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Enquête sur les nouveaux visages de la désobéissance en France

Enquête sur les nouveaux visages de la désobéissance en France

Éléments publie dans son numéro 198 en kiosque un grand sondage sur la désobéissance en France, en collaboration avec l’institut de sondage PollingVox, présidé par Jérôme Sainte-Marie. Découvrez tous les résultats et notre analyse.

ÉLÉMENTS. Vous publiez dans votre numéro 198 une grande enquête sur la désobéissance que vous avez menée en partenariat avec l’institut de sondage PollingVox, présidé par Jérôme Sainte-Marie. Quels en sont les principaux enseignements ?

PASCAL EYSSERIC : Notre sondage montre de la manière la plus éclatante que lorsque les Français sont interrogés sur la meilleure attitude à adopter face à l’augmentation des prix de l’énergie, la crise climatique, la mauvaise répartition des richesses ou encore le niveau des flux migratoires, ils optent systématiquement, et pour les deux tiers d’entre eux, ce qui est considérable, en faveur de la protestation pour changer les choses. Dans ce contexte, les mouvements contestataires sont très majoritairement bien vus. Un Français sur deux déclare avoir été favorable au mouvement des Gilets jaunes de l’hiver 2018 (49 %), l’opposition y a été minoritaire, 34 % y étaient défavorables et 16 % indifférents. Les participants sont davantage représentés parmi les sympathisants La France insoumise (24 %) et du Rassemblement national (22 %). Sans surprise, ce mouvement a obtenu un soutien marqué auprès des ouvriers. Les deux tiers d’entre eux (66 %) ont eu une attitude favorable à son égard et 28 % l’ont soutenu. Mais ce sont bien entendu les jeunes qui ont été les principaux acteurs de ce mouvement, en posant par exemple un gilet jaune sur leur tableau de bord, 32 % des 18-24 ans et 38% des 25-34 ans, ou en allant à une manifestation, 28 % des 18-24 ans.

ÉLÉMENTS. Dans l’éventail de la dissidence aujourd’hui, il est difficile de passer à côté des manifestations contre le « passe sanitaire ». Quel est l’état des forces en présence ?

PASCAL EYSSERIC : Il est très frappant de constater que les manifestations contre le « passe sanitaire » ont surtout mobilisé les partisans d’Éric Zemmour (28 %) et de Jean-Luc Mélenchon (18 %), avec une pointe à 23 % pour La France Insoumise (LFI), tandis que ceux du Rassemblement national (12 %) s’en détournaient. D’une manière plus large, 13 % de Français ont répondu avoir participé au mouvement contre le « passe sanitaire » en prenant part à un rassemblement, un barrage filtrant ou un « convoi de la liberté ». La participation aux manifestations décroît fortement avec l’âge. Alors que 30 % des Français âgés de 18 à 24 ans déclarent avoir participé au mouvement contre le « passe sanitaire », c’est le cas de 5 % des Français âgés de 65 ans et plus. On observe la même tendance concernant les manifestations des Gilets jaunes (27 % de participants parmi les 18-24 ans contre 8 % parmi les 65 ans et plus). À cette occasion, un peu plus de deux Français sur dix ont eu alors le sentiment de désobéir aux autorités politiques et sanitaires lors de la pandémie de la Covid-19 (mais 40 % des sympathisants de la France insoumise et 34 % d’Europe-Écologie Les verts !) Selon le ministère de l’Intérieur, plus d’un million de dossiers d’infractions relatives à la covid-19 ont été ouverts entre le 17 mars et le 10 mai 2020.

ÉLÉMENTS. Les médias et les élites culturelles, médiatiques ou religieuses ont-ils influencé le vote des Français ?

