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La Meute : procès Mélenchon et règlements de comptes à l’extrême gauche

Jean-Luc Mélenchon : révolutionnaire ou tartuffe ?

A l’heure où la France s’enfonce dans une crise politique qui tourne chaque jour un peu plus à la tragi-comédie et où l’agenda électoral pourrait être une nouvelle fois bousculé, Jean-Luc Mélenchon apparaît plus que jamais comme une figure majeure qui pourrait déjouer les pronostics de ceux qui l’affirment « discrédité » par ses outrances et son soutien sans nuance à la cause palestinienne. Rodolphe Cart vient de publier, aux éditions de la Nouvelle Librairie, une biographie intellectuelle du chef de la France insoumise. L’occasion de mieux cerner celui qui semble en passe de devenir le nouveau « Satan » du paysage politique hexagonal.Propos recueillis par Xavier Eman

ÉLÉMENTS. Après vous être penché sur le cas de Louis Sarkozy, vous publiez un nouvel ouvrage consacré à Jean-Luc Mélenchon. Pourquoi ce choix, qu’est-ce qui vous a particulièrement intéressé dans ce personnage ?

RODOLPHE CART. Plusieurs choses. Qu’on le veuille ou non, lorsque les historiens politiques reviendront sur la vie politique française de ces dernières décennies, Mélenchon fera partie à coup sûr des personnes importantes de l’époque. Pourquoi cela ? Car il est une borne témoin des transformations que la France connaît : démographique, économique, politique, anthropologique. Et quand on dit que Mélenchon est un bon orateur – comme tout le monde et moi le premier -, on n’a en réalité rien dit sur l’homme. Voilà pourquoi j’ai essayé de saisir, à travers différents portraits, la pensée profonde de cet homme.

Aussi, il est l’un des seuls politiques à avoir une véritable œuvre littéraire – en plus de ses nombreux ouvrages, il faut ajouter son blog, ses articles et ses prises de parole. S’intéresser à Mélenchon, c’est revenir sur cinquante ans de bouleversements mondiaux et nationaux. En plus de ses productions, j’ai dû donc lire des biographies (Alemagna, Alliès, Charpier) mais aussi des travaux sur sa doctrine (Alexis Gales), ainsi que des livres portant plus largement sur l’histoire du trotskisme (Mauduit et Sieffert), son parti (Hadrien Mathoux), sur la reconfiguration politique en cours (Aurélien Bernier) ou sur la manière d’appréhender le combat politique à gauche (Comité invisible).

ÉLÉMENTS. Jadis sénateur socialiste bon teint, puis chef de file d’une gauche radicale républicaine et laïque, comment expliquez-vous le virage indigéniste et « créolisateur » de Jean-Luc Mélenchon ? Est-ce, selon-vous, du simple opportunisme et de la pure démagogie électoraliste ?

RODOLPHE CART. Je ne parlerai pas de rupture à proprement parlé, mais bien plutôt d’évolutions. Mélenchon a toujours été antiraciste, décolonial, partisan d’une vision universaliste du peuple. Sur ces sujets, il n’a pas changé d’un iota. Toutefois, il est aussi un homme dangereux car il est un homme habile, stratège, tout entier déterminé à exercer le pouvoir et à « transformer » la société. Ancien trotskyste, celui que l’on surnommait Santerre à l’OCI (du nom du révolutionnaire qui amena Louis XVI à l’échafaud) connaît la règle d’or du combat politique : ne pas faire prévaloir la tactique sur la stratégie.

Mélenchon s’est taillé un parti sur mesure, a autour de lui une garde rapprochée fidèle (après moult épurations) et mène le combat politique sur tous les fronts possibles (médiatiques, politiques, intellectuelles, associatifs, numériques, etc.). Depuis le début de sa carrière politique, il a toujours gardé une oreille attentive pour la jeunesse (il aide à l’époque Julien Dray et SOS Racisme) et le monde qui l’entoure. Mélenchon connaît, par exemple, aussi bien les courbes démographiques de la France et de l’Europe que n’importe quel homme de droite. La France change, alors son discours change aussi. D’ailleurs, l’un de ses premiers livres A la conquête du chaos (1991) était déjà une dénonciation des prévisions déterministes des marxistes orthodoxes. Mélenchon veut comprendre les moments de bifurcations, quand un système entre subitement dans un état différent du précédent pour en tirer le meilleur pour ses plans.

ÉLÉMENTS. Pour certains observateurs, LFI est aujourd’hui « sorti de l’arc républicain », ce qui rendrait impossible la constitution d’un nouveau « Nouveau Front Populaire » réunissant toutes les forces de gauche. Partagez-vous ce point de vue ?

RODOLPHE CART. À travers votre question sur la « sorti de l’arc républicain », vous revenez indirectement sur l’épisode tragique du 7-Octobre et de la séquence politique qui s’en suivie. Dans mon cas, je ne fus absolument pas surpris de telles prises de position de la part de Mélenchon et ses partisans. Bien sûr, on peut mentionner les espoirs électoralistes de tels positionnements. Comme Marine Le Pen peut compter sur la masse des classes moyennes et populaires périphériques et blanches, Mélenchon a aussi dorénavant un « butin de guerre » dans les banlieues urbaines. Ce n’est pas négligeable pour celui qui échoua en 2017 à 600 000 voix et en 2022 à 400 000 voix pour accéder au second tour. Le problème pour lui étant maintenant de faire voter ces populations.

