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Comment démondialiser la musique

Gazo, Favé, SCH, Soolking, Niska, Maes, David Guetta, Sam Smith, Alonzo, Ninho et Naps. Ces noms ne vous disent rien, ou presque ? Ils occupent le top 10 des morceaux les plus écoutés à la mi-novembre 2022. Contrairement aux apparences, ils sont presque tous français ! Seul Sam Smith, icône LGBT grassouillette et décolorée, est londonien. Français, de papier ou non, mais bien français. Autre point commun : tous rappeurs. Véritable OPA culturelle, cette musique à l’origine afro-américaine et cantonnée aux bas-fonds new-yorkais règne presque sans-partage dans l’espace musical occidental. Thierry DeCruzy, auteur de la dernière publication de l’Institut Iliade « Démondialiser la musique. Une réponse au naufrage musical européen » (La Nouvelle Librairie), se penche sur ce phénomène.

ÉLÉMENTS : Comment expliquer aujourd’hui la quasi-suprématie du rap/hip-hop en France et dans le monde ?

THIERRY DECRUZY. Il ne faut pas se laisser aveugler par la propagande de l’adversaire, son domaine de prédilection : il n’y a pas de suprématie, même si la France est devenue un vulgaire pseudopode du rouleau compresseur culturel mondialiste. Il existe encore de nombreuses résistances identitaires, à commencer par les orchestres instrumentaux, les musiciens amateurs…

Cette sous-musique anticipe l’échec du programme mondialiste. Dans leur projet subversif, ces révolutionnaires ont échoué avec la musique. Ils en ont fait un outil de contrôle des masses, uniquement par la technologie. Contrairement aux autres arts, ils ont échoué car la musique n’existe que dans le respect des règles naturelles de l’harmonie et du rythme. Malgré les millions d’euros déversés chaque année à l’IRCAM (l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique), les compositions des adeptes de Boulez ne sont écoutées par personne, les droits d’auteur en attestent. La spécificité de la musique devrait être exploitée par des politiques conscients des enjeux culturels. Nous sommes dans un combat culturel crucial. Pour résister, il faut commencer par situer le front musical. Démondialiser la musique vise à fournir quelques clés.

ÉLÉMENTS : Pourquoi la musique, occupant une place centrale dans les loisirs de la jeunesse, est-elle devenue le principal vecteur dacculturation et de métissage ?

THIERRY DECRUZY. La force de la subversion a été de faire croire que chacun peut écouter ce qu’il veut, alors qu’il n’écoute en réalité que ce qu’on lui fait entendre par l’enregistrement et les concerts autorisés. Le terrain musical a été abandonné par les responsables politiques, opposition incluse ; ils ont même déserté tout le domaine culturel. La technologie, avec l’enregistrement et l’amplification, a rendu cet abandon possible. Il faut prendre conscience du totalitarisme culturel de nos sociétés « démocratiques ». Pour accéder aux scènes et aux médias, il faut faire allégeance à chaque sollicitation, de Johnny en passant par Booba, de Dalida à Yseult. Stigmatisée (en novlangue), Mireille Mathieu a dû s’expatrier en Russie. Les groupes musicaux de jeunes dissidents sont traqués et dénoncés par les antifas, précieux auxiliaires de la police de la pensée, puis interdits par les autorités publiques. J’en donne plusieurs exemples (Fraction, In Memoriam, Les Brigandes, FTP…). Même les chorales sont dénoncées, le Chœur Montjoie en a longtemps fait les frais. Derrière les paroles et le répertoire, c’est l’outil communautaire qui est visé.

La seule solution est de se faire inviter dans un cadre politique, ce qui limite l’audience, mais pourrait aussi servir de tremplin si les élus d’opposition faisaient leur travail. En cela, la musique rend compte de l’état des sociétés. Car la mainmise de la gauche sur la jeunesse est entretenue, de la scène musicale à la fête de l’Huma. Conseiller des présidents et musicien, Jacques Attali est à l’origine des grands concerts de SOS Racisme. Ministre de la Culture, Jack Lang lance la Fête de la musique. Une prise du pouvoir est utopique sans un combat préalable pour se réapproprier nos repères culturels.

ÉLÉMENTS : Vous écrivez que « les choix musicaux de la jeunesse ne sont jamais faits sur des critères esthétiques, mais communautaires ». Pourquoi alors Maître Gims ou Booba sont-ils aussi populaires auprès de la jeunesse de Haute-Saône que dans les cités de Seine-Saint-Denis ?

THIERRY DECRUZY. Cette situation est le résultat de la promotion médiatique utilisée aussi dans la mode ou l’alimentation. Elle est obtenue par la répétition, rendue possible uniquement par l’enregistrement. La qualité musicale est quasi inexistante, même si les produits de l’« industrie musicale » sont très soigneusement élaborés, Auto-Tune a été conçu pour cela. La répétition et la communautarisation font le reste. La répétition n’est que le phénomène psychique utilisé par les chamans des tribus primitives. L’effet obsessionnel du rythme est amplifié par la répétition à l’identique, ce que certains nomment le « ver d’oreille » ou la « chanson velcro ». Ces enregistrements séduisants agissent comme des envoûtements dont il est d’autant plus difficile de se débarrasser que le processus est parfaitement anodin. La communautarisation est générée par les phénomènes de groupes. Quelques individus prescripteurs adoptent les nouveaux titres et les autres suivent. Si l’alimentation industrielle est chimiquement toxique, l’industrie musicale est psychiquement toxique. Il est indispensable de revenir aux produits naturels.

