Vincent Coussedière vient de publier un essai des plus intéressants, intitulé Marine Le Pen comme je l’imaginais (Éditions de La Nouvelle Librairie). L’auteur n’est pas le premier venu : issu d’une famille de gauche militante, agrégé de philosophie et, à ce titre, enseignant à l’université de Thann, aux environs de Mulhouse, il a déjà signé un essai magistral, Éloge du populisme. Histoire d’arranger son cas, il a, de plus, été candidat RN aux dernières élections législatives, dans la sixième circonscription du Bas-Rhin. Un profil atypique, dirons-nous.
Une simple dame qui pourrait devenir une grande dame…
Marine Le Pen, il la rencontre en 2017, dans l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle. Une révélation en demi-teinte : « Certes, Marine Le Pen comme je l’imaginais n’a pas la stature du général de Gaulle. » Les philosophes, confrontés aux réalités, ont parfois des réactions touchantes. Comme si Marine Le Pen pouvait être Charles de Gaulle. Ce n’est pas la même époque, pas les mêmes personnes ; même un enfant de cinq ans le comprendrait. En revanche, il y a cette observation, frappée au coin du bon sens et de la psychologie la plus élémentaire, lorsqu’il écrit : « Je sais maintenant ce qui m’a touché lors du « déjeuner des intellectuels ». En écrivant, je comprends pourquoi j’ai pensé que cette dame pouvait être une grande dame. J’ai compris que Marine Le Pen ne désirait pas fondamentalement le pouvoir pour le pouvoir, mais d’être en situation de faire quelque chose d’essentiel pour le pays. »
Et si Marine Le Pen n’avait pas vraiment confiance en elle…
Bien vu ! Ce portrait, on peut également le compléter par Alain de Benoist, préfacier de cet essai : « Certains l’accusent de vouloir tout décider elle-même – et si, au fond, c’était le contraire : qu’elle se sous-estime elle-même, que son seul vrai défaut est de se sous-estimer parce qu’elle sous-estime aussi la force potentielle de cette image personnelle qui fait que les « gens de peu » ont spontanément confiance en elle et se reconnaissent en elle ? » Il est vrai qu’une militante issue de cette France d’en bas que les médias dominants raillent à longueur de journée expliquait, à TF1, son adhésion en ces termes : « C’est la seule qui n’ait pas honte d’être avec nous sur la photo. » Un hommage qui en dit beaucoup sur l’adhésion populaire d’une Marine Le Pen qui, n’ayant pas toujours confiance en elle, a néanmoins appris à faire avec. Après tout, les handicaps de naissance ne sont-ils pas fait pour être surmontés ? La preuve que oui.
À ce titre, qu’il soit permis à l’auteur de ces lignes d’y apporter son codicille personnel, ayant accompagné cette dame dès ses débuts plus que mouvementés. Nous sommes au soir du 5 mai 2002. Le premier tour ? Une sorte de divine surprise. Le second ? Un cauchemar. Parmi les caciques lepénistes conviés à commenter ce cuisant échec sur les plateaux télévisés ? Personne. Et c’est Marine Le Pen qui s’y colle, sur ordre du père. Elle y va à reculons et, contre toute attente, s’y révèle. Le sourire toutes dents dehors, la faconde, le charme, la repartie. Elle n’avait certes pas tout à fait confiance en elle, faille pointée par Alain de Benoist ; mais elle avait l’essentiel : le charisme, ce qui n’est pas exactement donné à tout le monde. Pour vous en convaincre, demandez à Jean Castex, Olivier Faure ou même à une autre Marine – Tondelier, celle-là.
D’aucuns affirmeront ensuite que Marine Le Pen n’est qu’une créature médiatique. C’est à la fois vrai et faux. Ce sont effectivement les médias, toujours avides de nouvelles têtes, qui la découvrent, comme ils le feront ensuite de têtes nouvelles : Éric Zemmour ou Marion Maréchal. Mais c’est surtout elle qui, peu à peu, domestique ces mêmes médias, comme si de ce monde d’apparences elle en maîtrisait mieux les codes que quiconque. Pour tout arranger, elle a ce que les autres n’ont pas : une véritable légitimité politique, fondée sur la justice sociale. Quand elle parle du peuple d’en bas, elle fait autorité, étant élue d’Hénin-Beaumont, l’une des communes les plus déshéritées de France. Ce qui semble autoriser la droite la plus bête du monde (enfin, ce qu’il en reste) de la taxer d’un socialisme plus ou moins rampant.
Un pouvoir qui ne l’obsède pas…
Mais, pour en revenir à son rapport au pouvoir, mieux vaut encore se reporter à ses propos tenus dans le Causeur de novembre, là où elle confirme l’intuition de Vincent Coussedière : « L’idée de pouvoir être remplacée un jour, non seulement ne m’empêche pas de dormir, mais me permet de mieux dormir. C’est pour cela que j’ai transmis le parti à Jordan Bardella, alors que tout le monde m’incitait à le garder. L’idée qu’il y ait derrière moi des gens pour mener ce combat, c’est l’une de mes grandes fiertés. » Telle est Marine Le Pen, non point comme l’auteur de cet essai l’imaginait ; mais tout bêtement telle qu’elle est. Voici probablement la faille de certains philosophes, consistant trop souvent à vouloir tordre la réalité au gré de leurs désirs. Une impossibilité structurelle qu’Alain de Benoist a souvent résumée en ces termes : « Les intellectuels et les politiques vivent sur deux planètes différentes. Les premiers ont souvent tendance à couper les cheveux en quatre, tandis que les politiques sont là pour rassembler 50 % des voix, plus une. Les deux sont donc fatalement condamnés à s’observer de loin. » D’où la déception manifeste de Vincent Coussedière qui, avec une salutaire dose d’autodérision, admet avoir voulu être l’un des cerveaux d’appoint de Marine Le Pen, sans y être jamais parvenu. La liste est longue de ces intellectuels peut-être un brin flétris en leur orgueil de gens de lettres. Ce qui n’a jamais empêché cette dernière de puiser tel ou tel argument chez tel ou tel penseur, contrairement à l’idée trop souvent reçue et selon laquelle elle préfèrerait les chats aux livres.
Et puis, il y a l’angle mort de cet ouvrage, consistant à quelque peu négliger l’instinct politique inné de Marine Le Pen, sa faculté à rebondir et à toujours être là où on ne l’attend pas. Car on peut éventuellement tout lui reprocher, sauf ceci : avoir pris la tête d’un mouvement politique en quasi-déshérence – en 2011, le FN se remet difficilement de l’échec de l’élection présidentielle de 2007, où Jean-Marie Le Pen n’arrive que quatrième – pour, ensuite, en faire le premier parti de France et qui, aujourd’hui, est devenu incontournable à l’Assemblée nationale. Cela, Vincent Coussedière le reconnaît finalement de bon cœur, signant là l’un des livres les plus honnêtes sur Marine Le Pen. Cela méritait d’être salué. Voilà qui est fait.
Source : Boulevard Voltaire




