Hanouna, c’est l’homme qui valait 6 millions de téléspectateurs. Quel politique n’irait pas le draguer ? Il cartonne chez les jeunes, chez les gens qui ne votent pas, chez ceux qui votent Marine Le Pen (20 % de ses « fanzouzes » – l’expression consacrée) et ceux qui votent Jean-Luc Mélenchon (14 %). Cela l’autorise à parler comme s’il présidait aux destinées sentimentales des Français. Le titre de son bouquin sorti à la rentrée le dit de manière suffisamment explicite : Ce que les Français m’ont dit. Il ne manque à ces doléances que le « nous » de majesté pour se croire revenu en 1789 et à la convocation des états généraux. Hanouna s’adresse à la nation. Ceux qui n’auraient pas compris n’ont qu’à se reporter au sous-titre de son cahier de doléances : Cyril Hanouna livre à Christophe Barbier sa vision de la France. C’est comme s’il était le confesseur autoproclamé des Français, et pas seulement autoproclamé : 6 millions d’entre eux le regardent régulièrement et soufflent à son oreille leurs peines et leurs misères. Notre directeur de conscience. À lui la direction des ânes.
On prend les paris, mais je suis convaincu qu’il se présentera en 2027 à la présidentielle. Son bouquin est un livre de candidat. Moi, je, Cyril Hanouna, bouffon du roi aspirant à la succession du trône sous le nom de Baba Ier, premier de la dynastie des Hanouniens. Ce qui est bien malgré tout avec lui, c’est qu’il est en train de ringardiser la branche orléaniste des comiques : celle de Yann Barthès. Par contraste avec TPMP, Quotidien ressemble de plus en plus à une émission de petits minets bourgeois progressistes. C’est l’humour tel qu’on le pratique à Sciences Po Paris, le gauchisme casual, en costume-tennis. Hanouna, lui, c’est la France d’en bas. Le problème, c’est qu’il la tire de plus en plus vers le bas, cette France.
Ah, qu’est-ce qu’on se marre !
TPMP, c’est l’irruption de la logique du hard-discount dans l’univers de la télé-réalité. Hanouna fait dans le gros, le demi-gros et le super-lourd. Il débite la blague au container, à la palette, au kilotonne. Ses chroniqueurs sont des chefs de rayon. Il y a le rayon « humour nouille » ; la gondole « bite au cirage » ; le présentoir « saut de merde sur la tronche ». Ah, qu’est-ce qu’on se marre ! La stratégie commerciale d’Hanouna, en bon hard-discounter, c’est de casser les prix – de l’humour, de la qualité, du service. Cela s’appelle tirer vers le bas, politique incluse, comme si d’elle-même elle consentait à sa destitution. Elle devient spectacle, elle se carnavalise, elle s’hanounaïse. Ainsi le pouvoir revêt-il ses habits de dérision. Autrement dit, le pouvoir renonce au pouvoir au profit des clowns, des politiclowns.
Aujourd’hui, tout est fait pour les nuls. C’est même la marque de fabrique de l’époque : les livres pour les nuls, les tutos pour les nuls, la politique pour les nuls, suivant la pente descendante de l’égalitarisme. C’est l’équation du succès, les nuls étant majoritaires. Adieu les prix d’excellence, vive la baisse de niveau. Hanouna, c’est la vengeance du dernier de la classe qui fait passer l’oral aux premiers de la classe en se haussant du col en permanence, exactement comme le roulement d’épaules de Sarkozy. À les voir tous les deux, on a l’impression de deux poules d’eau dodelinant de la tête avant de monter sur le ring pour un combat de coqs. Ce qu’est devenue la politique à l’ère des clashs.
Hanouna = Morandini + Cauet + Alain Duhamel
« L’ère des clashs », c’est le titre de l’avant-dernier livre de Christian Salmon, très bon analyste des tendances marketing de l’époque, même si ses démonstrations sont frappées d’hémiplégie gauchiste, ce qui, sans les invalider, en diminue la portée. L’ère du clash, c’est la politique conçue comme un match de catch. Show devant ! Le pugilat truqué remplace le débat tronqué. Rien de tel pour buzzer sur les réseaux sociaux. Les réseaux sociaux fonctionnent comme un sismographe de l’insignifiance. Ils mesurent le néant des fesses de Kim Kardashian, l’inintérêt des plaquettes abdominales de Cristiano Ronaldo ou du chien de Barack Obama. Ça devrait nous en toucher une sans faire bouger l’autre. Ce n’est pas le cas. La preuve, tout le monde en parle, même moi. TPMP surfe sur cette tendance. C’est le micro-trottoir des réseaux sociaux, tous les potins du jour décortiqués comme s’il s’agissait d’une querelle théologique. Avec les avis éclairés de Gilles Verdez, de Valérie Bénaïm et de Bernard Montiel. Au secours ! Il y avait le commentaire politique qui a envahi les chaînes d’info continue, il faut maintenant compter avec le commentaire peopolitique. C’était la chasse gardée de Jean-Marc Morandini, mais Hanouna y ajoute le ton de Cauet et l’ambition de durer de Michel Drucker et d’Alain Duhamel. Il ira loin, le petit. L’entrepreneur de spectacle se voit en arbitre présidentiel, le roi des faiseurs en faiseur de roi – en attendant de le devenir à son tour.
