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BHL : Bosna-nard et le blé d’Ukraine

"Bosna !" Vingt ans plus tard, Bernard-Henri Lévy renoue avec le documentaire de guerre en sortant Slava Ukraini, sans point d’exclamation cette fois. Mais avec la volonté intacte de l’onirisme égotique.

200 spectateurs se sont rués à la sortie de Slava Ukraini en février 2023. Ce qui est au moins le double de Bosna ! en 1994. Le documentaire très militant suit Bernard-Henri Lévy dans un périple auprès des militaires et de la population ukrainienne. En casque et gilet pare-balles ou en chemise blanche à col ouvert, le philosophe obtient des témoignages et dresse des portraits poignants.

Les commentaires du public sont mesurés. « Trop loin du front », « voix off lente, mal interprétée », « un documentaire ridicule », « un mauvais reportage sans nuance et partisan »… Une poignée de critiques évoque « un chef-d’œuvre, un incroyable road trip », « un film fort qui déroule la tragédie vécue en Ukraine ».

Tous barbares, sauf les Ukrainiens

« Oui, c’est vrai, je me suis plus intéressé à la misère bosniaque qu’à la misère au coin de la rue. Je suis un peu sourd à la question sociale. Que voulez-vous, on écrit avec son intelligence et son inconscient. » (BHL, 1995).

J’avais assisté à la projection de Bosna ! à l’époque, entouré d’une demi-douzaine de spectateurs d’élite. Il est inutile de décrire le caractère manichéen du documentaire. Le point d’exclamation tient lieu d’aveu. C’est le cri de ces hommes en armes qui risquent leur vie pour défendre Sarajevo et Bernard a épousé leur cause.

Ce cri de ralliement est aussi le sien. Il ne s’en cache pas : on le voit demander aux commandants de l’armée bosniaque la permission de tourner dans le but d’« inverser » leur image en Occident, comme un spécialiste en communication. Izetbegovic est comparé au général de Gaulle et les forces bosniaques au maquis du Vercors, ce qui est incompréhensible dans l’imbroglio de la guerre de Yougoslavie. Un seul récit sert de pièce à conviction et les Serbes – comme les Russes – sont ramenés au rang de « barbares ».

Aucun d’entre eux n’a la parole dans les films de BHL. Grossier et unilatéral, l’ancêtre de Slava Ukraini n’en recèle pas moins des trésors de poésie involontaire, de divagations burlesques proprement stupéfiantes où l’on voit notre homme nous assener avec la voix d’un acteur du Français années 50 des projections apocalyptiques au milieu d’un cimetière de mannequins en plastique dans un hangar désaffecté.

La philosophie en Porsche 911

BHL n’en est pas à son premier flop. Le jour et la nuit (1997) qui met notamment en scène Arielle Dombasle, Alain Delon, Lauren Bacall et des montgolfières au Mexique peut tellement faire office de plus mauvais film du cinéma français qu’il est devenu un chef-d’œuvre. BHL n’est ni un cuistre ni un idiot et il peut faire montre d’une loyauté et d’une fidélité exemplaires – voir son attachement à Dominique et Pierre-Guillaume de Roux. Surdoué hyperactif, Bernard-Henri s’ennuie et s’est de surcroît trompé de métier. BHL, copyright, a toujours été un homme d’affaires, un homme des bois d’Afrique jusqu’au grenier à blé de l’Europe – l’Ukraine. Il se voyait en Malraux, sans l’œuvre et sans l’époque, alors qu’il était un superbe chirurgien-dentiste, de teint et de mise. Que n’est-on plus heureux et utile à son pays, honnête et frontal, dans la publicité, le commerce et la banque ? Et même la promotion immobilière ou la concession automobile à Monaco et Antibes. Il est plus intéressant dans la vie de rouler en Porsche 911 Turbo S avec des filles en bikini que de parler d’Emmanuel Levinas dont tout le monde se fout.

© Photo : Patrick Lusinchi

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