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Détruisons les tours pour faire des cités-jardins écologiques

« Il est impératif d’organiser la destruction des cités construites de 1955 à 1970 » pour les remplacer par « un habitat de taille et d’esthétique traditionnelles », a osé déclarer Marine Le Pen mardi 7 avril à Rozay-en-Brie (Seine-et-Marne).

Urbaniste et écrivain, auteur de La banlieue contre la ville, Pierre Le Vigan a consacré un article sur le renouveau des cités-jardins dans le dernier numéro d’Éléments. Aujourd’hui, dans son collimateur: Stéphane Troussel, élu socialiste de Seine Saint-Denis pour qui «l’architecture ne s’est pas arrêtée aux huttes gauloises».

« Il est impératif d’organiser la destruction des cités construites de 1955 à 1970 » pour les remplacer par « un habitat de taille et d’esthétique traditionnelles », a osé déclarer Marine Le Pen mardi 7 avril à Rozay-en-Brie (Seine-et-Marne). Et de citer la Seine Saint-Denis comme dépourvue de cette « culture architecturale » qu’elle appelle de ses vœux. Stéphane Troussel, successeur de Claude Bartolone comme président du Conseil général de Seine Saint-Denis s’est insurgé : « En proposant de “détruire les cités” pour les remplacer par un “habitat traditionnel’’ on atteint un niveau rare de bêtise, d’incompétence et de violence ». Et de mettre en avant la « stigmatisation » des territoires de son département. L’apparatchik socialiste a poursuivi : « Sans doute n’a-t-elle [Mme Le Pen] jamais entendu parler de Le Corbusier et de Niemeyer. Peut-être pourrions-nous résoudre aussi la question énergétique en revenant au silex et au feu de bois. » On ne voit pas bien le rapport avec les propos de Mme Le Pen, mais qu’importe – c’est l’heure de célébrité de M. Troussel. Décidément en verve, il a continué : « Non, l’histoire de l’architecture ne s’est pas arrêtée aux huttes gauloises. »

Détruire les grands ensembles pour reconstruire autre chose, une idée absurde ? Pourtant tout le monde en parle et beaucoup le font. Faut-il le faire à grande échelle ? On se dira au moins que s’il y a une activité qui ne peut être délocalisée c’est bien le bâtiment. Beaucoup le font ? Eh oui ! Ce qu’on appelle « rénovation urbaine », qu’est-ce que c’est sinon la destruction totale ou partielle de grands ensembles ? Ce qui a été fait à La Courneuve avec plusieurs tours ou barres démolies, qu’est-ce que c’est, dans cette mairie communiste, sinon de la destruction de grands ensembles et la reconstruction d’autre chose, à taille humaine, avec des volumes proches de l’habitat traditionnel (ou habitat vernaculaire si on préfère car on sent bien que le mot traditionnel est inentendable pour des oreilles « de gauche ») ?

Refaire de la construction à taille humaine ? C’est ce que l’on pratiquait dans nos villes jusque dans les années quarante, à l’exception de quelques signes annonciateurs des futures catastrophes urbaines, telles les tours de Drancy. Des volumes raisonnables ? C’est ce que l’on construit ou reconstruit maintenant : pas de barres de 500 mètres de long ou plus, pas de bâtiments de plus de 4 ou 6 étages, des jardinets à l’occasion, pas de grands parkings immenses en surfaces, pas d’espaces verts surdimensionnés et donc à l’abandon, des jardinets parfois… De la bonne architecture ne résout pas tous les problèmes, mais elle évite de les aggraver.

Détruire les cités pour faire autre chose ? Banlieues 89 de Roland Castro ne proposait rien d’autres, sinon de rompre avec les grands ensembles ? Retrouver une échelle plus raisonnable, permettre que les habitants se sentent bien dans le bâti, se l’approprient, cultivent leur plate-bande de verdure, mettent des fleurs au balcon ? Que fait la mairie du Plessis-Robinson (UMP) en restructurant les vieux immeubles sociaux pour créer de nouvelles cités-jardins ? Que fait la mairie d’Orly (de gauche) en construisant de petits immeubles de 3 étages à la place de grandes barres ? Elles ignorent Niemeyer et Le Corbusier, elles aussi. Tant mieux. 

Le terrorisme de la modernité cela suffit. Personne n’a le droit d’essayer de sidérer le peuple avec les grands mots de la modernité. Le Corbusier et Oscar Niemeyer marquent une étape de l’histoire de l’architecture ? ça c’est sûr. Comme Lénine marque une page de l’histoire du socialisme. Mais quelle étape ? La table rase. Le Corbusier, qui avait bien du mal à construire un bâtiment qui ne prenne pas l’eau, ayant cherché à vendre ses talents à tous les régimes, de préférence totalitaires, voulait détruire le centre de Paris pour y construire des tours en forme de croix (Plan Voisin-le Corbusier 1922-25). Dans Vers une architecture (1923) il explique que c’est en assurant le gite aux ouvriers qu’on évitera la révolution. Son idéal ? Une ville entièrement « fonctionnelle », une ville pour tous et pour personne, une ville qui ressemble à toutes les autres villes. Avec son apologie de l’automobile, avec sa volonté de suppression de toutes traces du passé, des traditions, des identités, de l’histoire, le Corbusier s’y connaissait en recette pour réduire l’homme à un simple producteur-consommateur. En recette pour rendre l’homme malheureux.

    Reconnaissons-lui deux bons points. L’un est la Maison Blanche de Chaux de Fonds. C’était au tout début de sa carrière (il avait 25 ans), en 1912. L’autre était sa femme, Yvonne, joli mannequin monégasque.

    La question qui se pose pour Oscar Niemeyer est la même que pour le Corbusier. Chacun est libre d’aimer ou non les objets isolés construits par tel ou tel. Mais l’urbanisme est une question politique avant d’être artistique. Niemeyer, proche de Le Corbusier a, comme lui, eu la prétention d’être un urbaniste c’est-à-dire de dessiner la ville, de décider du cadre de vie de dizaines de milliers de gens. Là, c’est le peuple qui devrait avoir le dernier mot. Ce que construit ou veut construire un Corbu ou un Niemeyer rencontre-t-il ou non les besoins des gens ? La ville du rêve de ces artistes rend-elle heureux ses habitants ? Telle est la seule question qui vaille. Niemeyer, disparu en décembre 2012, reconnaissait : « A Brasilia, les plus pauvres demandaient un lopin de terre, pas des maisons. J’ai compris comment nous autres, architectes, nous étions dans l’erreur quand nous pensions grands ensembles populaires ». 

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