Comment séduire la France périphérique ?
Il y a quelques années, Hanouna avait dit qu’il ne recevrait ni Marine Le Pen ni Éric Zemmour. Il a changé. Marine Le Pen et Éric Zemmour aussi. Il y a quelques années, ils n’auraient jamais été à TPMP. Alors, Zemmour devait-il y aller ? Oui, bien sûr, c’est l’outsider. S’il n’y va pas, Marine ira à sa place ou Marlène Schiappa ou Jean-Luc Mélenchon. L’angle mort de Zemmour, c’est la France périphérique. En débauchant des Gilets jaunes comme Jacline Mouraud et Benjamin Cauchy, il a cherché à rectifier le tir, mais ça ne vaut pas un prime-time chez Hanouna. C’est le spectatorat qu’il cible et qui lui échappe pour le moment. Comment réagira la France conservatrice, plutôt aisée, qui lui est acquise ? C’est le dilemme du doigt d’honneur, dilemme cornélien. Perso, j’adore. Qui ne rêverait de faire un doigt d’honneur aux antifas ? Mais la bourgeoisie Fillon ?
En attendant, Zemmour ne peut pas faire autrement que de braconner sur les terres du RN ; et les « fanzouzes » de « Baba » constituent un bon public pour cela. C’est néanmoins une terra incognita pour Zemmour. Il aime la France, mais il lui reste encore à aimer les Français, exercice difficile, d’abord parce qu’ils ne sont pas tous ni désirables ni chérissables. Sont-ils du reste encore Français au sens que Zemmour accorde à ce mot ? « La France sous nos yeux », pour reprendre le titre de la somme impressionnante de Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, est quand même assez loin du clip de campagne de Zemmour. Elle ne regarde plus depuis longtemps les films de Sautet et n’écoutent plus Barbara ; et plutôt que Napoléon, elle plébiscite Johnny tout en dansant sur de la musique country (sans parler de sa sociologie des prénoms).
Sarkozy, Berlusconi et Trump
Les politiques devraient toujours garder en tête la terrible philippique adressée par Finkielkraut à Sarkozy juste après son élection, en 2007, quand ce dernier est allé mouiller à Malte dans le yacht de Bolloré : « On ne peut pas se réclamer du général de Gaulle et se comporter comme Silvio Berlusconi. On ne peut pas en appeler à Michelet, Péguy, à Malraux, et barboter dans le mauvais goût d’une quelconque célébrité de la jet-set ou du show-biz. » C’est notre oraison funèbre, celle de la grande politique, Bossuet enterrant Triboulet, le bouffon de François Ier. Je sais bien que Trump est passé par là. Trump a ouvert la boîte de Pandore. Celui qui la refermera n’est pas né. Faire de la politique comme si ce n’était plus qu’un spectacle, et un spectacle trash, baroque, barock même. Les trumpettes de la renommée. La formule de Juvénal, du pain et des jeux, n’est même plus à l’ordre du jour. Désormais, le pain, c’est les jeux. Je le redis : Américain, j’aurais voté Trump. He’s the best ! C’est la plus grosse star de la scène politique et pas que politique. Il est meilleur dans son genre que Mike Jagger. Il fait le show, il bande ses muscles en permanence, roule des mécaniques comme Aldo Maccione à la plage, il crâne, il fanfaronne, il envoie la purée. Il ressemble à la société du tout à l’ego. C’est la raison pour laquelle ça marche. Il n’a pas de surmoi comme elle, il n’a pas de limites comme elle, il est fluorescent et siliconé comme elle. C’est un cow-boy mais qui nous vient du futur, un « space cow-boy », comme le film du même nom. Mais ce n’est pas parce qu’on vient du futur qu’on a un avenir politique.