À première vue, les résultats sont sans appel : « 52 % des Français sont favorables à une coalition gouvernementale des droites ». Un score qui monte à 88 % chez les électeurs du RN et à 82 % chez ceux des LR. Plus surprenant, 41 % des électeurs macronistes appellent à une telle « coalition ».
Quand le RPR et l’UDF s’alliaient avec le FN…
Mais ouvrons tout d’abord une petite page d’histoire, ce genre de coalition n’ayant rien de nouveau. En 1983, lors de l’élection municipale de Dreux (Eure-et-Loir), Jean-Pierre Stirbois, alors secrétaire général du Front national, récolte 16,7 % des suffrages au premier tour. Ce qui conduit Jean Hieaux, le candidat du RPR, à lui proposer de fusionner leurs listes. Ce avec la bénédiction de Jacques Chirac et de toutes les instances dirigeantes du parti gaulliste. Seule Simone Veil se dit alors « troublée », mais n’en condamne pas l’accord pour autant. En 1986, c’est Jean-Claude Gaudin (UDF) qui, à la tête du Conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur, conclue un accord de cogestion avec les élus lepénistes.
On constatera que la ville de Dreux ne s’en est pas trouvée à feu et à sang et que le Soleil n’a pas arrêté de briller sur les plages de Méditerranée. Mais ça, c’était avant que les politiciens de droite ne commencent à vivre dans la trouille, tétanisés qu’ils sont à la simple idée que leurs homologues de gauche puissent venir leur administrer des leçons de morale républicaine, ou que Le Monde ou Libération ne leur consacrent un article accusateur. Mais rien n’étant jamais simple non plus, un ponte du giscardisme confie, en substance et à l’époque, à l’auteur de ces lignes : « Vis-à-vis du Front national, nous sommes coincés. Si on s’allie avec eux, nous légitimons leur discours, surtout en matière d’immigration et d’insécurité [déjà !, ndlr] et ils finiront par nous écraser électoralement, leur discours étant plus convainquant que le nôtre en la matière. Et si on les snobe, on ne fait que gagner du temps pour reculer l’inéluctable. Le RPR, comme l’UDF, se pose d’ailleurs les mêmes questions. » Courage politique, quand tu nous tiens…
Les prophéties de Charles Pasqua…
À propos du mouvement gaulliste, c’est aussi durant cette même période que Charles Pasqua prévient Jacques Chirac, lui affirmant que si le RPR s’allie maintenant avec le FN, il sera en position de durablement le dominer ; mais qu’après, il sera trop tard. Nous y sommes. L’UDF et le RPR se sont fondus dans la Macronie et n’en demeure plus que les rogatons. L’ancien représentant en pastis connaissait ses classiques. Et savait bien que dans une union politique, il y en a immanquablement un qui mord l’oreiller toute la sainte journée. La preuve par l’alliance entre le RPR et l’UDF dont il disait que le premier avait apporté l’argent et les militants, tandis que la seconde se chargeait des idées. D’où la rupture à propos du référendum de Maastricht, en 1992, quand les dernières forces du gaullisme – lui et Philippe Séguin – font sécession alors que Jacques Chirac se couche devant l’Europe de Valéry Giscard d’Estaing qu’il dénonçait à l’occasion de l’Appel de l’Hôpital Cochin, en 1978. Une autre alliance, celle conclue entre le PS et le PCF en 1972, a également de quoi faire réfléchir. Les cocos entendaient plumer la volaille socialo ? C’est l’exact contraire qui s’est produit. À gauche, plus récemment, le Nouveau front populaire, qui a permis à LFI d’atomiser ses partenaires du PS, du PC ou des Écologistes, peut aussi laisser perplexe les amoureux de l’alliance à tout prix.
Une union jadis proposée par Jean-Marie Le Pen et toujours refusée…
On remarquera encore que cette union entre FN et RPR/UDF a longtemps été proposée par Jean-Marie Le Pen à ses homologues d’alors. Mais il ne s’agissait que de l’équivalent de la « discipline républicaine » prônée à gauche et consistant à ce que le candidat socialiste ou communiste absent au second tour appelle à voter pour l’autre candidat de gauche. Cette main tendue par le Menhir, qu’il nommait « discipline nationale », fut toujours ignorée par cette droite donnée jadis pour être « de gouvernement ». Pis, obéissant au magistère moral autoproclamé de la gauche, elle appelait plutôt à voter, au second tour, pour le candidat communiste ou socialiste que celui du FN.