Ensuite, il est vrai que la « sécurisation » de cet électorat se fit au prix cher. Mélenchon et ses équipes ont dû batailler pendant des mois dans la tourmente médiatique. Toutefois, cela a permis de resserrer les troupes autour de son leader et d’éliminer les brebis galeuses. Le parti se renforce en s’épurant, comme le dit l’expression. Une fois de plus, Mélenchon s’en est tenu à la stratégie et au long terme. Il est devenu le centre de gravité des forces de gauche, renvoyant les autres dans le rôle supplétif d’alliés du Bloc Central en constante rétractation.

Quant à sa « réintroduction dans l’arc républicain », elle se fera par le théâtre antifasciste contre l’arrivée du pouvoir du RN. Pour s’en convaincre, il se suffit de voir comment l’historien Johann Chapoutot, proche de l’Institut La Boétie, centre de formation intellectuelle de LFI, est mise en avant par le parti. Mélenchon reviendra sur le fait qu’il avait déjà, en 1998, voulu interdire le Front national, etc, etc. Tout cela est cousu de fil blanc.

ÉLÉMENTS. Avec la « normalisation » et la « notabilisation » du Rassemblement national, LFI est-il aujourd’hui le seul parti que l’on peut considérer comme « anti-système » ?

RODOLPHE CART. Comme l’économiste Frédéric Lordon, je pense que Mélenchon peut accéder au second tour des élections présidentielles de 2027. D’autant plus que les derniers sondages nous donnent un seuil de qualification relativement bas. Rappelons qu’aux dernières élections européennes de 2024 – qui sont normalement des élections difficiles pour lui –, la liste menée par Manon Aubry a récolté 9,2 %, contre 6,31 % en 2019. Si on regarde différents sondages, réalisé deux ans avant le scrutin de 2027, où Mélenchon est donné à 15 %. Selon le même institut de sondage, en juillet 2020, soit 2 ans avant la présidentielle de 2022, Jean-Luc Mélenchon était donné à 12 % des voix. Il a fini avec 22 % des suffrages exprimés. Et selon l’IFOP, en juillet 2015, en vue de la présidentielle de 2017 où le candidat insoumis a remporté 19 % des voix, celui-ci était donné à 9 % d’intentions de vote.

On sait que la dépolitisation et le dégagisme sont des tendances de plus en plus répandues chez les Français. Le sociologue Jérôme Fourquet déclarait récemment dans Le Figaro : « La vie politique est une pièce de théâtre totalement décalée se jouant devant une salle vide ». On sait aussi à quel point les politiciens et journalistes de tous bords sont haïs. Mélenchon se frotte déjà les mains de pouvoir apparaître comme le seul capable de faire advenir une rupture avec l’ordre en place, l’homme honni d’un système rejeté en masse par le reste de la population.

ÉLÉMENTS. Pour terminer, pensez-vous que Jean-Luc Mélenchon conserve des chances de victoire dans l’optique d’une future élection présidentielle ?

RODOLPHE CART. Tous les sondages nous disent qu’il se prendrait une véritable « raclée » au second tout, si en face – et il y a de fortes chances que ce soit le cas – se trouve le candidat RN. Encore une fois, méfions-nous de la bête politique et stratégique qu’est Mélenchon. Ne sous-estimons pas non plus encore la force, bien qu’elle puisse décroître, de la guignolade antifasciste et de la propagande sur le « retour du bruit des bottes ».

Aux élections législatives de 2024, nous avons encore vu des pétitions et des appels à manifester contre le RN. Ces actions venaient autant d’institutions « reconnues » comme l’Éducation nationale, le corps des diplomates ou encore des scientifiques, que de canaux de la société civile comme les influenceurs, organisations (la Ligue des droits de l’homme, Attac, La fondation Abbé-Pierre, etc.), sportifs, etc.

En revanche, ce qu’il y a peut-être de plus préoccupant, c’est la possible bascule dans une forme de résistance – et pourquoi pas violente ? – d’une partie de la gauche militante et même politique en cas d’arrivée au pouvoir du camp national. Depuis des années, Mélenchon multiplie les appels à la désobéissance, à la résistance, et même à l’insurrection – morale, dans un premier temps – en cas d’ « arrivée au pouvoir de l’extrême droite ». Si Mélenchon sait qu’il doit tenir sa langue pour ne pas déraper, on sent, derrière lui, que toute une frange de ses soutiens n’a pas les mêmes pudeurs.

Sur le sujet, on se souvient des mots Raphaël Arnault, ancien porte-parole de la Jeune Garde antifasciste et désormais député Nouveau Front populaire de la première circonscription du Vaucluse (après un parachutage). Devant une quarantaine de personnes, accompagné par Mathieu Molard, journaliste au média d’extrême gauche StreetPress, les deux hommes discutaient d’une possible arrivée au pouvoir en 2027 du camp national. Après la proposition d’un membre du public de « viser les leaders [d’extrême droite] », Arnault sourit : « Je ne vais pas dire ça ici… » Enivré par l’auditoire, il finit par se laisser aller : « On a du mal avec la violence à gauche parce qu’on rêve d’un monde sans violence. Mais face à des collectifs qui sont ultra-violents, la violence est justifiée ! ». Des mots dont il faudra se souvenir.

Mélenchon, le bruit et la fureur de Rodolphe Cart

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