ÉLÉMENTS. Vous faites désormais quasiment partie des « meubles » de la revue, sans que cela soit évidemment péjoratif. Pouvez-vous nous raconter comment vous avez découvert Éléments et comment s’est réalisé le « rapprochement » avec sa rédaction ?
OLIVIER FRANÇOIS. C’est à la fin du siècle dernier, en 1998, que j’ai ouvert pour la première fois un numéro d’Éléments. J’avais 19 ans et je fréquentais régulièrement la librairie parisienne des éditions de l’Age d’homme dont l’un des piliers était un certain François Bousquet, qui devint un ami, un camarade et fut toujours un aîné attentif et exigeant. J’ai découvert alors, dans le désordre et la joie, outre les grands romanciers russes de l’Age d’argent, un certain nombre d’écrivains irréguliers, amis et collaborateurs de notre revue, tels Pierre Gripari, Michel Marmin, Jacques d’Arribehaude, Luc-Olivier d’Algange ou le dandy belge païen Christopher Gérard. Eléments m’est apparu comme un antidote aux conformismes de droite et de gauche mais surtout comme une très inspirante contre-encyclopédie dont l’éclectisme et l’esprit aventureux me ravissaient. C’est en lisant la revue des idées pour la civilisation européenne que s’est formée une bonne part de mes goûts littéraires et cinéphiliques et que je me suis initiée à une histoire alternative des idées où Georges Sorel et les non-conformistes des années 30 se conjuguaient avec l’écologie radicale et la critique conservatrice-révolutionnaire de la modernité libérale…
Le rapprochement avec la rédaction s’est fait assez naturellement, à l’invitation d’Alain de Benoist et de François Bousquet, en 2008. Mon premier papier paru fut un hommage à Jaime Semprun qui venait de disparaître, puis ce furent plus tard des portraits de Pierre Siniac et de Panaït Istrati, deux articles auxquels je suis attaché particulièrement car ils me valurent l’amitié des regrettés Alfred Eibel et Pierre-Guillaume de Roux…
ÉLÉMENTS. Pour le magazine, vous vous consacrez quasi exclusivement à la littérature. D’où vous vient cette dilection pour celle-ci, est-elle le fruit de votre parcours scolaire ou universitaire ?
OLIVIER FRANÇOIS. Mon parcours scolaire fut chaotique et mon passage à l’université très bref, mais je me souviens d’un professeur de 4e qui sut me communiquer sa ferveur balzacienne. La lecture du Père Goriot, notamment, a été une vraie révélation. Tout y était vibrant, vivant. Je suivais les tribulations de Rastignac comme s’il avait été un être cher, un frère. Dés les premières pages – je fais partie des inconditionnels admirateurs de la description de la pension Vauquer ! – je fus littéralement enchanté…
Je me souviens aussi de la forte impression que me laissa mon père, quelques jours avant sa mort, en me parlant de sa relecture du Lord Jim de Joseph Conrad. Il était dans un état second comme s’il venait de traverser une tempête. J’ai là vraiment admiré les pouvoirs de la littérature…
ÉLÉMENTS. Quel a été votre premier grand « choc » littéraire ?
OLIVIER FRANÇOIS. Balzac donc, et j’y reviens toujours, puis ces écrivains dont Nicolas Berdiaev disait qu’ils formaient comme une France souterraine, clandestine, Villiers de l’Isle Adam et surtout le connétable des lettres, le grand Barbey d’Aurevilly, qui est un Balzac mêlé de Sade et de Saint Simon…
ÉLÉMENTS. Comment expliquez-vous le désintérêt croissant de la jeunesse pour la lecture ? Les « écrans » sont-ils les seuls responsables ?
OLIVIER FRANÇOIS. Le monde moderne est une vaste conspiration contre toutes formes de vie intérieure écrivait Bernanos. Et ce ne sont pas seulement les écrans qui participent de cette conspiration mais les trop nombreuses sollicitations de la vie contemporaine, notamment de la société des loisirs. Pour que la jeunesse renoue avec la lecture, il faudrait qu’elle réapprenne d’abord à s’ennuyer, il me semble, et à savoir combler cet ennui en ouvrant un livre et en se laissant ainsi « porter par le navire ». Rien de mieux qu’une longue journée pluvieuse pour l’éducation littéraire d’un enfant ou d’un adolescent.
J’ajouterais, pour ne pas conclure, qu’une certaine manière d’enseigner la littérature n’a sans doute pas arrangé les choses. Ce qui devrait être une aventure, certes parfois douloureuse et exigeante mais qui comble l’esprit et augmente ses puissances de création et d’imagination, est réduit par certains mauvais maîtres à de pénibles dissections ou à des exercices uniquement scolaires…
ÉLÉMENTS. Quel est votre « rythme de lecture » ? Combien de livres lisez-vous par semaine ou par mois ? A quels moments lisez-vous ?
