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La France au Mali

Échec militaire au Mali : et si on en finissait enfin avec la « Françafrique » ?

La fin annoncée de l’opération Barkhane au Mali qui semble vouloir se tourner vers Moscou, pourrait permettre une réévaluation de grande ampleur de la politique française en Afrique, estime François d’Avenel, analyste à Strategika, groupe de recherche indépendant d’expertises stratégiques.

Ancienne colonie, le Mali, montre une tendance nette à la diminution de ses liens avec la France. Plusieurs responsables français se sont ainsi rendus dans la capitale, Bamako, pour exhorter les Africains à ne pas déployer le contingent de 1 000 spécialistes militaires russes du Groupe Wagner. Comme l’a déclaré la ministre de la Défense Florence Parly, « on ne va pas pouvoir cohabiter avec des mercenaires »[1].

Défaite au Mali

Quelques jours plus tôt, les dirigeants maliens avaient quant à eux clairement fait savoir qu’ils ne souhaitaient pas voir un contingent militaire français dans le pays. Comme l’a dit le Premier ministre malien Choguel Kokalla Maïga :

« Nous sommes obligés aujourd’hui de nous interroger, si de la même façon dont les partenaires ont décidé de quitter certaines localités, s’ils décident demain de partir, qu’est-ce qu’on fait ? On est obligé de nous interroger s’il ne faut pas avoir des plan B. D’autant plus qu’on a vu des pays où on a lâché et les gens se sont retrouvés seuls.

Le Mali est libre de coopérer avec tous les pays avec lesquels il existe des accords renchérit-il. »[2]

Les troupes françaises sont présentes au Mali depuis 2013. L’objectif officiel est de lutter contre le terrorisme. En réalité, le Mali et l’ensemble de la zone sahélienne sont devenus une sorte d’Afghanistan pour la France : une guerre contre le terrorisme sans fin et sans perspective d’issue. Cette guerre pompe l’argent et les ressources de la France et détruit de plus en plus l’image de la France dans le monde – tout comme la guerre sans fin en Afghanistan a détruit l’image des États-Unis en tant que superpuissance.

En juin, Emmanuel Macron a annoncé que France allait réduire sa présence au Mali et au Sahel. Thierry Vircoulon, expert de l’Afrique à l’Institut français des relations internationales (IFRI), a déclaré dans une interview que “c’est une défaite, c’est clair, et que la leçon pour la France est de ne pas se lancer dans des guerres qu’on ne peut pas gagner”.[3]

Il existe toutefois un autre point de vue : en réduisant le nombre de ses troupes, Paris aurait cherché à faire pression sur le gouvernement militaire récalcitrant du Mali. Il y a un an, les militaires maliens ont évincé le président Ibrahim Boubacar Keita, qui entretenait des liens étroits avec les milieux d’affaires français. En conséquence, les Maliens se sont tournés vers les Russes pour obtenir de l’aide. La tentative de Macron de faire chanter ses partenaires a été un coup humiliant – ses partenaires ont montré qu’ils pouvaient se passer de ses services.

Un Afghanistan français ou un Irak français ?

La situation au Mali, les tentatives infructueuses de traiter le djihadisme en Afrique dans son ensemble, sont une défaite non seulement pour Macron, mais pour toute la politique française précédente en Afrique, au moins depuis François Hollande et peut-être même avant. La crise sécuritaire au Mali ne serait pas survenue si Nicolas Sarkozy n’avait pas aidé à renverser le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi en 2011. En conséquence, certaines milices touaregs fidèles à Kadhafi ont été poussées hors de Libye. Les groupes armés se sont établis au Niger et dans le nord du Mali, où ils sont devenus la principale force du mouvement séparatiste local. Avec les islamistes, les Touaregs avaient pris le contrôle de la partie nord du pays. Le déploiement des troupes françaises a suivi. Les militants et les terroristes ont été vaincus, mais la guérilla s’est prolongée pendant plusieurs années.

Les erreurs de la France en Afrique sont presque identiques à celles des États-Unis et de la Grande-Bretagne au Moyen-Orient et en Afghanistan. Dans les deux cas, les forces occidentales ont vaincu l’ennemi assez rapidement dans les batailles ouvertes, mais se sont enlisées dans la guérilla. Dans les deux cas, le résultat des invasions a été l’effondrement de structures étatiques plus ou moins stables. En Libye, avec la mort de Kadhafi, l’État a disparu en tant que tel. Au Mali, les habitants affirment que la situation est bien pire qu’avant l’invasion : les terroristes sont actifs non seulement dans le nord, mais aussi dans le centre du pays, et des attaques terroristes ont lieu à proximité de la capitale, Bamako.

