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À la découverte de Marco Scatarzi : la communauté des soldats politiques

Gérard Boulanger, auteur, traducteur, ancien rédacteur en chef de « Totalité », propose une excursion dans la pensée italienne avec la traduction d’un livre de Marco Scatarzi : Cap sur la communauté ! (Éditions de La Nouvelle Librairie). Au modèle mondialiste, l’auteur oppose l’harmonie essentielle de la Communauté et lance un défi au troisième millénaire : celui de réveiller notre civilisation en dormition. Une boussole indispensable dans le naufrage des idées.

ÉLÉMENTS : Ce livre est un pamphlet contre l’homme moderne, déspatialisé, interchangeable, soumis aux lois du marché. En comparaison, qui est l’homme de la Communauté ?

GÉRARD BOULANGER. Celui dont Marco Scatarzi nous dresse le portrait est l’exact contraire, la négation absolue de l’homme mondialisé : sujet et non pas objet de l’histoire, enraciné dans un espace, une lignée et une tradition, il récuse l’idéologie du Même autant que le culte du profit. Mais si ce texte a en effet le souffle du pamphlet et que le ton est souvent cinglant, la satire n’y a pas sa place : ici, pas d’emphase ni d’effets de manchette, le seul souci est de tirer juste et de faire mouche. Mais d’entrée de jeu, une précision s’impose quant à la nature de cette Communauté : celle dont nous parle l’auteur n’est pas un avatar de tribu urbaine ou un banal réseau social, c’est une Communauté militante, au service d’une Idée et d’une vision du monde, et les figures tutélaires invoquées –Salomon, Evola, Codreanu, Bardèche, Freda, Venner, Mishima ou Adinolfi – ne laissent absolument aucun doute sur son orientation ! Ses membres ne sont pas les « followers » de quelque « influenceur », ce sont des soldats politiques.

ÉLÉMENTS : L’auteur oppose Communauté et Société. Vivre dans l’une signifierait-t-il donc se retirer de l’autre ?

GÉRARD BOULANGER. Si l’auteur reprend l’analyse toujours valide de Ferdinand Tonnies quant à l’opposition entre Société et Communauté, il ne nous invite pas pour autant à fuir la première pour nous barricader dans la seconde et ne plus en sortir ! Cette dernière est un outil et un moyen qui, certes, permet de se soustraire à la vulgarité et à l’aliénation du monde moderne, mais c’est pour mieux l’affronter et le réinvestir. Pas plus qu’elle n’a vocation à être une réserve pour espèces menacées ou un refuge pour inadaptés sociaux, la Communauté militante n’est pas un paisible ermitage ou un ashram fleurant bon le patchouli. C’est une école où l’on s’instruit, un stade où l’on s’entraîne, un dojo où l’on s’exerce mais aussi une hiérarchie où l’on prend la place qui est la sienne et où l’on assume les responsabilités qui vont avec. Les « bastions » que Marco Scatarzi nous invite à édifier ne sont pas de nouveaux Montségur pour d’hypothétiques Parfaits : il ne s’agit pas seulement d’être dans ce monde sans être de ce monde—ce qui est déjà très bien ! – il s’agit de le subvertir.

ÉLÉMENTS : Les idées sont le ciment de la Communauté militante. Ne risque-t-on pas d’y voir essentiellement un lieu d’endoctrinement ?

