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In memoriam Jean Picollec, éditeur contre vents et marées

In memoriam Jean Picollec, éditeur contre vents et marées

Jean Picollec n’est plus. Il nous a quittés hier, le 27 avril. Cela faisait longtemps que sa santé était chancelante. Il ne manquait pourtant pas de venir aux soirées de la Nouvelle Librairie dès qu’il le pouvait, fidèle entre les fidèles, toujours rayonnant, irradiant une bonhommie qui semblait inaltérable quels que soient les coups du sort, impassiblement courageux, solide comme le monde celte qui fut sa vraie patrie. De tous les éditeurs du dernier demi-siècle, il fut le plus « atypique », pour reprendre le titre du livre d’entretiens et de témoignages que Philippe Randa lui avait consacré l’an dernier dans une autre maison que la sienne, pour une fois, celle de Roland Hélie, Synthèse nationale. Atypique – et indépendant jusqu’au bout, lui qui a mené sa barque, en bon fils de marin-pêcheur qui aurait pris le grand large, entre coups d’édition retentissants et défense de l’identité bretonne, maintenant son cap en vieux loup de mer. Alain Lefebvre lui avait rendu un vibrant hommage dans notre numéro de l’été dernier (Éléments, n° 197, juillet 2022).

Le livre que Philippe Randa et Roland Hélie ont décidé de consacrer à un monstre trop mal connu de l’édition française ressemble à son sujet : aussi pointu et scrupuleux pour la lecture et l’enrichissement des manuscrits qu’il projette d’éditer qu’il est brouillon, désordonné et pour tout dire « bordélique » dans la gestion de sa maison et de sa vie ; aussi amical, chaleureux et serviable avec ses proches qu’il sait être coléreux, rancunier et distant avec… les mêmes, Jean Picollec est bien comme le titre de l’ouvrage l’annonce, un garçon atypique. Plus exactement il est typiquement Breton. Il incarne intégralement toutes les qualités et quelques-uns des travers de son peuple : créativité, imagination, courage pour le meilleur ; idéalisme sans bornes, confusion entre l’essentiel et l’accessoire et désorganisation méthodique pour le pire. Le tout couronné par une gentillesse extrême, le souci constant de rendre service sans la moindre arrière-pensée de réciprocité ou de contrepartie, et une telle indifférence absolue au qu’en-dira-t-on, qu’il ne niera ni ne reniera la moindre de ses convictions ou de ses amitiés. Il est un cas d’école que tous ceux qui prétendent que la révélation de leurs idées a ruiné leur carrière feraient bien de méditer.

Une enfance au Maroc

C’est probablement un signe : Jean Picollec est né à Port-Lyautey, une ville qui n’existe plus sous le nom qu’elle portait le 15 juin 1938, dans un pays bien éloigné du Finistère où naquirent tous ses ancêtres. Son père y avait alors été appelé comme douanier pour y pourchasser les trafiquants de cigarettes américaines, dont le commerce était connu sous le nom de « trafic des blondes ».

Jean Picollec passera donc une partie de sa jeunesse au Maroc pour ne revenir à Concarneau que pour entrer en sixième et jusqu’à ce qu’un destin contraire ne lui fasse changer d’orientation. Désireux de suivre la voie tracée par tous ses ancêtres, Jean envisageait de faire Navale après de brillantes études en math. Présenté au concours général d’histoire, il décroche le premier prix et se voit ainsi offrir une bourse et un logement en cité universitaire.

Le jeune Breton arrive ainsi à Antony, où son voisin de chambre se nomme Lionel Jospin. Leurs orientations respectives les sépareront très vite, car Jean, bien que déjà tolérant et fréquentant PSU et trotskystes, penchait déjà sérieusement de l’autre côté. La lecture de J’ai choisi la liberté de Kravchenko, la répression de Budapest, la rencontre inopinée avec le président de la Corpo de droit, un certain Jean-Marie Le Pen, puis l’apparition des premiers porteurs de valises du FLN finiront de l’ancrer délibérément à droite. Il n’en poursuit pas moins pour autant son constant travail de mise en valeur de ses racines bretonnes et de son goût marqué pour les cultures et les littératures celtiques.

Là encore, le destin contrarie sa trajectoire alors qu’il s’apprête à présenter sa thèse sur « Les mouvements autonomistes bretons de 1939 à 1945 ». Il fait la rencontre à la cité universitaire d’une jeune femme qui deviendra son épouse et lui donnera deux filles. Dès lors, plus question de poursuivre des études. Il répond à une annonce du Monde où la Librairie Larousse recrute un responsable des études de marché qui doit avoir dix ans d’expérience et au moins trente-cinq ans. Jean Picollec a vingt-sept ans et pas la moindre expérience. Il est néanmoins recruté sur son charme, son bagout et sa détermination. Heureuse époque.

Il restera près de six ans chez Larousse, qu’il quittera en janvier 1972 sur la sollicitation d’Alain Moreau, agent immobilier voisin avec lequel il jouait au flipper dans le bistrot du coin. Alain Moreau rêvait de devenir éditeur pour mille raisons plus ou moins bonnes. Parmi les bonnes, aux yeux de Jean Picollec, Alain Moreau s’était illustré en provoquant en duel au couteau un professeur d’Henri IV qui avait eu le malheur de tenir des propos virulents contre l’Algérie française. Cette association capital-travail, Moreau apportant l’argent, et Picollec son expérience, durera jusqu’à la fin de l’année 1978. « Nous nous sommes quittés d’un commun… soulagement », résume Jean Picollec.

