Entre l’inconvénient qu’il y a à radoter et celui de n’être point entendu, il n’y a pas à barguigner. Radotons, donc. En aucun cas, un sondage n’a de valeur prédictive et celui-ci, pas plus que les autres, ne nous annonce le prochain locataire de l’Élysée en 2027, tant il peut se produire d’événements inattendus d’ici cette échéance. En revanche, un sondage effectué dans les règles de l’art nous donne une photographie du paysage politique du moment. Et, une fois de plus, les résultats de ce dernier n’évoquent pas la popularité de telle ou telle personnalité politique, mais les intentions de vote la concernant. En effet, ce n’est pas parce qu’on apprécie le communiste Fabien Roussel à titre humain qu’on ira forcément voter pour lui. Ce qui vaut à gauche vaut à droite ; autrement, Simone Veil aurait été élue présidente de la République au siècle dernier. L’idéal consiste forcément à conjuguer les deux. C’est rare ; sauf peut-être dans le cas de Marine Le Pen et Jordan Bardella.
Ici, cinq scénarios sont testés. Quatre avec Jordan Bardella et un avec Marine Le Pen. Pourquoi un tel déséquilibre ? Tout simplement parce que le premier est sûr de pouvoir se présenter à la magistrature suprême, au contraire de la seconde, suspendue à une décision de justice qui n’adviendra pas avant de le début de l’année prochaine. Quant aux autres compétiteurs, rien n’a été laissé au hasard, entre les hypothèses Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez, Olivier Faure et Raphaël Glucksmann, Xavier Bertrand et Gérald Darmanin. Même François Hollande a les honneurs de cette enquête ; c’est dire si elle est exhaustive.
Vers un raz-de-marée du RN ?
Le fait majeur ? Dans tous les cas de figure, Marine Le Pen et Jordan Bardella écrasent la concurrence. L’une est créditée de 34 % des voix ; l’autre de 35 % à 37,5%. Du jamais vu. Surtout lorsqu’on prend en compte la bonne tenue des candidats périphériques du RN : si Nicolas Dupont-Aignan est à la peine (2 %), Éric Zemmour et Sara Knafo oscillent entre 4,5 % et 6,5 %. Soit des forces qui, une fois cumulées, pourraient bien faire la différence en cas de second tour.
Et pour le reste ? L’autre enseignement est l’inéluctable érosion du vote Édouard Philippe, qui perd cinq points depuis avril dernier. Dans le meilleur des cas, il est à 19,5 % ; dans le pire, à 15,5 %. Ce n’est pas grotesque, mais il n’y a pas de quoi sabrer le champagne. Le plus embêtant pour lui consiste évidemment à faire oublier son héritage macronien et il n’est pas sûr que les Gilets jaunes et leurs enfants se ruent en masse pour le plébisciter. D’un autre côté, en demandant publiquement la démission d’Emmanuel Macron, il se met à dos les derniers fidèles du Président. Si l’on résume, le candidat du bloc central est comme le chanteur Gaston Ouvrard, « pas très bien portant ».
Retailleau et Wauquiez : le retour du lancer de nains ?
À droite, l’heure n’est pas non plus à sortir le mousseux, Bruno Retailleau, le dernier ex-futur espoir de la droite, se dégonfle à vue d’œil, tel que pronostiqué en ces colonnes, puisque tout au plus donné à 8,5 % des intentions de vote. Quant à Laurent Wauquiez, il culmine à 3 %, soit tout juste un point de plus que Nicolas Dupont-Aignan. Là, on ne trinque plus au mousseux, mais au Champomy. C’est sûrement le prix à payer pour la politique erratique du Vendéen, dont personne n’a bien compris pourquoi il avait quitté le gouvernement pour un motif futile – l’arrivée de Bruno Le Maire, comme s’il n’y avait pas plus grave dans la vie. Sans oublier sa querelle fratricide avec Laurent Wauquiez, à laquelle les Français, à juste titre, n’entravent que pouic. Pas plus qu’on ne comprend l’itinéraire tortueux d’un Gérald Darmanin, qui ne devrait pas dépasser les 7 %, tout juste devant Xavier Bertrand (5,5 %) dont la cervelle politique est un autre défi lancé à la science. On croyait que le lancer de nains avait été interdit depuis belle lurette. La preuve que non.
Le PS dans la tourmente…
Voilà pour le versant droit du bloc central. Son homologue de gauche n’est guère plus flambard. Olivier Faure, sûrement testé par la plus élémentaire des charités chrétiennes, plafonne à 5,5 %. Pour un Premier secrétaire du Parti socialiste, au moins peut-il respirer, Anne Hidalgo, candidate officielle du PS en 2022 ayant réalisé le score fantabuleux de 1,75 % ; soit largement deux fois moins que le vibrionnant Jean Lassalle. Et c’est donc Raphaël Glucksmann le candidat, à la fois officieux et parallèle du mouvement fondé par François Mitterrand qui sauve l’honneur sondagier, étant évalué entre 11 % et 13 %. Soit un peu plus que François Hollande, donné à 6,5 %. Là, plus question de champagne ou de mousseux : le jus de tofu devrait suffire. Au fait, on allait oublier l’autre Marine, madame Tondelier (5,5 %). Ce n’aurait pas été galant ; même si l’on sait que de sa veste vert pomme à la veste électorale à venir, il y aura bien quelques poires pour y croire.
Jean-Luc Mélenchon en embuscade ?
L’autre parti qui fait vraiment de la politique au lieu de gérer le déclin français en appliquant les potions du cercle de la raison, est évidemment La France insoumise ; la seule à finalement sortir son épingle du jeu dans ce panorama sondagier. Car Jean-Luc Mélenchon bénéficie d’un socle solide et de militants motivés qui savent, eux, pourquoi ils se battent. L’institut Elabe ne le crédite que de 11,5 % à 13 %, aune certes modeste, mais qui ne doit pas faire oublier que la Méluche peut se montrer redoutable en campagne électorale, surtout dans les derniers mètres précédant la ligne d’arrivée. Sa stratégie est d’autant moins nigaude que, face au rouleau-compresseur du RN, le ticket pour le second tour pourrait bien se situer aux alentours des 15 %, objectif parfaitement tenable pour notre homme.
Bernard Sananès, président d’Elabe, ne s’y trompe d’ailleurs pas : « Chez les 18-24 ans, un match se prépare entre Bardella et Mélenchon. » Soit le rêve secret du Líder Minimo : jouer la rue contre les urnes, fédérer enfin les punks à chien de Science-Po et les islamo-racailles des banlieues au sein d’une convergence des luttes des plus aléatoires ; les derniers professant le néo-capitalisme le plus débridé : celui du narco-bizness.
Ce faisant, il pourrait bien offrir à Marine Bardella ou Jordan Le Pen le plus beau tremplin qui soit pour le second tour de la prochaine élection présidentielle. Il en va parfois de la politique comme du sport : on gagne parfois sur les points vainqueurs ; mais aussi sur les fautes de ses adversaires. Mais rappelons, une fois de plus, qu’il ne s’agit que d’un simple sondage, même si singulièrement instructif.



