Cinq ans ferme. La peine de prison infligée à Nicolas Sarkozy avec mandat de dépôt fait jaser. Juste retour des choses pour Mediapart, oukase de juges rouges pour la droite. Ma qualité de sosie officiel de Fabrice Arfi ne me donne aucune compétence pour juger du fond du dossier. Y a-t-il eu association de malfaiteurs entre l’entourage de Nicolas Sarkozy et Mouammar Khadafi pour financer la campagne présidentielle de 2007 ? Je n’en sais fichtrement rien.
Il y a bien plus grave que cette affaire de cornecul dont l’issue judiciaire reste anecdotique à l’échelle du globe. Si la justice immanente existe, il arrive que certains finissent punis pour avoir commis un crime jusqu’ici resté impuni. En l’occurrence, Nicolas Sarkozy paie pour la guerre de Libye, son illégalité et ses effets désastreux.
Mars 2011. Après avoir raté le coche de la révolution tunisienne et cru Ben Ali insubmersible, la diplomatie française est mise sur la touche. Sous la pression médiatique de Bernard-Henri Lévy, le président envisage de frapper le « Guide » Mouammar Kadhafi, dirigeant de la Jamahirriya (république des masses) libyenne depuis 1969. Son ancien allié, qui avait libéré les infirmières bulgares par l’entremise de Cécilia puis posé sa tente sur les pelouses de l’Elysée, promettait de frapper l’insurrection à Benghazi rue par rue. À l’ONU, les délégations française, britannique et libanaise présentent la résolution 1973, approuvée par le Conseil de sécurité, instaurant une zone d’exclusion aérienne, le gel des avoirs du président libyen et toute mesure nécessaire à la protection des civils. Il n’est alors absolument pas question de changement de régime, sans quoi la Russie et la Chine ne se seraient pas contentées de s’abstenir.
La suite, on la connaît. L’OTAN n’en fait qu’à sa tête pour établir la démocratie dans un pays qui ne l’a jamais connue, comme si les leçons de la Somalie, de l’Afghanistan et de l’Irak n’avaient jamais été tirées. Tripoli chute le 21 août. Dans son bastion de Syrte, Kadhafi est assassiné le 20 octobre 2011. Si Saddam Hussein avait eu droit à une parodie de procès qu’il transforma en tribune contre l’impérialisme américain, Kadhafi n’aura pas eu ce privilège. Des circonstances troubles de sa mort (perpétrée par un jeune soldat libyen, ou un agent occidental ?), n’émerge que la vidéo d’un Kadhafi sanguinolent lynché par la foule. Fou à lier, le dictateur libyen finit comme Mussolini Piazzale Loreto, jeté en pâture à son peuple aux côtés de sa maîtresse Clara Petacci. Sorti de son dernier carré de partisans, personne ne le pleure. La patrie qui panthéonise Robert Badinter est parfois si prompte à accepter les exécutions sommaires des satrapes orientaux. Vérité en deçà de la Méditerranée…
Guerre civile et traite des noirs
Un peu à la manière d’un séisme, les répliques géopolitiques de l’opération armée en Libye se font encore ressentir. C’est le véritable bilan d’une guerre qu’il faut imputer à Sarkozy, son visiteur du soir BHL et leur complice David Cameron. Une guerre civile, des milliers de morts et de disparus, mais surtout l’explosion du pays entre Tripolitaine et Cyrénaïque. S’affrontent deux Libye, l’une pro-égyptienne du général Haftar, l’autre aux mains des Frères musulmans qui dominent le Parlement proche du Qatar et de la Turquie. Aux prises avec les djihadistes et les mafias de passeurs, la Libye est devenue l’autoroute de la nouvelle traite des Noirs. Certes, l’offensive de l’OTAN fut unanimement approuvée par les forces politiques représentées au Parlement français, sous le coup de l’émotion des printemps arabes. Cela en dit beaucoup sur la clairvoyance de nos élites…
Il est regrettable qu’aucun journaliste, ou si peu, n’ait confronté Sarkozy à ce passif. Les rares fois où il a dû rendre des comptes sur son action diplomatique, le président bling-bling s’en est sorti par une pirouette. « C’était ça ou je laissais Kadhafi écraser Benghazi ». Ayant la mémoire longue, je me souviens de ses garde-chiourmes défendant le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN par un argument moral censé fermer le ban. « Vous êtes pour le port de la burqa par les femmes afghanes ? »[1]. Nulle et sans rapport avec la choucroute, la parade avait pour seul but de faire taire les gêneurs. Or, s’il faut juger un arbre à ses fruits, l’hécatombe provoquée depuis vingt-cinq ans par les néoconservateurs français, britanniques et américains aux quatre coins du monde est accablante.
Bien involontairement, le verdict rendu le 25 septembre dernier sanctionne donc les menées de Sarkozy en Libye. L’étude psychanalytique de la maturité infantile nous en apprend beaucoup sur le transfert de la culpabilité. Au cours de sa conférence « Un enfant est battu », Freud[2] enseigne que, chez l’enfant de cinq ou six ans, un fantasme sadique mue fréquemment en perversion masochiste. Ainsi, des petites filles ou des petits garçons imaginent leur père battant un enfant qu’ils détestent. Culpabilisant du plaisir qu’ils en tirent, ils échangent ensuite ce fantasme de fustigation contre son pendant masochiste, projetant l’image d’un père qui les bat. Dès leurs premiers émois onanistes, ils concluent que tout se paie un jour ou l’autre. Tout septuagénaires qu’ils sont, d’anciens chefs de l’État n’ont pas encore atteint ce stade de maturité. De leur part, on serait bien en peine d’entendre le moindre mea culpa sur la légitimité du changement de régime libyen.
Même la gauche morale tendance Mediapart se récrierait si on sondait les égouts du sarkozysme. Avec leurs frusques de justiciers, Edwy Plenel et Fabrice Arfi réduisent la guerre de Libye au règlement de comptes d’un débiteur envers son créancier. Laissons-leur le monopole de la probité. Les romans noirs d’inspiration marxiste en disent beaucoup plus long sur la nature humaine. Dans son chef d’œuvre Moisson rouge (1929), Dashiell Hammett raconte ce qu’il en coûte de faire appel à des caïds pour briser une grève de mineurs. Une fois les ouvriers de Personville mis au pas à la demande du maire et patron des mines, les gros bras ne rentrent pas chez eux comme de simples VRP en goguette. La pègre fait main basse sur la ville et s’octroie des pans entiers de l’économie. Au point que le patron de l’usine qui les avait fait venir est prêt à tout pour les faire déguerpir. Le prix de la paix sera exorbitant : que ces gangsters s’éliminent mutuellement, quitte à causer de méchants dommages collatéraux… Mediapart est convaincu que Personville s’étend de Paris à Tripoli. Hortefeux, Guéant, Sarkozy, Djouhri et Takieddine (mort à Beyrouth quelques jours avant la condamnation du 25 septembre) auraient fait valser les valises d’argent libyen. Soit.
En appel, les magistrats se prononceront une nouvelle fois sur le bienfondé de ces accusations. Justice sera rendue. La Libye ne peut en espérer autant.
© Photo : capture vidéo de la rencontre de Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi, en décembre 2007.
[1] À supposer que le féminisme s’exporte, résumons le bilan de vingt-ans d’intervention en Afghanistan : défection à l’étranger des dignitaires de l’ancien régime les poches grossies par l’aide internationale, retour au pouvoir des talibans, régression des droits de la femme. Chapeau !
[2] « Un enfant est battu », Contribution à la connaissance de la genèse des perversions sexuelles, 1929.