Aux éditions Alain Moreau, Jean Picollec s’installe dans une longue carrière d’éditeur de documents « non-conformistes » qui déjà, il y a maintenant cinquante ans, ne trouvaient pas preneur chez les autres éditeurs. Il lancera ainsi la longue série des B… comme barbouzes, D… comme Drogue et le S… comme Sanguinetti, écrit par Jean Montaldo, qui lui préférera ensuite le confort d’Albin Michel pour publier ses autres enquêtes à succès. Jean Picollec ne recrute pas pour autant exclusivement ses auteurs parmi les journalistes de droite. T… comme tiercé sera écrit par un journaliste de l’Humanité dimanche, D… comme drogue par Alain Jaubert du Nouvel Obs, et il éditera le Bokassa Ier de Pierre Péan.

De tous les combats pour les identités menacées

La rupture avec Alain Moreau consommée, Jean Picollec se met à son compte et sous son nom fin 1978. Si l’histoire contemporaine reste l’un des principaux piliers de la nouvelle maison, la celtitude un temps délaissée refait surface. Jean Picollec est fier de ses racines. Il se souvient que ses grands-parents parlaient exclusivement breton et que déjà, ses parents ne réservaient la langue de leurs ancêtres qu’à des conversations dont le contenu ne devait pas être entendu des enfants. C’est ainsi que naît la « Bibliothèque celtique » qu’il lance avec le premier livre d’Irène Frain, Les contes du cheval bleu. Bien que Bretonne et signataire d’un contrat d’exclusivité avec les éditions Jean Picollec, elle ira confier à Lattés Le Nabab, histoire de l’épopée du Quimperlois Madec, qui deviendra un best-seller. Les identités, régionales et nationales, pèseront lourd dans la production des éditions Picollec. Des essais, mais aussi de la littérature comme Famine ou Skerrett, de l’Irlandais O’Flaherty, ou Le chien du forgeron, qui présente la légende celtique de Cúchulainn, plus connu en Irlande qu’en Bretagne, Les grands bardes gallois ou La mythologie celtique, la somme de Yann Brekilien, feront des éditions Jean Picollec, pendant près d’un demi-siècle, un des éditeurs majeurs de l’univers celtique. D’autres minorités « opprimées » trouveront aussi un écho chez le Breton prêt à mener tous les combats pour les identités menacées et les racines mises à mal. C’est ainsi qu’il publiera Chère voisine de Chrystine Brouillet et L’entourloupe de Yves Beauchemin, deux auteurs québécois majeurs.

Il publiera aussi quelques auteurs « sulfureux » à propos des « heures les plus sombres de notre histoire ». Dans tous les cas de figure, rien de gratuitement hagiographique, mais toujours la volonté d’apporter un éclairage original à certains épisodes de notre histoire – il en ira ainsi du Je défends Barbie de Jacques Vergès, préfacé par Jean-Edern Hallier – ou à l’occasion de rencontres inopinées ou d’approfondissements de relations, comme celles qui le lia d’une profonde amitié avec Gwenn-Aël Bolloré, l’oncle de Vincent et l’un de ces 177 Français du commando Kieffer qui débarquèrent sur les plages normandes le 6 juin 1944.

La liste et les thèmes sont proprement innombrables : Proche-Orient, Algérie, Afrique, Kosovo, Afghanistan, guerre du Golfe, il n’est pas un théâtre d’opération de toutes les guerres – y compris les cyberguerres – qui agitèrent le monde qui n’ait pas figuré au catalogue de Picollec. Un flair qui lui a permis son « plus beau coup d’édition » en publiant trois jours après les attentats du World Trade Center à New York le livre de Roland Jacquard, Au nom d’Oussama Ben Laden.

Soixante ans d’histoire bretonne, française et européenne

Tout en menant cette « carrière », bien que le mot soit inapproprié, à la fois passionnante et tumultueuse, Jean Picollec toucha de plus ou moins près à la vie politique par quelques adhérences plutôt que par de banales adhésions : l’UNEF majo – c’est-à-dire de droite –, Ordre nouveau, proximité avec Europe-Action et Dominique Venner, rencontre avec Jean Mabire qui lui présentera le nationaliste breton Olier Mordrel, collaboration sous le pseudo de « Yann Beuzec » à Défense de l’Occident, campagne Tixier en 1965 avec Jean-Marie Le Pen et mise sur pied, avec Jean-Edern Hallier, de la liste « Régions Europe » aux européennes de 1979, le parcours de Jean Picollec est d’une grande cohérence.

Cette forme inhabituelle de liber amicorum mérite le détour, car au-delà du personnage, il balaie près de soixante ans d’histoire bretonne, française, européenne et même mondiale, comme une forme de promenade aux côtés d’un ami sur les rives d’une époque révolue.

Philippe Randa, Jean Picollec, l’atypique, Synthèse nationale, 270 p., 29 €.

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