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Jean Parvulesco devant l’Éternel

Jean Parvulesco devant l’Éternel

Jean Parvulesco (1928-2010) est l’auteur d’une œuvre à nulle autre pareille – mystique, géopolitique, visionnaire – loin du roman psychologique ou du récit réaliste. Chez lui, l’écriture n’est pas un art, mais une opération alchimique, un outil de transmutation du réel et d’appel à l’Être. Il écrit au noir, mais pour faire lever un soleil d’après les ténèbres. Ses romans, ses poèmes, ses articles ne racontent rien – ils opèrent. Leur but ? Renouer les fils déchirés entre le visible et l’invisible, dans l’espoir fou d’une re-sacralisation du monde. Une littérature de combat ontologique adressée aux veilleurs.

Y a-t-il écrits plus éloignés de la mentalité contemporaine et de l’esprit de ses littératures que ceux de Jean Parvulesco ? Fallut-il que le paradigme français, ce monde de certitudes terminales bâti avec le mortier de la vérité matérialiste et la sève progressiste, en vînt à se heurter à une telle pierre d’achoppement, à laisser se répandre en lui le dissolvant de l’irrationnel carpatique porté par le verbe parvulesquien et son insondable mystagogie ? Fantasmagorie, eschatologie, mariologie, mystique, occultisme, tantrisme, orphisme et onirisme ; irréductible Parvulesco lançant l’offensive du ban et de l’arrière-ban des puissances invisibles, pourtant fermement et officiellement reléguées au rang de croyances archaïques, comme si les livres détenaient encore le pouvoir de faire descendre le feu du ciel.

Une seule et même hantise métaphysique nourrit l’œuvre abondante de Jean Parvulesco : parvenir aux retrouvailles de l’être en tant que puissance créatrice originelle, permettre qu’advienne l’aube nouvelle de la réintégration du monde dans la sphère supérieure du sacré. Poèmes, romans et articles témoignent en nombre de cet inextinguible élan entièrement tourné vers la question philosophique première de l’ontologie et du processus de transformation qu’elle recouvre.

Rédigés à la suite d’une période fondatrice de création poétique, celle-ci ayant donné lieu à plusieurs titres comme La Mystérieuse couronne du tantra (1978) ou le Traité de la chasse au faucon (1984), les romans de Jean Parvulesco – de La Servante portugaise (1987) au Bal masqué à Genève (1999), en passant par Le Mystère de la villa Atlantis (1990), L’Étoile de l’Empire invisible (1994) ou encore La Conspiration des noces polaires (1998), pour ne citer que les principaux –, se caractérisent par leur dimension autobiographique associée à une intrigue fictionnelle souvent ténue d’où ressortent de longues observations et analyses sur des sujets propres à la vision de l’auteur, ces dernières s’imposant parfois à l’ensemble du livre, comme avec Le Gué des Louves (1995), Le Sentier perdu (2007) ou Le Retour en Colchide (2010), lesquels font par ailleurs écho aux recueils d’articles thématiques scandant cette bibliographie (La Spirale prophétique, 1986, Le Retour des grands temps, 1997, La Confirmation boréale, 2007).

Ainsi l’écrit parvulesquien, difficile à aborder, mais dont on conseillera en premières lectures La Servante portugaise, La Spirale prophétique et le recueil de nouvelles Mission secrète à Bagdad (2003), se rapporte-t-il non pas à un modèle littéraire ni à un discours intellectuel, producteurs de fiction ou de constructions théoriques, mais à une voie intérieure associée à la dimension des fins dernières, à un déplacement dans le plan de la Révélation définie comme eschatologie. Cette approche découvre la parole créatrice en son secret cheminement, espérant en atteindre la réalité ultime, cet instant où l’être se fait retrouvailles.

Les portes cachées à l’intérieur du monde

La voie de la métaphysique de l’être – l’ontologie – qu’emprunte Parvulesco relève donc d’un mécanisme fondamental de saisie du réel, d’un mouvement du regard porté sur l’existence, « d’une attention suprême », à la substance de la vie. À la marge du domaine quadrillé de la théologie et de la métaphysique, cette praxis de la perception oppose à l’abstraction les images d’une dialectique du concret confrontant les signes perçus aux capacités de l’auteur d’appropriation et de métamorphose de la réalité. Observations et souvenirs personnels repris de notes collationnées au fil des années constituent la matière première de cette percée dans les profondeurs du tangible, de ce processus d’ouverture de la conscience au domaine du sens.

