L’œuvre romanesque de Benoît Duteurtre se répartit entre autobiographie nostalgique et satire mordante de la modernité. C’est dans cette deuxième veine – où il excelle – que s’inscrit Le Grand Rafraîchissement. L’arrière-petit-fils de René Coty écrit des farces mêlant le réel et l’imaginaire, pour tourner en ridicule certaines lubies (wokisme, écologisme, hygiénisme). Il pousse avec perspicacité et humour les travers bienveillants-totalitaires de notre temps, révélant leur dangerosité et leur absurdité, dans des comédies oscillant entre plaisir frivole de s’en moquer et vive exaspération.
Le Grand Rafraîchissement mêle fiction et réflexions sur notre modernité : s’enchevêtrent habilement plusieurs histoires qui se croisent, et des anecdotes personnelles et observations éparses de l’auteur (les files d’attente, le bruit incessant de la ville, l’enlaidissement des paysages ou la procession des annonces toujours plus nombreuses à bord des trains). Tout change à toute vitesse autour de Benoît Duteurtre, nostalgique de la France des Trente Glorieuses qui ne reviendra jamais ; il se met en scène dans un personnage réac et ronchon qui pourrait être membre du club éponyme tant il montre son antipathie pour l’époque, la transformation de Paris, les cyclistes, la chasse aux fumeurs, ou la pénalisation de tout ce qui contrevient à l’air du temps.
Totalitarisme démocratique
De pénalisation, il en est question dans ce roman : la Loi pour une Justice Équitable instaure le principe de quotas judiciaires. Les « jeunes des quartiers difficiles » sont surreprésentés dans les cours de Justice et en prison, cette discrimination est intolérable, inéquitable. Les condamnés doivent désormais correspondre fidèlement à la répartition démographique de chaque « catégorie sociale ». Français de souche, bourgeois, catholiques et seniors – encore majoritaires – ne pourront échapper à la Justice, quitte à créer de nouveaux délits ou rendre des condamnations démesurées. C’est ainsi qu’on peut être arrêté pour avoir traversé en dehors des clous ou acheté des couteaux de cuisine.
L’auteur facétieux imagine la fin du réchauffement climatique – ce grand rafraîchissement qui donne son nom au livre – et le retour au climat tempéré. Cet adoucissement se matérialise par un élan politique frais : la création du mouvement des citoyens équilibristes et tempérés. Cette tempérance a donné à la France sa culture politique équilibrée dont l’auteur se réclame, loin de l’esprit échauffé des extrémistes de tout bord. A la conviction qu’on ne fait que courir à la catastrophe, répond l’espoir empreint d’un idéalisme naïf de l’auteur, qui imagine que tout peut encore s’arranger, qu’un dénouement imprévu balaiera les menaces qui pèsent sur nous et que l’harmonie apaisée d’une France nouvelle s’établira.
Benoît Duteurtre, Le Grand Rafraîchissement, Gallimard, 224 p., 20€