GÉRARD BOULANGER. Pour Marco Scatarzi, en effet, la Communauté militante est d’abord un libre forum, un espace où circulent les idées, et certes pas une académie où de froids Maurétaniens [cf. Les Falaises de marbre d’Ernst Jünger (NDLR)] débattraient du sexe des anges. Loin de « sortir son revolver » à l’évocation du mot culture, selon la formule apocryphe, il nous invite à lui redonner toute sa place, mais en tant que « culture intégrale », telle que l’a définie Franco Giorgio Freda, et « qui doit se nourrir d’idées, non de concepts ; de spéculations, non de réflexions ; de méditation, non d’intelligence ; d’intuitions, non de connaissances ». À rebours de l’apathie suscitée par une soi-disant « neutralité » totalement biaisée comme du monologue ânonnant les mantras de ce temps et face au silence que l’on prétend imposer à la pensée non-conforme, il est nécessaire que celle-ci exprime ses « affirmations souveraines » et ses « négations absolues », pour reprendre la formule de Donoso Cortès. Au-delà, il est surtout urgent d’élever, au double sens du terme, des hommes et des femmes qui incarnent ces idées et se consacrent totalement à leur réalisation.

ÉLÉMENTS : Le don total de soi est au cœur de la Communauté militante. Comment concilier cela avec les impératifs et les contraintes de la vie quotidienne ? Est-ce réservé à la jeunesse ?

GÉRARD BOULANGER. L’enthousiasme, la disponibilité, le refus des compromis, la promptitude à se porter en avant, la radicalité, la primauté des valeurs héroïques et une certaine insolence sont des vertus très présentes dans les Communautés militantes et on les prête aussi volontiers à la jeunesse biologique. Mais ce sont aussi celles que beaucoup abandonnent dans leur mansarde d’étudiant avec leurs tickets de restau U, piaffant de passer aux « choses sérieuses », un état de fait que Marco Scatarzi traduit avec un grand sens de la litote par : « Une des principales limites de la communauté est liée à l’état civil. » C’est la raison pour laquelle le carburant de la Communauté militante ne saurait être la testostérone : celle-ci se nourrit bien d’avantage de discipline, d’abnégation, de fermeté d’âme, de gravité et d’engagement renouvelé chaque matin ! Soucieuse de s’inscrire dans la durée, elle exige les vertus du marathonien, et on y pratique beaucoup plus la méditation que les séries télé, le pathos de la distance que l’effusion et l’impersonnalité active que les selfies. Inconstants et velléitaires, passez votre chemin !

Pour autant, la Communauté militante n’est pas une vallée de larmes : l’accord avec sa nature profonde, avec ce que l’on ressent comme une vocation ; la conviction d’être à sa place, ici et maintenant, au coude-à-coude avec ses pairs ; l’assurance de faire ce qui doit être fait en transmettant à notre tour ce qui nous a été confié – cette synthèse de l’engagement et de la liberté est aussi une source inépuisable de joie.

ÉLÉMENTS : La Communauté militante est exigeante envers ses membres. N’est-ce pas incompatible avec la nature intrinsèque de l’homme, d’avantage portée aux « accommodements raisonnables » ?

GÉRARD BOULANGER. Dans les Notes & Aphorismes du Zarathoustra, on peut lire : « Il se forme une classe d’esclaves. Faisons en sorte que se forme aussi une noblesse. » C’est précisément à ce vœu que répond l’ouvrage de Marco Scatarzi, dont l’originalité réside dans la volonté de définir non seulement les principes fondateurs mais aussi les modes opératoires concrets de ces Communautés militantes où se forgera cette nouvelle « noblesse ». Par essence, comment pourraient-elles s’adresser au premier venu, alors que c’est à la Grande Guerre sainte qu’elles appellent, dans le droit fil de cette « école militaire de l’âme » évoquée par Franco Giorgio Freda, laquelle exige « des conduites exemplaires d’hommes, non des attitudes désinvoltes d’individus » ? Contrairement à l’opinion des réalistes en peau de lapin, l’Histoire n’est pas avare d’exemples de telles communautés : Marco Scatarzi évoque la phalange spartiate, le « cuib » légionnaire, l’école du Bushido et le squadrisme, mais on pourrait ajouter les ordres chevaleresques, le prussianisme ou les corps francs, sans oublier les Rebelles du recours aux forêts jungérien : en somme, comme l’écrit l’auteur, « à chaque fois que s’est accompli le triomphe de l’esprit sur la matière et du sang sur l’or ».

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