Présentée en termes de dédoublement du regard, cette orientation désigne un approfondissement équivalent à un franchissement de la frontière séparant la lettre de l’esprit, les apparences de la nature des choses. Le regard intérieur renverse l’objectivation, il ouvre à la présence et dévoile la spirale de l’être. Parvulesco établit ce lien fondamental entre être et regard et en donne l’illustration au fil de son œuvre, qui n’est autre qu’une attention portée à la condensation de l’être dans l’existence, dans l’histoire et la politique, dans les arts et la littérature, domaines dont il extrait des données propres à une lecture intérieure et au dévoilement d’une trame ontologique particulière. Ce mécanisme d’appréhension par lequel il transcende ou élève chaque objet pris en compte à travers une captation visionnaire de sa nature profonde constitue l’élément le plus déterminant et le plus caractéristique de sa pensée.

Ainsi s’entend son discours géopolitique identifiable dans de nombreux articles et souvent mêlé aux aventures romanesques et semi-fictionnelles de ses personnages. Que ses travaux en matière de grande histoire à visée géopolitique s’appuient sur une observation des enjeux civilisationnels et continentaux, inspirée pour une part de l’allemand Haushoffer ou de l’américain Mackinder, jusqu’à faire de lui une figure de l’eurasisme de la seconde moitié du XXe siècle, son analyse n’en vise pas moins à élever ces questions sur le plan transhistorique. Le caractère politique de l’empire eurasiatique constamment évoqué par lui n’est pas absent de ses vues, mais à la pointe de son discours s’imposent toujours les dimensions prophétique et paraclétique. L’Imperium est pour lui en dernier ressort l’incarnation de l’être, sa manifestation spatio-temporelle, son horizontalité, à l’heure d’une nouvelle révélation de la Vie. Ce qu’il qualifie dans cette perspective de Grand Empire eurasiatique de la fin n’est autre qu’une projection eschatologique de la Cité céleste dont la vocation mystique des héros parvulesquiens, ou celle du narrateur lui-même, préfigurent l’avènement. Sa vision du gaullisme que l’on voit émerger au milieu des années 1960, désignée par l’expression de Grand gaullisme de la fin, par analogie avec celle qualifiant l’Empire eurasiatique, relève du même schéma ascensionnel, lequel évoque cette fois-ci l’hypostase décelable dans la géopolitique gaullienne et ses sous-entendus concernant la vocation métahistorique d’une France porteuse de vérité universelle.L’aventure gaulliste procède fondamentalement de cette vocation, celle du royaume axial. Pris dans le mouvement ontologique de la spirale parvulesquienne comprend-on, jusqu’à son dépouillement de tout lien avec le moindre épisode temporel, le gaullisme devient alors Grand Gaullisme, le réceptacle de la seule idée première de cet universalisme transhistorique.

Une ontologie à l’épreuve de l’art

Parvulesco tisse ainsi un maillage des manifestations de l’être par lequel il re-sacralise le réel. Aux axes majeurs de cette hiérophanie, comme ceux de l’histoire et de la géopolitique, s’ajoutent des observations spécifiques concernant des œuvres artistiques dont l’intégration dans la sphère parvulesquienne permet de révéler la puissance vitale et par là même, la vocation ontologique qui les définit secrètement.

Intéressé aux travaux de cinéastes, de peintres, de sculpteurs voire d’architectes, Parvulesco s’est notamment attaché à la compréhension des lignes intérieures des films d’Éric Rohmer, à percer la dimension métaphysique issue du mariage entre classicisme et imagerie actuelle caractérisant la production de ce cinéaste fondateur de la Nouvelle Vague dont il fut le compagnon de route. De la sensibilité du regard rohmérien, de son ouverture au réel, émerge la présence de l’être. L’ontologie première est ramenée à la vie par la lumière projetée à l’écran. Ces retrouvailles apparaissent dans leur plénitude dans Conte d’Hiver (1992), film dont l’héroïne, Félicie, rejette par l’effet d’une révélation soudaine les faux choix amoureux imposés par l’existence pour les aspirations profondes et irrationnelles de son être explique Parvulesco dans Retour en Colchide (2007), son dernier livre. Une prise de conscience de même ordre fonde l’armature de L’Anglaise et le duc (2001) à travers laquelle Rohmer montre l’évolution intérieure de l’aristocrate anglaise Grace Eliott au gré d’événements révolutionnaires de plus en plus dégradés et menaçants pour elle-même et le duc d’Orléans son ami. Cette confrontation à l’emballement du monde ouvre une voie entre extériorité et intériorité par laquelle l’être pointe à la surface du visible et s’y intensifie. Elle illustre dans la pensée parvulesquienne les capacités d’un outil métaphysique remarquable, en tant qu’art visionnaire dont le caractère performatif franchit les limites de l’espace et du temps, de l’immanent et du transcendant, ramenant à la vie ce qui a disparu.