Au-delà des comparaisons de terrain entre le Mali et l’Afghanistan, il existe en fait de nombreuses similitudes entre le djihadisme malien et le phénomène « Daech ». En Irak, l’invasion américaine a entraîné l’intégration d’anciens officiers du régime de Saddam et d’islamistes au sein de Daech. Au Sahel, après l’intervention franco-britannique en Libye, les officiers touaregs de Kadhafi se sont alliés aux islamistes radicaux.

Iyad Ag Ghaly est un leader islamiste au Mali, qui a combattu dans les rangs de Kadhafi et a travaillé comme officier de renseignement libyen en France. Homme politique intelligent et sophistiqué, l’ancien ambassadeur du Mali en Arabie saoudite a fondé le groupe terroriste Ansar Dine en 2012, et est devenu en 2017 le chef du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, une association d’islamistes maliens fidèles à Al-Qaïda. Après l’élimination du chef de Daech, Adnan Abu Walid al-Sahrawi, Iyad Ag Ghaly, par les forces françaises au Mali, il reste le principal chef islamiste au Mali.

L’intervention en Libye a été le déclencheur de changements radicaux dans la région, la montée d’une insurrection djihadiste soutenue en partie par des dirigeants éduqués et formés politiquement. Dirigeants pour qui le djihadisme était le seul moyen de consolider leur statut dans la société. La même chose s’est produite en Irak.

Ce parallélisme démontre un problème grave. Comment le gouvernement de la République française peut-il sérieusement penser maintenir sa sphère d’influence en Afrique si ses tactiques et sa stratégie reproduisent les tactiques et la stratégie ratées des États-Unis ? De plus, quel était le but de l’implication de la France dans le changement de régime en Libye ? Intervention qui a fait s’écrouler tout le fragile système de sécurité en Afrique du Nord et au Sahel. Les États-Unis sont séparés par l’océan des régions où leurs politiques ont échoué et ont conduit à la montée de la menace islamiste. Dans le cas de la France, il s’agit de la mer Méditerranée, que les clandestins parviennent à traverser en bateau.

Néocolonialisme : contre l’Afrique et contre la France

Quels sont les objectifs réels de la présence française au Mali ? Les Maliens eux-mêmes estiment que les Français cherchent à leur prendre l’or et l’uranium – en affaiblissant l’État et en exploitant des gisements illégaux sous couvert de conflit. Il peut s’agir de rumeurs exagérées ou tout simplement incorrectes. Cependant, elles nous parlent de l’image de la France en Afrique. La même accusation est reprise et répétée par les dirigeants islamistes. Ainsi, selon Iyad Ag Ghaly[4], Paris cherche à coloniser le Mali à tour de bras afin de piller ses richesses : or, cuivre et uranium.

Les opposants islamistes s’opposent également à la France. Le 16 septembre, un autre rassemblement a eu lieu au Mali en faveur du retrait des troupes françaises et de l’introduction des Russes.

« Si Wagner est allé libérer la Syrie, si Wagner est allé libérer la République centrafricaine, alors nous accueillons Wagner à Bamako pour libérer le Mali. A la guerre asymétrique, nous proposons une solution asymétrique, qui s’appelle Wagner. C’est la vérité et aujourd’hui c’est la fin de la Françafrique »[5], a déclaré Adama Ben Diarra, porte-parole du collectif Yerewolo, ce qui a organisé l’action.

La France est désormais perçue comme une puissance coloniale qui poursuit les mêmes vieilles pratiques coloniales dans un nouvel environnement international. Ces pratiques ont pour but de siphonner les ressources des pays africains en imposant des conditions d’interaction économique défavorables et disproportionnées, en soutenant des élites compradores corrompues qui agissent dans l’intérêt des grandes entreprises « françaises » plutôt que dans celui de leur propre peuple.

À première vue, ce système néocolonial semble profiter à la France elle-même, mais c’est une erreur. Son principal bénéficiaire en est la haute bourgeoisie cosmopolite, qui installe en France les conditions du chaos migratoire et de la destruction économique des classes moyennes et populaires françaises.

