ÉLÉMENTS : Il y a bientôt cinq ans, vous publiiez Athéna à la borne, aujourd’hui réédité dans une version augmentée. Quel regard portez-vous sur l’évolution des libertés publiques depuis lors, particulièrement sur la séquence coronavirus ?
THIBAULT MERCIER. Au-delà du sujet des libertés publiques, longuement abordé dans cet essai, j’ai écrit cet Athéna pour redorer le blason de la discrimination. Dans l’imaginaire collectif « la discrimination c’est mal », mais personne n’est bien capable de donner une définition précise du terme qui fait néanmoins office de repoussoir dans le débat public. Cette discrimination, maniée avec parcimonie, est pourtant un outil primordial de défense de notre culture (et des cultures en générale).
Depuis 2019, le concept n’a malheureusement pas retrouvé ses lettres de noblesse et la lutte contre la discrimination permet d’ailleurs au Gouvernement de justifier la dissolution d’associations patriotes… Depuis la publication initiale de l’essai, je note tout de même – en feignant l’étonnement – que si la discrimination est toujours condamnée par nos « élites », ces dernières savent en faire très bon usage quand elle sert leurs intérêts. Les citoyens russes n’ont-ils pas fait l’objet de nombreuses mesures à leur encontre depuis le début de la guerre en Ukraine alors que la discrimination fondée sur la nationalité est prohibée ? Le Gouvernement n’a-t-il pas pratiqué une discrimination massive entre les citoyens vaccinés et non-vaccinés durant la crise Covid ? Covid et terrorisme, toutes ces « urgences » ont permis à l’État de favoriser la restriction de nos libertés comme réponse principale à tout problème politique qui se pose. Il suffit de voir les solutions évoquées pour lutter contre le réchauffement climatique ou assurer la sécurité à Paris pendant les Jeux olympiques 2024…
ÉLÉMENTS : De la même manière, quelles conclusions tirez-vous de l’interdiction du colloque d’hommage à Dominique Venner le 21 mai dernier et de la multiplication des arrêtés préfectoraux visant d’autres événements politiques ?
THIBAULT MERCIER. Des clandestins ont le droit de défiler dans Paris pour contester la loi immigration démocratiquement votée, mais des Français n’ont pas le droit de rendre hommage à Thomas tué à Crépol et des « historiens à lunettes » ne peuvent organiser un colloque d’hommage à un des leurs. Le Gouvernement pratique l’inverse de la préférence nationale… Malheureusement ces interdictions ne sont que la conséquence de l’affaire Dieudonné de janvier 2014, quand le Gouvernement s’est arrogé le droit d’interdire des spectacles de l’humoriste, car il risquait d’y être tenu des propos contraires à la loi. C’est à cette occasion que le Conseil d’État, ou plutôt le juge Bernard Stirn statuant seul, est revenu sur une jurisprudence vieille de 80 ans et a validé ces interdictions pour protéger un « ordre public immatériel » qui n’est que le faux-nez d’une nouvelle morale étatique, morale diversitaire et inclusive.
Et désormais, les arrêtés préfectoraux sont par exemple justifiés par « le risque que des slogans ou des propos de nature à mettre en cause la cohésion nationale ou les principes consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la tradition républicaine soient exprimés ». On punit donc désormais le « pré-crime » (comme dans la nouvelle « Rapport minoritaire » de l’écrivain de science-fiction Philip K. Dick). Et avec des termes aussi larges (« propos de nature à remettre en cause »), on pourrait interdire quasiment toute manifestation d’opposants politiques.
ÉLÉMENTS : Que vous inspire la notion de « libéralisme autoritaire » ? Face à sa dérive, pensez-vous qu’il possible de dissocier certains acquis de la philosophie libérale, en premier lieu la liberté d’expression ?
THIBAULT MERCIER. On considère que le libéralisme est une doctrine politiquement neutre dont le principal but serait de défendre la liberté individuelle. Il me semble au contraire que le libéralisme est une sorte de religion, de monothéisme jaloux, porteur de son dogme intangible et qui ne supporte pas la critique ou la remise en question. Emmanuel Macron et son Gouvernement nous le prouvent régulièrement avec leur politique du « en même temps » qui permet de pratiquer des coupes claires aussi bien à droite qu’à gauche pour avoir les coudées franches au centre. (D’où l’erreur d’une partie de la droite – qui n’a pas vu qu’elle serait la prochaine sur la liste – ayant appelé à la dissolution de la NUPES après ses déclarations relatives aux événements du 7 octobre au Proche-Orient).
Doit-on pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain ? Alain de Benoist dans un édito d’Éléments de juillet 2010 a pu dire qu’aucune doctrine n’était intégralement fausse et qu’il fallait notamment retenir du libéralisme l’idée de liberté, associée à celle de responsabilité. Cela étant dit, son livre, Au-delà des droits de l’Homme, significativement intitulé « Pour défendre les libertés », montre clairement que le libéralisme est loin d’être la seule doctrine permettant la promotion des libertés. C’est aussi mon point de vue. La rhétorique et la disputatio, qui impliquent une liberté d’expression et d’opinion prononcée, ne nous viennent-elles pas des Anciens, à des époques où le libéralisme n’avait pas encore été inventé ?
ÉLÉMENTS : Quel rôle accordez-vous à la féminisation accrue du corps judiciaire française dans la mise en place de ce « nouvel ordre totalitaire » de l’anti-discrimination (p. 33) ?
THIBAULT MERCIER. Plus qu’une féminisation, c’est une tyrannie de la faiblesse – pour reprendre l’expression de Paul-François Paoli – qui s’est développée dans le corps judiciaire, et dans la société en général. On valorise désormais la compassion et l’émotion au détriment de la raison et de la force. Ayant récusé l’ordre naturel des choses, y compris ses aspects tragiques, ses limites, ses fatalités, nous vivons dans un monde rempli d’individus pleurnicheurs, infantiles, envieux et plaintifs qui agissent en justice pour chaque pseudo-humiliation ou blessure de l’ego. À l’opposé de ces « valeurs » contemporaines infantilisantes, c’est plutôt le goût de l’orgueil et de l’honneur que nous devrions retrouver pour vivre en société sans se sentir oppressé, discriminé ou victimisé au moindre désagrément de l’âme.
ÉLÉMENTS : Alors que les élections européennes approchent, quelles propositions concrètes pourraient être défendues au niveau de l’UE pour œuvrer au droit à l’identité de nos peuples autochtones ?
THIBAULT MERCIER. Je ne suis pas un spécialiste du droit de l’Union européenne. Quoi qu’il en soit je note que 2024 sera également le 50e anniversaire de l’adhésion de la France à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui nous place sous la juridiction de la Cour européenne du même nom. Il serait utile de profiter de cette occasion pour faire le bilan critique de l’application en France d’un droit qui est devenu universaliste, rempli de moraline, et déconnecté de toutes considérations historiques et culturelles. Sans forcément sortir de la CEDH, il faut rappeler à ses juges qu’une nation doit pouvoir légitimement apporter des limites aux droits de l’homme, par exemple en pratiquant une préférence culturelle. Citons les exemples des maires de Florence et de Vérone en Italie qui ont décidé de prohiber les échoppes de kebab et les enseignes McDonald’s dans leur centre historique pour préserver la beauté architecturale et privilégier la cuisine italienne et les produits locaux. Comme ces maires, il est nécessaire de comprendre que la liberté, notamment économique, n’est pas absolue et qu’elle doit se voir opposer les limites, légitimes, des peuples qui défendent leur identité.
Propos recueillis par Arnaud Varades