Plus qu’un objet d’analyse, les œuvres dont Parvulesco découvre la puissance métaphysique résonnent en lui comme autant de révélations provoquant un bouleversement intérieur et étendant à chaque fois un peu plus le champ de son expérience de l’être. Celles de Constantin Brancusi font plus particulièrement écho à sa pensée. Ses commentaires sur la quête du sculpteur, centrée sur l’ultime épure des formes, traduisent cette jonction entre les visions respectives de l’un et de l’autre. Par l’actionnement de ses propres clés ontologiques, Parvulesco ouvre les portes intérieures d’un parcours correspondant à un processus de dépouillement personnel progressivement accompli par la voie du travail sur la matière. Ce dépouillement vécu par Brancusi s’attacha notamment aux retrouvailles d’une conscience archaïque à travers l’étude d’objets d’art primitif ou artisanaux. À la recherche de la source première de l’être créateur, ce processus établit la relation entre libération et surréalité cosmique, contribuant ainsi au basculement du monde dans un nouveau temps sacral.

La fréquentation par Parvulesco du peintre Frédéric Pardo conduisit à semblable degré sa lecture ascensionnelle de la présence de l’être et des aspects de sa manifestation. Pris d’une fascination quasi-extatique pour les peintures de Pardo, Parvulesco se révéla plus que jamais face à elles en visionnaire de l’action de l’être et de ses canaux spéciaux. Les portraits de Pardo – portraits de Daniel Pommereule, de Dominique Sanda ou de Philippe Garrel notamment –, constituèrent au-delà de leur caractère onirique et symbolique un seuil métaphysique traduisant à travers plusieurs figures les étapes de transformation de l’être confronté au non-être interférant dans l’existence. Leur nature ainsi révélée, ces œuvres transforment le réel et ouvrent-elles aussi la perspective d’un nouveau cycle ontologique. « Récit d’une prise de pouvoir philosophique », elles témoignent du nouveau pouvoir de l’être, nous dit Parvulesco.

Jean Parvulesco ou l’homme-racine, au seuil de la forêt intérieure et de l’arbre comme axis mundi.
Photo : © Éric Stetten.

Écriture et activisme transcendantal

L’auteur de La Spirale prophétique bouleverse ainsi l’ordre des choses, prenant à rebours les faits et les existences qu’il transfère du statut de données contingentes à celui de projections d’un univers transcendant d’inspiration néoplatonicienne. Poussée à l’extrême, cette perspective le conduit à une surenchère métaphysique visant à saisir la plénitude de l’être dans sa dimension génétique, la parole qui résonne dans les espaces intérieurs du réel n’étant pas seulement présence révélatrice mais, outre les spéculations sur les notions de catégories (Aristote), de degrés (saint Thomas d’Aquin) ou d’états multiples (René Guénon), essentiellement surgissement, puissance vitale, émergente et rayonnante, produit d’une confrontation existentielle de l’instable et du permanent, de l’essentiel et de l’aléatoire. Pour Parvulesco, l’être est avant tout ce qui advient, évolue et se transforme dans le substrat d’un processus spatio-temporel illimité, indifférent aux niveaux d’échelles, dans la réciprocité du macrocosme et du microcosme, dans l’existence individuelle comme dans le devenir collectif et civilisationnel. Chacun de ces étagements dans l’épaisseur du monde reflète le cycle de l’élan créateur de l’être, de sa dégradation puis de son recommencement à travers un nouvel avènement.

