à ses travaux sur les trous noirs (son nom a même été donné à l’astéroïde n° 5523, découvert en 1991 à l’observatoire Palomar!). Dans des termes clairs et parfaitement accessibles, il décrit un « état des lieux » prenant en compte aussi bien le « modèle standard » que les découvertes récentes permettant d’aller au-delà, y compris en envisageant un « après Big Bang ». C’est tout à fait passionnant.

     Françoise Bonardel, tout comme Baptiste Rappin, Wolfgang Smith ou Raphaël Juan également présents dans ce numéro, aborde le sujet sous une angle différent, avec un superbe article intitulé « De quel cosmos la cosmologie parle-t-elle aujourd’hui ? ». C’est pour elle l’occasion d’aller au-delà des débats purement scientifiques pour établir des passerelles philosophiques et poétiques qui aideront le lecteur à recourir, non plus seulement aux forêts, mais au ciel étoilé !

ÉLÉMENTS. Si l’univers n’existe pas, comme l’établit le regretté Jean-François Gautier (dont vous publiez un extrait de son livre L’univers existe-t-il ?, paru en 1994 chez Actes Sud), qu’en est-il du cosmos ?

ALAIN DE BENOIST. Jean-François Gautier, qui était admirablement familier de la pensée grecque, ne confondait pas ce que les Anciens appelaient kósmos, un ensemble à leurs yeux harmonieux dont les sens déjà attestés chez Homère sont « ordre » et « ornement », avec ce que les Modernes appellent couramment « univers », en l’occurrence une immense étendue « bornée » dans l’espace et le temps. Gautier, qui incline vers l’idée d’un kósmos pluriel, éternel et infini, montre que ce que l’on dénomme « univers » repose bien souvent sur des propositions paradoxales, sinon contradictoires. Exemple : « Si l’on construit un concept d’Univers, on est forcé d’en faire une référence absolue en termes d’horloge, de telle sorte qu’aucune horloge qui lui serait extérieure n’existe ni ne puisse exister. Dès lors, si l’Univers contient la seule horloge possible, cela n’a plus aucune signification de se demander si cette horloge a démarré un jour ou si elle a toujours fonctionné » !

Une réponse

  1. Sujet oh combien passionnant. Content d’y lire J-P. Luminet – « l’Ecume de l’espace-temps » – qui est un bon vulgarisateur.
    « Les évènements sont l’écume des choses. Mais c’est la mer qui m’intéresse. » (Valery) 😉

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