Cette pratique, consistant à exhiber un « trophée » – bannière, banderole ou drapeau – subtilisé à « l’adversaire » vient du mouvement « ultra » du supporterisme footballistique où la « chasse » aux symboles des groupes de supporters des équipes concurrentes se retrouve souvent au cœur de violentes bagarres et de haines viscérales. Il apparaît donc assez curieux, surtout quand on se prétend le « parti de l’ordre », de se féliciter de voir des représentants des forces de police se comporter comme des hooligans. Pour rappel, la police n’est pas sensée être une milice politique au service d’un « camp » ou d’un autre. Par ailleurs, les membres des forces de l’ordre, comme tous les fonctionnaires, sont normalement soumis à un devoir de réserve et de neutralité.
Imaginons quelles auraient été les réactions de la « droite », pourtant quasiment amoureusement attachée aux hommes en bleu, si, il y a quelques années, un groupe de policiers avait, après avoir matraqué et bousculé femmes et enfants, identiquement posé en piétinant des drapeaux de la Manif pour tous arrachés aux manifestants s’opposant au mariage homosexuel. L’indignation outrée et les appels aux sanctions exemplaires auraient alors été aussi unanimes que légitimes. Mais là, ce n’est pas pareil, c’est dans « l’autre sens », donc tout va bien ! Car les principes s’effacent désormais bien rapidement au profit des réactions partisanes les plus simplistes et les plus manichéennes.
Quand la politique tourne au supporterisme
Et c’est bien là – au-delà d’une photographie anecdotique qui ne mérite sans doute pas plus qu’un petit rappel au règlement – que le bat blesse et que les réactions des uns et des autres peuvent inquiéter tant elles semblent révélatrices d’une tendance lourde de notre époque, le passage progressif de la confrontation des idées à une opposition aussi systématique que pavlovienne et brutale. Dans une société chaque jour davantage « clivée », on ne juge désormais plus, positivement ou négativement, les actes, les faits ou les parole en fonction de leur contenu, de leur pertinence, de leur valeur ou de leur quiddité, mais du fait qu’ils émanent de son « camp » ou de celui d’en face. Ainsi disparaît peu à peu la distinction entre le « bien et le mal », « le vrai et le faux », ou le « juste et l’injuste » au profit d’un défense forcenée et bornée de tout ce qui porte la même « étiquette » que soi, et du dénigrement tout aussi dogmatique et rageux de tout ce qui revêt, de près ou de loin, les couleurs honnies de l’adversaire.
Excités par le fonctionnement putassier des réseaux, « fachos » et « gauchistes » se livrent donc un combat de cours de recréation qui aspire à devenir un champ de bataille. On se lance à la tête insultes et anathèmes, relayant n’importe quelle « fake news » à condition qu’elle aille « dans son sens », on dénigre, on diffame, on moque, on cherche à ridiculiser, à humilier, et pour atteindre cet objectif, tous les moyens sont bons. Il n’y plus de réflexion, de débat, ni de valeurs ou de principes, mais simplement la recherche éperdue de « points », de « buts », marqués contre l’équipe d’en face. Triomphe celui qui rassemble le plus de « vues » et de « likes ». L’espace public n’est plus qu’un grand stade de football. Qui pourrait bientôt ressembler à celui du Heysel.