Aujourd’hui, la prophétie de Charles Pasqua s’est vérifiée et c’est le RN qui se trouve en position dominante, pour ne pas dire écrasante. Et c’est un peu tard que les électeurs appellent de leurs vœux cette union des droites dont nombre d’élus ne veulent d’ailleurs toujours pas. La situation est, une fois de plus d’autant moins simple, à en croire le sondage de Valeurs actuelles, que si les préoccupations des électorats respectifs des LR et du RN sont les mêmes (réduction de l’immigration, de la dépense publique et amélioration du pouvoir d’achat), ces deux tiercés n’arrivent pas exactement dans le même ordre. Car là, il s’agit manifestement d’un vote de classe. Pour les électeurs du RN, la réduction de l’immigration arrive en tête avec 48 % mais n’est souhaitée par ceux du LR qu’à hauteur de 27 %), tandis que ces derniers sont 44 % à plébisciter la baisse de la dépense publique, contre 17 % du bloc lepéniste. Pareillement, le pouvoir d’achat préoccupe 24 % de l’électorat du RN, et seulement 16 % des militants de Bruno Retailleau. Pour autant, ces contradictions ne sont pas insurmontables, Marine Le Pen assurant le volet social du RN, laissant à Éric Ciotti le soin de sa musique libérale tout en permettant à Jordan Bardella de jouer une mi-temps dans chaque camp. Pour résumer, le dilemme est plus insoluble dans l’électorat mélenchoniste, le mélange des revendications des LGBT en faveur de Gaza étant autrement plus délicat.
La persistance du vote de classes…
Tout comme est à peine moins délicate cette potentielle union des droites, dont Bruno Retailleau affirme ne pas vouloir, au prétexte que le programme économique du RN serait trop à gauche ; comprendre qu’il pourrait fâcher ses amis du Rotary et du Medef. En effet, s’allier pour gagner les élections, pourquoi pas ? Mais pour faire quoi ensuite ? Réunir le peuple et la bourgeoisie patriote, le défunt Patrick Buisson en rêvait, tout en négligeant le fait que ces deux électorats n’ont pas les mêmes intérêts de classe. Chez les bourgeois de LR, l’Europe, c’est le programme Erasmus. Chez les paysans, les artisans et les petits patrons du RN, c’est le libre-échange dont ils craignent qu’il ne les jette à la rue.
L’exemple italien…
Chez l’électorat droitier, on avance généralement l’exemple italien, là ou Georgia Meloni gouverne à la tête d’une coalition des droites. Seulement voilà : elle a dû en rabattre sur son programme migratoire et accepter la naturalisation d’un demi-million de clandestins, cédant ainsi aux exigences du grand patronat et se rattraper ensuite aux branches en vantant une immigration plus choisie que subie. Certes, mais cela fait toujours des immigrés en plus. Pour finir, on objectera que le système italien n’a strictement rien à voir avec le nôtre, régime présidentiel et élections législatives au scrutin majoritaire. Passons.
Dans toute cette affaire, remarquons que le plus malin est, une fois de plus, Éric Ciotti, l’ancien patron des Républicains. Assez futé pour rejoindre Marine Le Pen pile poil au bon moment, et encore plus rusé pour ne pas évoquer cette « union des droites » qu’il a déjà conclue à son profit. Ainsi, dans une lettre envoyée aux militants de son ancien parti, il se contente de leur proposer de « refonder la droite » et de rejoindre « la famille politique que LR aurait dû devenir depuis longtemps. » Et d’enfoncer l’ultime clou dans le cercueil de ce parti : « Pour quelques maroquins présidentiels, le groupe de députés LR présidé par Laurent Wauquiez a refusé de voter la censure, tandis que la direction du parti, faible et empoisonnée par les guerres d’ego et la guerre civile entre ses chefs, n’a rien fait pour empêcher cette catastrophe. » Et pan sur la tête de Retailleau !
Peuple de droite et peuple tout court…
C’est donc plus le peuple de droite que Ciotti convoque que l’union des droites, tandis que Jordan Bardella et Marine Le Pen en appellent au peuple tout court.
Pour le premier, sur LCI le 15 octobre : « Pourquoi est-ce qu’aujourd’hui, cette alliance n’est pas possible avec l’actuel président des Républicains ? Parce que monsieur Retailleau a été ministre de l’Intérieur d’Emmanuel Macron et qu’avec 400 000 étrangers entrés en France en 2024, il s’agit d’un record absolu ». Quant aux prochaines élections législatives, anticipées ou non : « Si j’ai la majorité absolue, je vais immédiatement à Matignon. Si j’ai une majorité relative, je proposerais à des potentiels alliés, je sais qu’il y a des patriotes sincères chez LR et à gauche, avec ceux qui le veulent de travailler ensemble. »
Pour la seconde, citée le lendemain par Le Figaro : « Je ne suis pas historiquement opposée à l’union des droites. Seulement, je n’y crois pas. Je suis pour l’union nationale. »
Au fait, à propos de ces fameux patriotes de gauche, il y a encore Andrea Kotarac, porte-parole du RN, transfuge de LFI, mouvement où il passé douze ans et récemment interrogé par Christine Kelly sur Cnews : « On tend la main à tout le monde, mais sont les autres partis qui ne veulent pas. Nous, on accueille les gens de bonne volonté et j’en suis encore l’exemple, puisque moi-même je viens de la gauche. » À croire que l’union populaire soit mieux partie en fédérant des Ciotti et des Kotarac, plutôt qu’en s’embarrassant de bourgeois frileux dont un Bruno Retailleau est l’incarnation emblématique. Lui qui se toque d’histoire devrait pourtant savoir que la place des mirliflores de son acabit est dans les poubelles de cette dernière.