PASCAL EYSSERIC : Oui et non ! Globalement, notre sondage révèle que le niveau moyen d’influence des journalistes, intellectuels, artistes et autres autorités religieuses ou syndicales est très faible, bien moins que l’entourage proche (famille et amis). Lors de la dernière élection, les Français qui ont voté ont clairement déclaré s’être détournés de toute influence extérieure pour faire leur propre choix. Moins d’un Français sur dix a pris en compte les conseils des médias du service public (9 %), des intellectuels (9 %), des syndicats de salariés (8 %) ou encore des artistes (7 %). Pourtant, à y regarder de plus près, on découvre que l’influence des élites culturelles ou médiatiques augmente avec la taille de la commune où vivent les sondés, et celle-ci est significativement plus élevée dans l’agglomération parisienne que partout ailleurs en France (17 % des Parisiens contre 3 % des gens du Nord-Ouest) ! « On aurait pu croire que la population urbaine – plus riche et plus éduquée – était la moins influençable et mieux capable de voter “par elle-même”. C’est l’exacte inverse qui est vrai », a conclu « Champs Communs », le nouveau laboratoire d’idées de la reterritorialisation lancé par Guillaume Travers, à qui nous avons confié les données brutes à des fins d’analyses. Dans le même ordre d’idée, les jeunes sont eux aussi plus soumis aux influences extérieures : un tiers des jeunes de moins de 35 ans a écouté les conseils de son entourage personnel pour décider de son vote (35 %). Deux sur dix ont écouté les médias du service public (18 %), les intellectuels et artistes (18 %) mais aussi les syndicats de salariés (18 %).

ÉLÉMENTS. Assiste-t-on à une révolte contre le système médiatique ?

PASCAL EYSSERIC : La réponse à cette question est sans doute une des plus intéressantes de notre sondage car elle est un marqueur fort. Politiquement, les électeurs d’Éric Zemmour (64 %) et de Jean-Luc Mélenchon (51 %) plaident majoritairement pour la protestation face aux médias mainstream tandis que ceux de Marine Le Pen (47 %) comme les sympathisants de la droite classique (39 %) envisagent généralement l’évitement, le pas de côté. Globalement, la façon dont les médias présentent l’actualité est approuvée par seulement 19 % des sondés, quand 45 % veulent « protester » pour changer les choses et 35 % considèrent qu’il vaut mieux « s’en désintéresser et se débrouiller seul ». C’est une constante, nous signale Jérôme Sainte-Marie, les partisans d’Emmanuel Macron sont avant tout l’acceptation, voire l’approbation, quand la protestation est préconisée avant tout par les sympathisants de gauche et de Reconquête !

ÉLÉMENTS. La couverture d’Éléments a de quoi surprendre ce mois-ci puisque Marine Le Pen et François Ruffin se partagent une affiche 100 % politique. Pourquoi ce choix ?

PASCAL EYSSERIC : C’est le couple de la rentrée ! Marine Le Pen et François Ruffin sont à ce jour les deux seuls politiques français qui, chacun à leur manière, parlent à la France populaire, à ces Français, travailleurs mais pauvres, employés mais à temps partiel ou en intérim, salariés mais précaires, bref à la France des sous-préfectures, à la France périphérique, à la France des bourgs. Une France qui hésite entre contestation et démission, qui progresse lors de chaque scrutin, 28 % lors du premier tour de la dernière présidentielle. Une France qui subit le mépris des élites de droite comme de gauche, une France dans laquelle il n’y a plus ni bureau de poste, ni médecins, ni infirmières, ni pharmacie, plus de bistrots mais des kebabs et des magasins aux volets fermés et parfois, aux fenêtres, des drapeaux bleu, blanc, rouge. Une France qui se sent ostracisée dans l’espace social comme Marine Le Pen l’est dans l’espace politique et médiatique. Dans son livre Je vous écris de la Somme, Ruffin avoue que désormais les ouvriers et les employés s’identifient à Marine et prévient ses contempteurs de tous poils « le mépris qu’elle subit, c’est le leur ». Pire, l’« offenser à la limite c’est la renforcer, c’est consolider ce lien ». De son côté, Marine Le Pen ne cache pas qu’elle a beaucoup aimé Merci patron, le documentaire de Ruffin sur la famille Klur, un couple licencié d’une usine sous-traitant de LVMH délocalisée en Pologne. Malgré les aléas de la vie parlementaire, Marine Le Pen nous a confié en apparté qu’elle ne parvenait pas à trouver Ruffin désagréable : « J’avoue que l’intérêt qu’il porte aux gens en difficulté me le rend sympathique. » Notre but n’était pas de les opposer mais de les confronter en interrogeant l’une et en suivant l’autre à la Fête de l’Huma.

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