« J’avais un camarade ». Nous fumes quelques uns à entonner ce chant lorsque le corbillard qui emmenait le cercueil de Jean-Gilles Malliarakis vers la sépulture familiale de Cluny où il rejoignait son père, le peintre Mayo, se mit en route. Ses amis l’appelaient Yani, ses camarades le nommaient Mallia. Jean Giles Malliarakis vient de nous quitter à l’âge de 81 ans et j’en ressens une profonde tristesse. Il y a quelques jours encore il nous avait conviés à venir prendre un verre chez lui entre deux séjours à l’hôpital.
« Invité » à y retourner d’urgence, il avait dû nous décommander à la dernière minute. C’était pour la bonne cause, une simple formalité, certes délicate, mais qui devait bien se dérouler. Tout le monde avait confiance, la Faculté, son entourage, sa femme Isabelle, qui en avait vu d’autres et qui savait qu’une fois sorti de la courte période réputée dangereuse tout rentrerait dans l’ordre. C’était compter sans ce maudit Covid qui faisait un retour sournois et s’attaquait, comme par le passé, aux plus faibles. Penser que Jean-Gilles Malliarakis pouvait entrer dans cette catégorie ne pouvait venir spontanément à l’esprit de personne. Et pourtant c’est bien ce méchant virus qui a eu raison de notre solide camarade affaibli par la maladie.
Mêmes milieux, chapelles différentes
Je connaissais Jean-Gilles Malliarakis depuis plus de soixante ans. Nous avons fréquenté les mêmes milieux, comme on dit, sans jamais, excepté une fois, appartenir aux mêmes chapelles. Et pourtant nous avons mené des combats côte à côte sans nécessairement penser la même chose. Et puis nous n’étions pas du même niveau. Jean-Gilles de près de trois ans mon aîné était un chef, il en avait l’âme ; c’était un tribun, il en avait l’éloquence ; c’était un activiste, il en avait le moteur, celui qui le portait au premier rang des opérations les plus risquées. Et ce sont ces «qualités » diversement appréciées selon le point de vue de l’observateur, qui l’ont conduit à plusieurs reprises à fréquenter pour des périodes courtes les geôles de la République.
C’est cette aversion, assez peu démentie par la suite, pour la République qui le conduisit à l’Action Française de l’époque, la Restauration Nationale, après avoir été proche de Jeune Nation. C’est cette dernière filiation qui le mena probablement à la Fédération des Étudiants Nationalistes (FEN) dont j’étais membre, mais aucun des témoins de l’époque n’est capable de me dire s’il « payait sa cotise ». Mystère sans grande importance. En revanche il accompagna Gérard Longuet, Alain Madelin et Alain Robert à Occident dont il fut exclu en 67. Étudiant à Sciences Po, après avoir renoncé à ses études de Mathématiques, il s’y fera remarquer par la création de l’Action Nationaliste et par l’organisation d’une commémoration du cinquantenaire de la création des Fasci Italiani. Il fallait oser. Il avait osé.
L’aventure Troisième Voie
Ce sera ensuite un passage de courte durée à Ordre Nouveau puis l’invention de la voie solidariste dont il restera le leader emblématique et incontesté avec le GAJ puis le MNR (Mouvement Nationaliste Révolutionnaire). Le renfort de la Jeune Garde et la fusion tardive avec un PFN en déclin et l’apport d’un sang plus neuf avec le GUD déboucheront sur la création de Troisième Voie.
On touche là à l’un des traits marquants de la personnalité de Jean-Gilles Malliarakis. Son ami Charles, qui prononça ce mercredi un éloge funèbre emprunt tout à la fois d’admiration et de réalisme et qui s’adressant à son vieux camarade en un ultime hommage avoua : « tu m’as embarqué dans ta course effrénée, quelquefois-il est vrai- un peu désordonnée».
Tout est dit dans ce propos aussi amical qu’intransigeant. Yanni était incernable, incontrôlable et parfois même incompréhensible. Sa logique interne n’était opposable à personne. Je dois bien reconnaître que son combat pour la défense des petits commerçants m’avait laissé éminemment sceptique. Moins toutefois que sa conversion au Christianisme Orthodoxe-Grec évidemment- alors même qu’il avait envisagé en son temps un rapprochement avec le GRECE dont le christianisme reste l’ennemi principal. Je n’ai pas eu moins de mal à le suivre lorsque, en grande partie sans doute au nom de son ancienne amitié avec Alain Madelin, il rejoindra le très libéral Idées Action en s’affirmant « libéral de droite » prouvant ainsi que sa culture politique sans faille lui permettait de savoir que le libéralisme est avant tout de gauche.
D’abord un intellectuel
Homme d’action, Jean-Gilles Malliarakis était aussi, et d’abord, un intellectuel. Il aimait les idées, leur histoire, l’histoire tout court et la diffusion des idées qu’elle porte et qui la portent. C’est ainsi qu’il ne faudrait pas oublier la reprise par ses soins de la Librairie Française d’Henry Coston. Cela concernait tout à la fois le point de vente de la rue de l’Abbé Grégoire, soumis à quelques agressions sévères, et ses ouvrages parfois plus difficiles à défendre qu’à vendre. Les Éditions du Trident qu’il créa ensuite relevaient le même défi et il y publia ses propres livres parmi lesquels je me souviens plus particulièrement de Yalta et la naissance des blocs et de Ni Trust ni soviets. Il fut aussi un chroniqueur radio à la voix reconnaissable entre toutes à Courtoisie et l’auteur d’un blog, L’Insolent, qu’il continua de nourrir jusqu’à sa mort.
Ce qui est le plus frappant pour quelqu’un qui sait bien que les idées évoluent tant à l’intérieur des hommes qu’au travers des grands courants de la société elle-même, c’est que le parcours de Jean-Gilles Malliarakis est singulier à plusieurs titres. D’abord parce qu’il ne s’est jamais laissé dicter quoi que ce soit par qui que ce soit. Ensuite parce que j’ai bien compris que ses engagements successifs et souvent contradictoires s’inscrivaient pour lui dans une logique implacable, mais que seul lui maîtrisait. Mais enfin et surtout parce que tout chez lui était dicté par la fidélité, la reconnaissance, et l’amitié. Nous nous sommes retrouvés lui et moi à quelques mois de distance aux obsèques de deux personnalités qui à des degrés divers avaient écrit ou contribué à écrire quelques pages de notre histoire. Aux obsèques du plus ancien et du plus célèbre d’entre eux, nous nous sommes retrouvés mêlés à l’immense foule anonyme, alors que lui comme moi ne partagions plus beaucoup d’idées et d’affinités communes avec le défunt. Nous n’étions là que pour l’honneur, par fidélité. Et aussi, il faut bien l’avouer, par nostalgie.
Il restera pour moi cet ami immuable que le temps ne parvient jamais à plonger dans l’oubli. Il nous est arrivé de nous perdre de vue pendant de longs moments et de nous retrouver comme si nous nous étions quittés la veille, selon une formule un peu éculée mais profondément juste. Curieusement, il n’est pas nécessaire de se connaître très intimement pour ressentir cette impalpable connivence. Probablement en partie fondée sur la nostalgie d’une jeunesse à jamais évanouie. Elle n’en va pas moins beaucoup me manquer.
Pour en savoir plus, son entretien avec Daoud Boughezala et Olivier François pour TV Libertés
Itinéraire avec Jean-Gilles Malliarakis : Du poujadisme au libéralisme
Itinéraire avec Jean-Gilles Malliarakis : Du poujadisme au libéralisme (2e partie)