Aussi la praxis parvulesquienne en forme d’exercice de la conscience visant une appréhension du réel portée au décryptage métaphysique ne se limite-t-elle pas à ce cadre précis. Par sa fonction de révélateur, la démarche dont nous venons de voir des exemples de traitement témoigne d’une action dirigée, centrée sur la ligne de l’avènement de l’être, sur le mécanisme de ses retrouvailles dans le mouvement d’une spirale ascendante. La vision parvulesquienne s’est précisément donnée pour moteur l’activation de cette procession de l’être, « mystériologie en marche » de la conscience d’exister dont elle étend l’expérience, par son effet miroir entre révélations privées et révélation historique, du plan individuel où on la situe habituellement à l’échelle macrocosmique. La quête conduisant aux retrouvailles de l’être apparaît dès lors dans l’amplitude de son action, rejoignant la vision d’une ontologie active et cyclique, d’une opération de nature eschatologique renouvelant le phénomène d’induction du sacré dans l’univers terrestre.

S’agissant d’un tel dépôt, nous pouvons parler d’une forme d’activisme de la part de celui qui le fait sien, un activisme ontologique et transcendantal en opposition à une quelconque intention d’ordre psychologique ou à quelque référence ou idéalisme que ce soit, la dimension de l’être ne se révélant qu’en fonction de modalités d’abandon à lui seul et à son mouvement dans le maillage de la Révélation, par un effort d’assimilation à l’être lui-même suivant les différents degrés de son témoignage au-dedans du monde.

Pour Parvulesco toute finalité en la matière se situe dans l’écrit, dans un mode d’écriture principalement poétique et romanesque dont il expose plus que tout autre la nature mystérieuse, sa fonction intermédiaire entre immanence et transcendance. L’écrit parvulesquien doit donc se comprendre comme une « mise en action » du mécanisme métaphysique à même d’opérer par l’insertion du réel dans le verbe littéraire, insertion à travers laquelle s’efface la distance entre le sujet et les phénomènes. Ainsi traduit en écrits, le réel dégagé de la matière n’est plus qu’intériorité. La dimension romanesque ou poétique qu’il acquiert le fait entrer dans le champ d’une transmutation ontologique. Dans ce « dédoublement » de la réalité nous dit Parvulesco se dessine un mouvement circulaire par lequel le réel élevé dans une forme de surréalité, loin de se limiter à une abstraction issue de l’imaginaire, pèse au contraire de sa nouvelle dimension ontologique sur le monde de la manifestation auquel il communique sa puissance transformante.

L’écriture comme transmutation sacrée

Conscient de la nature de ce mécanisme ontogénétique, Parvulesco en saisit les capacités dans le champ de la Révélation. Instrument de sa propre transformation, sa perception intérieure peut devenir par l’écriture l’instrument de mutations macrocosmiques d’ordre eschatologique, l’arme du combat de l’être face au non-être, au croisement des réalités mondaines et de l’agir divin. C’est pourquoi son œuvre dans son intégralité s’apparente si intensément à son existence, elle en constitue le double, la figure de sa transmutation sacrificielle dans la perspective céleste d’un avènement, sorte d’œuvre au noir proche du processus mystique de mort et de résurrection.« J’écris au noir » dit-il parfois. Il faut en effet, pour que s’accomplisse l’opération métaphysique contenue dans l’écriture, que cette dernière procède de l’expérience vitale de l’auteur, du don de lui-même dans l’aspiration aux retrouvailles de la source originelle de la Vie, d’un don amoureux conférant à ce parcours une dimension nuptiale. Dès lors, Parvulesco absorbe les signes de la présence de l’être autour de lui et à travers de multiples disciplines comme nous l’avons vu, tout en élaborant son œuvre autour de l’axe central de l’approche dialectique de l’union amoureuse, celle qui réellement vécue sera à même, par les transmutations du verbe, d’entrer en harmonie avec l’agir créateur et de permettre ainsi le franchissement du gouffre des temps de la fin.