ÉLÉMENTS : Ne serait-il pas intéressant de retourner les musiques du système, qui marchent commercialement, en utilisant les mêmes codes pour transmettre un message différent ? Ce à quoi sest efforcé, avec un succès très relatif, le rock identitaire, en France du moins…

THIERRY DECRUZY. Les critères ne sont pas autant le style de musique que le positionnement des artistes. Aujourd’hui, même si ce n’est pas complètement explicite, les musiques identitaires semblent être en première ligne, mais les orchestres militaires sont aussi attaqués, comme les orchestres classiques ou encore notre plus ancien répertoire vivant, le grégorien, marginalisé depuis les années 1960.

Ainsi, c’est moins le style qui importe, même s’il peut avoir une importance tactique, que le retour à une véritable pratique. Seuls survivront ceux qui pourront chanter (jouer de la musique vivante), les consommateurs de musique morte (enregistrée) sont de bien réels morts-vivants. En effet, un être humain a besoin de vivre en société, et les liens collectifs sont entretenus par la musique. Elle harmonise l’individu comme la communauté. Elle les met en phase. Cet effet psychique et sociétal n’est obtenu qu’avec des musiques vivantes, naturelles. L’enregistrement, comme l’amplification, détruisent les liens collectifs.

Mais il faut être conscient que dans le totalitarisme feutré actuel, un courant musical ne peut émerger que s’il est politiquement soutenu. Le rock identitaire français (RIF) s’est fait entendre auprès de la jeunesse grâce à l’appui de la SERP, la société d’éditions de Jean-Marie Le Pen, et grâce au soutien du Front national qui a offert une scène à ces groupes lors de la fête des BBR à deux reprises. La situation est différente suivant les pays puisque la scène alternative (terme dédié) italienne est dynamique et que les Anglais ont fait émerger la oi !

ÉLÉMENTS : Pensez-vous quune nouvelle musique enracinée puisse émerger ? La singularité bretonne peut-elle servir de modèle ?

THIERRY DECRUZY. La question est révélatrice de la situation : la musique enracinée n’a pas à émerger, elle existe déjà ; c’est juste qu’elle n’est plus utilisée, que les liens communautaires sont tellement distendus qu’elle est oubliée, occultée.

La France et l’Europe ont le plus grand patrimoine musical de l’humanité. Que reste-t-il de la musique antique grecque, égyptienne, perse, chinoise, indienne ? Les répertoires traditionnels et liturgiques sont toujours vivants (parfois moribonds) et le répertoire classique inspire toujours des générations de musiciens en Asie, aux Amériques et encore dans notre vieille Europe.

La musique est l’outil qui permet d’entretenir les liens collectifs. À chacun de la faire vivre dans son existence, en famille, entre amis, au travail, en déplacement. Nos ancêtres ont toujours pratiqué la musique. Une musique très simple, à la portée de tous et généralement accompagnée par la danse. Les Bretons, mais aussi les Corses ou les Basques entretiennent leurs répertoires traditionnels. Les Russes ont su se reconstruire des répertoires après les destructions soviétiques, la musique country est aussi une musique identitaire. Ces exemples doivent être encouragés par des responsables politiques conscients des enjeux. En France, la renaissance du chant traditionnel est issue des mouvements scouts après les massacres de la Grande Guerre. Il a connu un grand développement pendant la Deuxième Guerre mondiale au sein des Chantiers de jeunesse, à tel point que de grands chansonniers de l’après-guerre l’ont adopté. Significativement, c’est le courant folk issu de Mai 68 qui en est le fossoyeur.

ÉLÉMENTS : Quels groupes ou chanteurs, tous styles confondus, recommanderiez-vous ?

THIERRY DECRUZY. Au-delà des styles et des engagements, il est indispensable de revenir à la pratique vivante de la musique en s’affranchissant, autant que possible, de la consommation de musique morte (enregistrée). Si l’on se positionne sur le terrain politique, je recommande donc tous les artistes qui ont le courage de manifester des opinions dissidentes. Chaque génération produit son style, sa musique, reprenant et s’inspirant de ce qui a été composé avant elle, opérant une sorte de synthèse. Il faut chercher, s’intéresser à ces musiciens et chansonniers talentueux et courageux interdits des médias et qui arrivent malgré tout à exercer pour leur communauté. Gavino s’est expatrié en Espagne, Jean-Pax Méfret se produit sporadiquement, Docteur Merlin prépare un nouvel album (pour les enfants), In Memoriam, Fraction, Île-de-France et FTP continuent de jouer et de composer. Ils sont rejoints par des nouveaux comme Christoff, Kroc Blanc ou Romain Guérin, mais il y a aussi Judith-Prune Genot, Caroline-Christa Bernard ou Fleur d’épine et bien d’autres. Le dissident qui veut écouter de la chanson engagée a l’embarras du choix. Il doit savoir aussi qu’un artiste est une fleur fragile qui a besoin d’échanges avec un public pour continuer d’exister. La musique est fondamentalement porteuse d’espérance. Si la technologie en a fait un monstre de séduction, pour ceux qui sont encore capables de l’apprécier, rien ne vaut la pratique individuelle et surtout collective.

Propos recueillis par Eyquem Pons et l’Institut Iliade

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