Le magazine des idées
Tyrannie judiciaire : et maintenant, le délit « d’apologie » mis à toutes les sauces…

Tyrannie judiciaire : et maintenant, le délit « d’apologie » mis à toutes les sauces…

« Qui jugera les juges ? », s’interroge Alain de Benoist dans la dernière livraison d’Éléments. Il est un fait de plus en plus avéré que la judiciarisation de la vie politique et la police de la pensée ne sont pas que simples vues de l’esprit. Et comme l’on n’arrête pas le progrès, même les arrière-pensées n’échappent plus à cette inquisition généralisée. Hier, c’était Jean-Marie Le Pen ; aujourd’hui, c’est au tour d’Éric Zemmour et de Rima Hassan. Comme quoi personne ne saurait échapper à la patrouille.

Cela en vient même à contaminer la vie de tous les jours. « On ne peut pas dire ça ! » est une ritournelle de plus en plus entendue dans les dîners en ville. Déjà, on ne sait pas bien qui est ce « on » qui aurait autorité pour légiférer sur les élégances verbales. Surtout quand cette sentence se voit aggravée par un très pesant : « Tu dis ça ; mais en fait, c’est autre chose que tu penses… » Bref, inutile de chercher davantage à dire ce que l’on pense, sachant que d’autres pensent désormais à votre place pour dire ce que vous n’avez pas dit, mais y avait pensé très fort. C’est impresionnant.

Le champion du monde de la catégorie (records homologués et jamais battus à ce jour) était évidemment Jean-Marie Le Pen. Dès le 13 février 1984, lors de la fameuse émission L’Heure de vérité, sur Antenne 2, il dénonce « la véritable invasion qui est en train de se produire en France » et « la constitution de villes étrangères ». Au pire, on pouvait alors le tenir pour pessimiste ; au mieux, réaliste. Ce n’est pas l’avis de la justice qui, trois ans plus tard, le condamne pour « provocation à la haine, la discrimination et la violence raciale ». En 2005, même punition, même motif, toujours « la haine raciale », pour avoir déclaré : « Le jour où nous aurons en France, non plus cinq, mais vingt-cinq millions de musulmans, ce sont eux qui commanderont. Et les Français raseront les murs, descendront des trottoirs en baissant les yeux. » On ignorait que l’islam était une « race », sachant qu’on peut très bien être Breton et musulman ou Arabe et chrétien. Passons.

D’ailleurs, que faut-il dire à propos de l’immigration pour éviter le procès ? Affirmer qu’il y a trop d’immigrés, c’est mal. Faut-il alors prétendre qu’il n’y en a pas assez ? Ou juste ce qu’il faut ? Si oui, qui fixe la bonne mesure ? Les magistrats ? On ignorait qu’en plus d’avoir étudié le droit, ils étaient, de plus, démographes et sociologues.

Le précédent du « point de détail »…

Puis, non contents de statuer sur les opinions, les juges en font de même des discours sur l’histoire ; comme s’ils étaient aussi historiens. C’est le fameux « point de détail », le 13 septembre 1987, lors du Grand jury RTl-Le Monde, à propos des chambres à gaz.

Les propos initiaux : « Je me pose un certain nombre de questions. Je ne dis pas que les chambres à gaz n’aient pas existé. Je n’ai moi-même pas pu en voir. Je n’ai pas étudié la question. Mais je crois que c’est un point de détail de l’histoire. » Une fois le tout traduit en vulgate judiciaire, voilà ce que donnent les attendus du jugement, prononcé en mai 1990 : « Ces propos sont de nature à remettre en cause, à banaliser ou, pour le moins, rendre moins spécifiquement dramatiques les persécutions et les souffrances infligées aux déportés, et plus particulièrement aux Juifs et aux Tziganes par les nazis… » C’est alambiqué. C’est jésuite. Et parfaitement à côté de la plaque.

La machine à faire taire monte encore d’un cran lorsque la notion « d’apologie » entre dans la danse. Jean-Marie Le Pen, toujours. Le 7 janvier 2005, à l’occasion d’un entretien accordé à l’hebdomadaire Rivarol, il rappelle : « L’occupation allemande de la France, entre 1940 et 1944, n’a pas été particulièrement inhumaine, même s’il y a eu des bavures, inévitables dans un pays de 550 000 kilomètres carrés. » Après onze ans de procédure, la Cour européenne des droits de l’Homme le condamne pour « complicité d’apologie de crimes de guerre et contestation de crimes contre l’humanité. »

Qu’est-ce donc que cette « apologie » ? Dire que l’Occupation, c’était un peu les Années folles, mais en mieux, voilà qui peut tenir de « l’apologie ». Mais estimer qu’elle n’a pas été « particulièrement inhumaine », n’a rien d’une quelconque « apologie ». Ou alors il conviendra bientôt d’interdire La Grande vadrouille, le célèbre film de Gérard Oury (qui par ailleurs était juif), avec Bourvil et Louis de Funès, qui ne donne pas une vision particulièrement « inhumaine » de la période. Quant à la « complicité d’apologie », on se pince. Les complices, c’est pour un hold-up ; pas pour une interview.

