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Manama, Bahreïn - Jan 08 2024, Une vue d'un petit tapis avec motif faisant référence à la tragédie du retrait des troupes américaines d'Afghanistan en 08, 15, 2021, la chute de Kaboul, Manama, Bahreïn

Les États-Unis ont plus dépensé en Afghanistan que pour le plan Marshall

Le gouvernement américain a consacré davantage d'argent à son projet de créer un Afghanistan « stable et démocratique » que pour le plan Marshall en Europe après la Seconde Guerre mondiale. Un « pognon de dingue » pour le brillant résultat que l’on connaît.

Le Congrès américain a alloué un peu plus de 148 milliards de dollars à la reconstruction de l’Afghanistan entre 2002 et 2025. « Environ 88 milliards de dollars ont été dépensés pour créer une armée qui s’est rapidement effondrée en août 2021 sous la pression des talibans », déclarait ce mercredi 3 décembre, Gene Aloise, inspecteur général spécial par intérim chargé des efforts de reconstruction américains en Afghanistan, au Defense Writers Group. Selon le rapport du Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction (SIGAR), les fonds alloués par les États-Unis pour la reconstruction en Afghanistan (entre 2002 et 2014) s’élèvent à environ 104 milliards de dollars, soit 109 milliards compte tenu de l’inflation.

Ces chiffres n’incluent pas les 763 milliards de dollars dépensés pour armer l’armée et les services de sécurité afghans pendant les deux décennies de guerre, ni les 14 milliards de dollars pour le rapatriement et l’installation de plus de 200 000 Afghans aux États-Unis après la démission et la fuite du président Ashraf Ghani, ajoute l’inspecteur général spécial pour la reconstruction de l’Afghanistan, ou SIGAR, l’agence de surveillance créée par le Congrès.

À titre de comparaison, le programme de reconstruction communément appelé Plan Marshall, a coûté aux contribuables américains environ 135 milliards de dollars actuels pour reconstruire 16 pays, dont des alliés clés de la Seconde Guerre mondiale tels que la France et la Grande-Bretagne.

Les montants colossaux dépensés en Afghanistan durant la plus longue guerre menée par les États-Unis, l’on été de façon « dilettante »  selon l’inspecteur général, comparant le gouvernement de Kaboul à une « entreprise criminelle en col blanc » : « La corruption a tout affecté. (…) Elle a monté la population contre le gouvernement que nous essayions de mettre en place. Elle a affaibli les forces armées. Elle a affaibli tout ce que nous avons essayé de faire. »

Le coût réel de la guerre a bien sûr dépassé les seules sommes dépensées pour soutenir un gouvernement afghan qui s’est effondré dès le retrait des forces armées américaines. Il comprend les 2 450 militaires américains tués et les 20 760 blessés au combat, ainsi que les 66 000 soldats afghans et les 48 000 civils tués. « Le coût a été bien plus élevé que le simple aspect financier », ajoute  Gene Aloise

Malgré leurs rapports trimestriels faisant état du gaspillage, de la fraude et des abus généralisés en Afghanistan, les 200 membres du personnel du SIGAR ont eu du mal à faire entendre leur message auprès des hauts responsables militaires et gouvernementaux

Il est important de noter qu’environ 7,1 milliards de dollars d’armes et de matériel militaire financés par les États-Unis ont été abandonnés en Afghanistan lorsque les troupes américaines ont achevé leur « retrait » en août 2021. Catastrophique débandade, rappelant au passage les images de la guerre du Vietnam en 1975. Destinées aux forces nationales de défense et de sécurité afghanes, ces armes sont tombées entre les mains des talibans après l’effondrement du gouvernement soutenu par les États-Unis. Les chiffres ne reflètent pas toute la réalité. Les responsables du SIGAR ont déclaré que plus de 24 milliards de dollars d’infrastructures militaires et 24 milliards de dollars d’infrastructures civiles, toutes construites et financées par les États-Unis, étaient désormais à la disposition des talibans. « Et cela n’inclut pas les 1,5 milliard de dollars que nous avons dépensés pour l’ambassade américaine, qui est désormais vide », surenchérit l’inspecteur Aloise.

Les services et l’agent public

A de nombreuses reprises, les auditeurs du SIGAR ont été bloqués par d’autres responsables des services américains impliqués dans l’effort de guerre. Nombreux sont les fonctionnaires afghans à avoir reçu des pots-de-vin ou des commissions occultes. Malgré les avertissements du SIGAR, il a été répondu que les fonctionnaires en question travaillaient pour la CIA ou d’autres organisations gouvernementales.

« On nous a dit : « Ne vous en mêlez pas. Vous ne pouvez pas poursuivre ces types » », lance Gene Aloise. Malgré ces difficultés, les efforts du SIGAR ont permis aux contribuables américains d’économiser plus de 4,6 milliards de dollars. Leurs audits et leurs enquêteurs ont identifié plus de 1 300 cas de gaspillage, de fraude et d’abus pour un montant total de plus de 29 milliards de dollars. Les administrations Obama et Trump ont largement soutenu le travail des auditeurs du SIGAR. Cependant, l’inspecteur critique vertement l’administration Biden pour les avoir écartés pendant un an après l’effondrement de l’Afghanistan. Leur position était que le mandat du SIGAR avait pris fin dès lors où les troupes américaines avaient quitté le pays.

« Ils refusaient de nous parler. Ils refusaient de travailler avec nos collaborateurs. Ils ont demandé à leurs agents de ne pas travailler avec les nôtres. (…) En 50 ans, je n’ai jamais vu une telle opposition. Il a fallu un effort bipartite au Congrès pour que ce travail reprenne. », conclut l’inspecteur général. En 2021, en à peine quatre mois (de mai à mi-août), les talibans ont repris le contrôle du pays. La fuite d’Ashraf Ghani a signé l’effondrement définitif du gouvernement, ouvrant la voie à une transition chaotique. Le Pentagone lance alors ce qui est devenu la plus grande opération d’évacuation de non-combattants de l’histoire des États-Unis. Le pays de l’oncle Sam procède à l’évacuation de dizaines de milliers d’Afghans, dont beaucoup avaient travaillé avec les forces américaines et étaient confrontés à de graves menaces de la part des forces talibanes qui progressaient rapidement. Après le lancement de la guerre suite aux attentats du 11 septembre, les administrations aussi bien républicaines que démocrates, ont promis d’apporter la stabilité et la démocratie en Afghanistan, mais malgré le coût en vies humaines et en argent, elles n’ont finalement réussi ni l’un ni l’autre. Aujourd’hui, l’Afghanistan est un État sous régime autoritaire, dirigé de facto par les talibans, où la population fait face à une crise humanitaire, économique et sociale massive. « We got the job done! » aurait pu ajouter John Rambo…

© Photo : Manama, Bahreïn – Une vue d’un petit tapis avec motif faisant référence à la tragédie du retrait des troupes américaines d’Afghanistan en 2021 et la chute de Kaboul.

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