Tel est le terrible secret de Parvulesco sur lequel ce dernier attire sans cesse l’attention du lecteur sans le désigner précisément, comme s’il se trouvait une pépite incandescente enfouie dans ses livres alors qu’il s’agit de l’œuvre elle-même, de ce déroulement répétitif énonçant l’espérance folle de renouveler à travers elle le miracle salvateur de l’avènement de la Vie et de son ensoleillement terrestre. La pensée de Parvulesco tient en ce système constitué à partir de l’articulation première entre l’univers d’une mystique nuptiale – « un certain activisme des profondeurs » – et la manifestation du Verbe de Dieu dans l’histoire, opération dont les schèmes sont contenus dans l’Écriture Sainte et activés dans l’Incarnation. Elle souligne le lien entre l‘expérience de la présence et la fonction de l’écrit dans la relation entre immanence et transcendance, comme si la Révélation scripturaire ne se limitait pas aux textes canoniques mais siégeait en nombre de textes, à différents degrés au cours de l’histoire, jusqu’à nos jours.

Le dernier cycle du Graal

Tel est le véritable roman nous dit Parvulesco, terme à considérer au sens large de l’écrit de l’être, d’instrument du déploiement intérieur de l’esprit du sacré, d’une écriture dont le roman arthurien est le type même, en tant qu’expression première de la spirale de l’être et de l’immémorial combat eschatologique par lequel le Verbe insémine l’histoire. Le roman arthurien se trouverait ainsi à la source d’un cycle ontologique et civilisationnel, tandis qu’au terme de celui-ci s’exprime le témoignage ultime de l’activisme parvulesquien et de ses romans polymorphes.

Au-delà de leur variété, ces ouvrages répondent tous à la même ligne visionnaire, à ce même déterminisme structurel qu’exprime l’image de la ligne de passage vers l’outre-monde – « le gué des louves ». Autour de ce point nodal, se concentre l’univers en demi-teinte de personnages ambivalents dont l’identité profonde se révèle à travers le retour au monde d’une altérité commune, surnaturelle et archétypale, appelée à une réincarnation en signe d’une nouvelle révélation. Des figures mondaines semi-réelles, des cérémonies rituelles érotiques et de haute magie organisées dans le secret de villas ou d’hôtels particuliers parisiens, des épisodes d’errance nocturne peuplées de rencontres surnaturelles, des morts et des résurrections, y constituent les instruments d’une orchestration sans cesse renouvelée de conspirations supérieures, aux frontières d’une réalité dédoublée. D’un livre l’autre opère cette thématique mettant en scène des passeurs de l’autre monde, parfois inspirés de personnages existants, voire de l’auteur lui-même – Franz des Vallées, Jean Raimondi ou Raoul de Waldeck –, ou des envoyés de l’ombre aux noirs desseins – Robert Solutré ou Walter Neroman –, tous interagissant avec des figures féminines semi-divines aux identités multiples et se confondant entre elles, telles Violette, « une centrale d’énergie suractivée », Laurence de Saint-Romain, sortie d’un rêve, l’initiatrice Wanda ou encore Jeanne Darlington, « la maîtresse suprême d’un étrange concept opératoire ».

Cartographie du sacré

Qu’elle aborde la littérature fantastique, l’univers d’un artiste renommé, des souvenirs oniriques, le contexte géostratégique mondial ou les destinées de l’Église romaine, cette perspective ne s’intéresse jamais qu’à la mise en œuvre d’interactions entre réel et surréel, entre mémoire et images porteuses de sacré d’où sont tirés les éléments de fiction. Nul projet de narration classique, psychologique et linéaire donc dans l’univers parvulesquien, mais une articulation de données dont la jonction avec des bribes fictionnelles n’a pour rôle que de hisser ce substrat existentiel au niveau d’une expérience transcendantale. Associant de manière improbable des terminologies religieuses puisées à différentes sources – Tantrisme, Immaculée conception, Grands temps ou Vieux pays –, Parvulesco franchit en toute liberté les barrières ontologiques et sémantiques, ne s’intéressant qu’à l’expression du sacré et aux concepts premiers qu’elle recouvre.

Ces croisements multiples confèrent un aspect déconcertant, voire opaque, à cet ensemble qu’on ne peut comprendre qu’en tant que littérature voilée ou chiffrée, telle une œuvre alchimique s’employant à décrire les mouvements de la spirale de l’être non par leur association aux états de la matière, mais par leur inscription dans le champ spatio-temporel. Réitérative et imagée, porteuse du Verbe, la littérature de Parvulesco constitue elle-même la ligne de passage.

Photo : Jean Parvulesco, prophète du verbe incarné. – © Éric Stetten.

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