Comme les activités de ces entreprises se déroulent dans une zone grise, sans déclaration (par exemple, l’extraction illégale d’uranium, d’or, de diamants), alors il est bien évident qu’aucun impôt n’est payé à l’État français et que les bénéfices ne sont pas redistribués en faveur des citoyens français. Mais les citoyens français supportent quant à eux les coûts du paiement des opérations à l’étranger, des interventions militaires et de l’établissement de régimes ostensiblement pro-français, mais en réalité liés aux intérêts des grandes entreprises françaises. Des relations malsaines qui en viennent à renforcer l’influence des politiciens africains corrompus sur la politique de la France elle-même.

Les coûts du néocolonialisme

Le coût objectif du développement dépendant et de la pauvreté artificielle imposés à l’Afrique – effet directe des politiques néocoloniales – pousse également des millions de personnes à la migration. Des milliers d’Africains fuient ainsi le fléau des guerres à répétition, de l’instabilité et des disparités économiques pour se rendre dans les pays riches d’Europe, en particulier en France, avec laquelle beaucoup sont liés par des liens de parenté historiques et par la langue.

Ce sont ces politiques néocoloniales qui ont conduit et conduisent à la formation de nombreuses communautés de descendants d’Africains en France et aux problèmes d’intégration de ces derniers dans la société française. À bien des égards, ceux qui considèrent les Français comme une source de leurs maux et de leur propre pauvreté, viennent s’installer en France. Il n’est pas surprenant que cet environnement devienne un terrain propice à la criminalité et au terrorisme. Les coûts du néocolonialisme sont à nouveau répercutés sur le Français moyen par les capitalistes et la bourgeoisie apatride.

Plus la République utilise l’Afrique, plus il y a de migrants et plus le danger est grand pour les Français eux-mêmes.  Le cas du Mali confirme cet axiome. Les troupes françaises sont entrées dans le pays en 2013. L’objectif officiel était de lutter contre le terrorisme, selon les locaux afin de contrôler l’uranium et l’or. Les troupes au Mali n’ont pas réussi à protéger la France des attaques terroristes à Paris et à Nice en 2015 et 2016.

En 2015, le Mali est devenu le fournisseur de migrants le plus important vers la France. Déjà en 2015, 619 000 ressortissants africains vivaient légalement en France, le groupe le plus important provenant du Mali (76 500), suivi du Sénégal (67 000) et de la RDC (64 000).[6]

Selon des données plus récentes de l’Insee pour 2020, la France compte 6,8 millions d’immigrés, soit 10,2% de la population totale. En 2020, 47,5 % des immigrés vivant en France sont nés en Afrique. Principalement d’Algérie, du Maroc, de Tunisie, des Comores, du Sénégal, de Côte d’Ivoire, de RDC, du Mali et au-delà.[7]

La France, sous-traitante de l’hégémonie américaine en Afrique

Ainsi, la politique française actuelle en Afrique est un échec total du point de vue des citoyens de la République française : 1/ elle n’élimine pas mais multiplie la menace terroriste, 2/ elle crée des opportunités et des conditions préalables à de nouvelles vagues migratoires, 3/ elle pousse des gens qui détestent la France à venir en France, 4/ elle crée de nombreux problèmes et menaces pour les Français et les Africains au nom des surprofits de quelques personnes.

Quelle pourrait être une politique française réaliste et responsable en Afrique ?

En 2017, Marine Le Pen avait par exemple promis d’abolir le franc CFA, élaborant ainsi une politique africaine reposant sur la souveraineté des États.[8] Simple promesse électorale ? En tout cas l’idée participerait d’une renaissance réelle d’un souverainisme français authentique.

Au lieu de couver des régimes dépendants et corrompus et de le payer par de nouvelles vagues migratoires, la France pourrait échanger le fait de donner plus de souveraineté aux États africains contre des mesures migratoires strictes. Les Africains devraient résoudre leurs problèmes internes et les Français devraient résoudre les leurs.