Tant que cela ne concernait que Jean-Marie Le Pen, c’était bien pratique, certains hommes politiques assurant qu’après tout, il l’avait bien “cherché”. Mais personne n’est à l’abri.

Éric Zemmour dans la tourmente…

À droite, évidemment, tels qu’en témoignent les déboires judiciaires à répétition d’un Éric Zemmour. Ainsi vient-il d’être lui aussi condamné, ce 2 avril, pour avoir soutenu que « le maréchal Pétain avait sauvé des Juifs français pendant la Seconde guerre mondiale. » Pas pour « apologie », cette fois, mais pour « contestation de crime contre l’humanité ». Décidément, elle a le dos large, cette « humanité » aux contours des plus flous, dont on ne connaît ni l’adresse et encore moins la raison sociale et qui, surtout, n’a pourtant rien demandé à personne… Évidemment, l’ancien candidat à l’élection présidentielle a beau dire que le Maréchal « n’a pas été condamné pour un ou plusieurs crimes contre l’humanité, mais pour attentat contre la sûreté intérieure de l’État et intelligence avec l’ennemi », rien n’y a fait, les juges persistant à prétendre que « les propos reprochés peuvent constituer un délit, même s’ils portent sur une personnalité qui n’a pas été condamnée pour crime contre l’humanité. » Là, le serpent se mord la queue et on atteint des sommets : le maréchal n’a donc pas commis de « crimes contre l’humanité », mais un peu quand même ; ou alors un truc du genre.

En 2017, le même Éric Zemmour avait échappé de peu à semblable procès d’opérette, ayant confessé, au mensuel Causeur, en octobre 2016 : « Je ne pense pas que les djihadistes soient des abrutis ou des fous. (…) Je respecte des gens prêts à mourir pour ce en quoi ils croient, ce dont nous ne sommes plus capables. (…) Quand des gens agissent parce qu’ils pensent que leurs morts le leur demandent, il y a quelque chose de respectable. (…) C’est ainsi, les humains sont complexes, donc, combattons-les, mais arrêtons de les mépriser. » Poursuivi pour « apologie du terrorisme », le journaliste qu’il était alors a vu cette enquête classée sans suite.

Rima Hassan elle aussi dans le collimateur…

Mais cette justice, aux allures de ministère de la Vérité, un peu comme dans le 1984 de George Orwell, peut aussi sortir le glaive à gauche. La preuve par la mélenchoniste Rima Hassan qui, sur la question du terrorisme proche-oriental d’obédience islamique, campe sur des positions n’étant pas fondamentalement éloignées d’Éric Zemmour, son meilleur ennemi du moment. Car la voilà à son tour accusée « d’apologie du terrorisme » pour avoir rappelé que « le Hamas a une action légitime du point de vue du droit international. » Pourtant, lors de son passage chez Jean-Jacques Bourdin, ce 27 février sur Sud-Radio, elle marche sur des œufs, façon ballerine, en évoquant le massacre du 7 octobre 2023 : « Ce n’est pas parce que les résolutions des Nations unies sont extrêmement claires sur le droit des peuples colonisés à avoir recours à la lutte armée que les procédés de la lutte armée justifient tout. (…) Vous n’avez pas le droit de prendre des civils en otages, vous n’avez pas le droit de commettre un certain nombre des exactions telles qu’elles ont été commises. (…) Moi et mon parti [LFI, ndlr] avons quand même très souvent rappelé que c’était effectivement des crimes de guerre. »

Des propos qu’on peut saluer ou contester ; après tout, c’est le droit de tout un chacun. Mais rien qui puisse justifier le fait que Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, se jette sur un discours somme toute assez anodin, le tenant pour « inacceptable », tout en sortant de son rôle de premier flic de France, en affirmant : « Le Hamas est une organisation terroriste qui piétine le droit international. » Il va sans dire que ce n’est pas Israël qui se rendrait coupable de tels méfaits, État par ailleurs régulièrement condamné par le « droit international » en question, pour commettre des méfaits à peu près semblables.

Est-ce alors aux juges de trancher ces questions délicates ? Non. Ou qu’ils s’attendent eux aussi à être un jour jugés. Espérons pour eux que ce sera de manière moins vétilleuse et, surtout, moins ubuesque.

Laisser un commentaire

Sur le même sujet

Actuellement en kiosque – N°214 juin – juillet 2025

Revue Éléments

Découvrez nos formules d’abonnement

• 2 ans • 12 N° • 79€
• 1 an • 6 N° • 42€
• Durée libre • 6,90€ /2 mois
• Soutien • 12 N° •150€

Dernières parutions - Nouvelle école et Krisis

Prochains événements

Pas de nouveaux événements
Newsletter Éléments