OLIVIER FRANÇOIS. J’ai la chance, malgré une captivante vie familiale, de trouver encore du temps pour la lecture. Je m’efforce de lire, au minimum, une cinquantaine de pages quotidiennement. C’est souvent davantage. Mais je ne lis pas une oraison funèbre de Bossuet comme je lis un polar d’ADG ou de Léo Malet, un essai d’Albert Caraco comme une nouvelle de Marcel Aymé. Avec le temps, je relis aussi autant que je le peux, en dépit de ma curiosité éclectique, sans doute trop dispersée…
ÉLÉMENTS. Il y a souvent à « droite », un tropisme « nostalgique » que l’on peut juger excessif. Quel est votre regard sur la littérature contemporaine ? Est-elle véritablement inférieure à celle du passé, ou n’a-t-elle simplement pas bénéficié du tamis du temps qui permet de ne conserver que les plus belles œuvres ?
OLIVIER FRANÇOIS. La nostalgie a ses raisons mais il ne faut pas trop y céder. On risquerait de s’y aigrir et de devenir aveugle. La littérature contemporaine, parmi tant de déchets ou de petites choses commerciales, nous offre encore des œuvres importantes et singulières. Je citerais, pour ma part, dans le désordre, les noms d’Olivier Maulin, de Jean-Pierre Montal, de Rémi Soulié, de Luc-Olivier d’Algange, de Patrice Jean et de Christopher Gérard dont j’ai toujours lu les romans et les essais en me disant que « ça continue ».
Je crois que la littérature contemporaine souffre des conditions sociales faites actuellement à l’écrivain. Les romanciers et les poètes ne peuvent aujourd’hui généralement pas se consacrer entièrement à leurs œuvres car ils doivent travailler pour vivre. Le salariat n’est pas favorable à la création. Je rêve d’une classe oisive…
ÉLÉMENTS. Pour un grand lecteur et passionné de littérature comme vous, on s’étonne que vous ne soyez pas « passé de l’autre côté » et n’ayez pas publié de livre. N’en avez-vous pas le désir ? Dans ce cas, pour quelles raisons ? Sinon, est-ce en projet pour le futur ?
OLIVIER FRANÇOIS. Je ne me prends sans doute pas assez au sérieux et je préfère la lecture à l’écriture. Il m’arrive d’ailleurs de penser qu’écrire un article c’est du temps perdu pour la lecture. Il y a aussi évidemment un fond de paresse, et puis les sollicitations de la vie familiale… Mais vous avez raison, je devrais m’y mettre. Quelques amis m’y incitent et m’encouragent régulièrement à sauter le pas. Si je devais écrire un livre, ce ne serait pas un ouvrage d’imagination mais une stèle, une œuvre de gratitude. Je le dois à quelques aînés disparus.
ÉLÉMENTS. Nourrissez-vous d’autres passions à côté de la littérature ?
OLIVIER FRANÇOIS. Tout ce qui élève ou trouble l’esprit. En ce moment, c’est particulièrement le cinéma qui me requiert, celui des grands américains, de John Ford à Robert Aldrich. Je reprends à mon compte la phrase de Samuel Fuller dans Pierrot le Fou de Jean-Luc Godard : « Le cinéma est comme un champ de bataille. Amour. Haine. Action. Violence. Mort. En un mot, émotion. »
ÉLÉMENTS. Entre une bonne table et un bon livre, vous choisissez ?
OLIVIER FRANÇOIS. Une page de Malaparte avec un verre de chianti à la terrasse d’un café toscan à la fin de l’été. Ou un roman de Simenon avec un demi dans une brasserie de province, un soir de novembre…
ÉLÉMENTS. Un ouvrage qualifié de « chef d’œuvre » qui vous tombe des mains ?
OLIVIER FRANÇOIS. Belle du seigneur. Mais je n’ai sans doute pas commencé sa lecture au bon moment…
ÉLÉMENTS. À l’inverse, une œuvre qui vous semble largement et injustement sous-estimée ?
OLIVIER FRANÇOIS. Celle de Jules Verne.
ÉLÉMENTS. Un titre que vous avez un peu « honte » d’aimer ?
OLIVIER FRANÇOIS. Je n’ai honte de rien de ce que je lis. Mais il m’arrive d’avoir des faiblesses, et de préférer la lecture d’un polar de David Goodis à la relecture du sermon sur la mort de Bossuet… Mais Goodis est plus proche de Bossuet qu’on ne le croit, et parfois plus sévère que le grand prédicateur.
ÉLÉMENTS. Enfin, pour conclure, comme nous sommes en pleine période estivale, pouvez-vous nous donner votre destination de vacances préférée et/ou rêvée ?
OLIVIER FRANÇOIS. L’Italie de Dino Risi, la Bretagne de Xavier Grall ou l’Auvergne d’Henri Pourrat…