Il est certain que la France doit cesser d’être un sous-traitant de l’hégémonie américaine sur le continent africain, un agent des valeurs anglo-saxonnes de libéralisme, de libre marché et de démocratie. C’est un échec et, comme le montre le cas de la Libye, cela conduit à la désorganisation et au chaos et à une menace terroriste croissante. En outre, le nouveau “coup de poignard dans le dos” des alliés anglo-saxons montre que les États-Unis ne récompensent pas les efforts de Paris. La situation dans laquelle l’Australie a décidé de rompre son contrat avec le groupe naval français en faveur d’une coopération avec Washington et Londres montre clairement que les efforts de la France pour contrer l’influence russe et chinoise en Afrique ne sont pas payants. Alors pourquoi persister ?

Hystérie anti-russe ou anti-chinoise des États-Unis

La France n’a pas à soutenir les États-Unis dans leur hystérie anti-russe ou anti-chinoise. Au lieu de s’opposer fermement à l’arrivée de Russes ou de Chinois dans les pays africains, elle pourrait essayer de négocier avec eux. En RCA, par exemple, l’entrée des Russes dans la sphère de la sécurité n’a pas annulé la présence économique française dans le pays. Une évaluation solide de qui peut travailler avec qui en Afrique dans un intérêt mutuel est un meilleur support pour élaborer une politique étrangère que la pensée libérale doctrinaire. Paris pourrait travailler avec la même Russie contre l’influence croissante de la Turquie, qui utilise les forces islamistes pour promouvoir son influence en Afrique. Il est clair que ni la Russie ni la France n’ont intérêt à la montée du facteur islamiste. L’exemple de la Libye, où Paris et Moscou ont soutenu le maréchal Haftar contre les islamistes, montre que de telles alliances ponctuelles sont possibles.

Au Mali aussi – il est clair que la France ne peut pas faire face seule à la situation, la décision de réduire sa présence a été prise. Il y a peu d’options :

1) Nous pouvons laisser les choses telles qu’elles sont, mais nous devons alors nous attendre à ce que les islamistes prennent le pouvoir directement, comme en Afghanistan. La seule question est de savoir quand cela se produira. Le gouvernement central du Mali ne contrôle pas une partie importante du pays. Compte tenu de la position centrale du Mali dans la géographie du trafic de drogue et des flux migratoires vers l’Europe, tout cela aura des conséquences désastreuses pour l’Europe.

2) Il est plus probable que l’armée malienne ne veuille pas laisser les choses en l’état et capitule devant les terroristes. Et alors la France n’aura qu’un seul choix : soit négocier avec les Russes, soit pousser les Russes dehors et ainsi ouvrir la voie à la Turquie. Début septembre, le président Recep Tayyip Erdogan s’est entretenu avec Assimi Goita, Président de la Transition de la République du Mali. Le président turc a souligné que la Turquie est prête à partager son expertise avec le Mali dans la lutte contre le terrorisme[9].

La présence turque au Mali, une expansion de la zone d’influence néo-ottomane en Afrique, signifiera une menace terroriste et migratoire accrue pour l’Europe. Erdogan a longtemps fait chanter l’Europe avec les migrants syriens, maintenant il va pouvoir contrôler le flux de migrants et de drogues en provenance d’Afrique avec un accès direct à la Méditerranée via la Libye.

Une politique sobre et réaliste à l’égard de l’Afrique nécessite de réévaluer qui, et dans quelles circonstances, doit être considérer comme un adversaire et qui comme un allié. Ainsi que ce qui est possible ou ne l’est pas dans des circonstances spécifiques et dans quelle mesure la poursuite de la tendance néocoloniale est réellement bénéfique pour la France (sans parler de la dimension morale et éthique de la question).

François d’Avenel
Source : Strategika

[1] Mali : “La France ne s’en va pas” et refuse la présence Wagner (Florence Parly) 

[2] Mali must consider its options to “bolster our national defence”, says Prime Minister

[3] Why France is losing its ‘Great Game’ in western Africa

[4] Iyad Ag Ghali, le leader d’Ansar Dine, réapparaît et menace la France

[5] La jeunesse malienne soutient le déploiement de combattants russes alors que la France lance un avertissement

[6] France Diplomatie : La diaspora africaine en France

[7] Combien y a-t-il d’immigrés ou d’étrangers en France ?

[8] Au Tchad, Marine Le Pen rompt avec l’héritage de la figure paternelle Pascal Airault – 23 mars 2017

[9] Turkey supports Mali’s stability, prosperity, Erdoğan says

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