Vieillir dignement dans un milieu fait d’apparences, d’air du temps et d’élégances politiques du moment, n’est pas à la portée du premier venu. Bref, n’est pas Johnny Hallyday ou Claude Nougaro qui veut. Alain Souchon, lui, semble demeurer scotché au siècle dernier, celui de sa splendeur ; même si relative : ses vers ont souvent été de mirliton et sans les sublimes mélodies de son compère Laurent Voulzy, ses chansons seraient probablement tombées dans l’oubli. J’suis bidon, chantait-il ? Il en administre aujourd’hui la preuve. Quand je serais KO ? Cette ritournelle était prémonitoire. Un peu comme s’il avait toujours « dix ans », pour paraphraser un autre de ses tubes.
Ainsi, invité sur France Inter, ce vendredi 14 novembre, affirme-t-il : « Je ne crois pas que les Français soient assez cons pour élire quelqu’un du Rassemblement national pour les diriger. (…) Si ça arrivait, je m’exile en Suisse. »
Savoir se taire, comme Jean-Jacques Goldman…
Autrefois, une telle déclaration serait passée comme lettre à la poste. Mais l’époque des grands raouts du SOS Racisme des années 80 appartient au passé. Daniel Balavoine n’est plus là pour bramer L’Aziza. Décence commune oblige, Jean-Jacques Goldman ne reprendrait peut-être pas son hymne crétin, Je te donne, à l’occasion duquel il affirmait : « Je te donne toutes mes différences, tous ces défauts qui sont autant de chances. » Comme quoi l’ancien chanteur de Taï Phong –groupe de rock progressif à redécouvrir et dans lequel il fit ses débuts – a au moins compris une chose : dans le doute, mieux vaut parfois se taire. Et comme il ne chante plus, la question est réglée.
En revanche, Alain Souchon, à qui personne n’a dû oser dire qu’on avait changé de millénaire, s’obstine, avant de tomber de son déambulateur devant la ribouldingue par ses soins provoquée, tout en tentant de se rattraper aux branches : « J’aime bien dire des trucs déconnants. » Même ses fils volent à son secours : « C’était une blague. À la fin de l’interview, mon père fait une blague. Jamais mon père ne quittera son pays. Il n’y a même jamais pensé : il a pris la Suisse parce que c’est un cliché de l’exil. » Une blague qui n’a manifestement fait rire personne, hormis deux vielles haridelles de cette gauche qui pense fort dans sa tête : Pierre Arditi et Jacques Weber. Deux excellents acteurs certes, mais qui excellent surtout en déclamant les textes des autres plutôt qu’en ânonnant les leurs. Si l’on résume, ce n’est plus un comité de soutien, mais une EPHAD pour mal-comprenants.
Les immigrés ? C’est pour les pauvres !
Au fait, à propos de « pays », quel est celui d’Alain Souchon ? Un périmètre circonscrit par les boulevards Raspail et Montparnasse, entre Closerie des Lilas, Select et Rotonde. Un paradis pour riches qu’il entendait néanmoins quitter en 2019, estimant que Paris, devenu « gâchis de la civilisation », était « sale et violente ». Anne Hidalgo a dû apprécier. Au péril de sa vie, il est pourtant resté dans son Vercors en forme d’isolat doré, veillant à sa bonne tenue, puisque s’étant signalé, en juillet dernier, en signant une pétition contre l’implantation d’un Carrefour City en son pré carré de Saint-Germain-des-prés. Comprenez : les pauvres et les immigrés, c’est parfait, mais à condition qu’ils ne sortent pas de leurs quartiers. Vive la sociale. Bizarrement, c’est tout autre chose qu’il chantait, en 1977, dans Poulailler’s Song. Extrait : « On peut pas aimer tout Paris. N’est-ce pas y’a des endroits la nuit. Où les peaux qui vous font la peau. Sont plus bronzées que nos p’tits poulbots. Mais comprenez-moi la djellaba. C’est pas ce qui faut sous nos climats. Mais comprenez-moi à Rochechouart. Y’a des taxis qui ont peur du noir. » Voilà qui est touchant et rigolo à la fois. Railler les inquiétudes du peuple, quand claquemuré dans son immeuble haussmannien, avec digicode à l’entrée, dans le vestibule et dans l’ascenseur, ça eut payé. Mais ça ne paye plus.
Même Patrick Bruel ne la ramène plus…
Ses jeunes confrères l’ont d’ailleurs bien compris. Dans un pays où le mouvement jadis fondé par Jean-Marie Le Pen atteint désormais des intentions de vote stratosphériques mieux vaut être prudent. Déjà que les disques ne se vendent plus et que les artistes peinent à emplir les salles, inutile de fâcher le client potentiel. Même Patrick Bruel ne s’y risque plus ; c’est dire. Ainsi, ce lundi 24 au matin, alors que Pascal Praud venait d’en remettre une couche sur Alain Souchon, « le Jean Moulin du Café de Flore », il annonçait tout sourire, la venue du même Bruel Patrick, venu vendre sa soupette sur les ondes d’Europe 1. On pouvait s’en douter, l’ancien héraut de l’antilepénisme n’a pas profité de cette émission pour vilipender Vincent Bolloré, le nouveau Dark Vador des médias. Héros, mais pas trop, en quelque sorte. Sur qui compter ma bonne dame ? On se le demande.
Heureusement qu’il nous reste Annie Ernaux…
Heureusement, il y a encore la solidarité du troisième âge, tel qu’en témoigne cette pétition lancée par Annie Ernaux, prix Nobel de littérature. Son intitulé ? Accrochez-vous à votre slip, comme dirait Jean-Marie Bigard, son alter ego en matière humoristique : « Marchons contre les idées de l’extrême droite ! ». Explications ? : « Partout dans le monde, l’extrême droite avance désormais à visage découvert : d’Elon Musk et Steve Bannon aux États-Unis à l’AFD en Allemagne, en passant par les sommets internationaux de l’extrême droite, les saluts nazis sont désormais assumés par les alliés de Marine Le Pen et de Jordan Bardella. En France, la forte hausse des actes racistes, antisémites, islamophobes et la multiplication des agressions perpétrées par des groupuscules fascistes se poursuivent dans le silence assourdissant d’un gouvernement complice. » À ce jour, Alain Souchon n’a pas paraphé la noble déclaration d’intention d’Annie Ernaux. En bonne logique, ces deux vieilles dames avaient pourtant tout pour s’entendre, surtout partageant les mêmes attributs capillaires à base de poils testiculaires. Tout fout le camp.
Le rappel à l’ordre d’Ariane Mnouchkine… À propos de rombières fleurant la date de péremption, il en existe une autre, pourtant issue de leur camp d’origine, celui du vrai, du beau et du bien, Ariane Mnouchkine, figure de proue de la gauche artistique. En juin 2024, elle signe une tribune dans Libération, en forme d’autocritique : « Je nous pense, en partie, responsables, nous, gens de gauche, nous, gens de culture. On a lâché le peuple, on n’a pas voulu écouter les peurs, les angoisses. Quand les gens disaient ce qu’ils voyaient, on leur disait qu’ils se trompaient, qu’ils ne voyaient pas ce qu’ils voyaient. Ce n’était qu’un sentiment trompeur, leur disait-on. Puis, comme ils insistaient, on leur a dit qu’ils étaient des imbéciles, puis, comme ils insistaient de plus belle, on les a traités de salauds ». Entre deux croissants et un café crème payés au prix de l’or fin au Select, Alain Souchon serait bien inspiré de méditer ces terribles mots.
© Photo : Tilly Antoine / Creative Commons. Alain Souchon en concert à Rennes en 2020



