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Terrorisme d’ultra-gauche : une défense politique

Terrorisme d’ultra-gauche : une défense politique (2)

Suite du procès de Florian Dahuron, militant d’ultra-gauche et combattant revenu du Kurdistan, poursuivi avec six de ses camarades par le Parquet national anti-terroriste pour association de malfaiteurs terroriste. Une affaire sur laquelle pointent l’ombre du réseau kurde et une défense politique menée par des avocats engagés.

Le procès pour terrorisme de Florian Dahuron alias « Libre Flot », combattant revenu du Kurdistan, et de ses amis militants d’ultra-gauche s’est poursuivi ces deux dernières semaines, les débats laissant une grande place à l’examen minutieux du contenu du dossier, celui d’une enquête très contestée dont la légitimité même est remise en cause par les avocats.

Florian Dahuron est pour les services un coupable idéal. Volontaire à l’étranger, motivé par une idéologie radicale, en marge de la société, il est revenu en France, s’est armé, a fabriqué des explosifs, et a partagé son expérience avec de camarades militants. Ce qui coince dans le dossier, c’est qu’au terme de presque un an d’écoutes et de filatures, les enquêteurs de la DGSI n’ont pas réussi à trouver une preuve formelle d’un projet d’attentat, condition capitale pour caractériser une association de malfaiteurs terroriste. Cependant, l’enquête a livré son lot d’indices, et tout le travail du ministère public lors de ses deux semaines aura été de les réunir en un faisceau capable de confondre les prévenus.

«Libre Flot» Dahuron risque gros, il le sait. Il se défend avec ses tripes, alors que le contenu d’écoutes prises dans son intimité est exposé. Mais sur les sujets qui fâchent, les explications se font parfois confuses et hésitantes. Il a rencontré un copain de longue date, Simon Gamondes, punk et artificier. Suite à cette rencontre, ils ont tenté de fabriquer des explosifs ensemble. Un «délire entre amis» pour passer le temps d’après Dahuron, mais ses explications sont confuses et peu convaincantes. La recette utilisée pour les explosifs n’a rien à voir avec le Kurdistan, ce serait des instructions retenues de mémoire d’une vidéo visionnée 4 ans plus tôt (!) avec un ami, dans des circonstances dont il ne se rappelle plus. Le vol d’engrais pour réaliser les explosifs? Un coup de tête, il dédouane son ami et dit qu’il l’a accompli seul, malgré certains aspects improbables dans son histoire. Simon Gamondes, artificier, prétexte devoir tester de nouvelles recettes pour les besoins de son métier. Mais son ancien chef de tir, convoqué comme témoin, reconnaît qu’aucune des recettes de nitrate d’ammonium ou de TATP testées n’est nécessaire dans leur métier d’artificier… Dahuron aura gardé une quantité importante d’engrais sans explication valable et a de nouveau fabriqué des explosifs avec d’autres amis, notamment un détonateur sophistiqué de TATP. Devant l’improbabilité de retenir une recette de ce niveau de complexité technique sans avoir été formé, l’accusé conserve le même mutisme et les mêmes dénégations.

Pieds Nickelés ou apprentis tueurs de flics?

Les parties d’airsoft menées par le groupe d’amis n’ont effectivement pas l’air d’avoir grand-chose avec un entraînement paramilitaire sous couverture, d’autant que leur fréquence et leur sérieux ne cadrent pas vraiment avec les besoins d’un aguerrissement réel. Néanmoins, Manuel Hildenfick, autre punk, avait exprimé le désir de mener ses parties pour acquérir une première expérience militaire, avant de partir combattre en Colombie parmi les FARC, ou au Kurdistan auprès des YPG (Unités de protection du peuple) comme Dahuron. Un peu embarrassante, une brochure qui préconise la formation « d’unité milicienne » sous couvert de parties d’airsoft aura été retrouvée dans les perquisitions.

Pour les armes, nos guérilleros en herbe n’ont pas grand-chose. Un fusil de chasse à canon scié non déclaré, acheté sous le manteau pour Dahuron, des carabines de .22 Long Rifle pour ses amis, achetées avec un permis de chasse. Rien de bien méchant. Mais Dahuron a exprimé son souhait d’acheter d’autres jouets, des «armes de guerre» comme un « petit sniper » par exemple. Et il y a l’incongruité qu’un militant écolo, décrit comme végétarien par sa famille, se passionne soudainement pour la chasse. Les écoutes sont à ce sujet confondantes: «Si on veut un rapport de force égal, faut que les gens s’arment […] il faut les éduquer, la révolution elle ne se passera pas sans les armes. Du coup, passe ton permis de chasse.» Un rapport de force contre qui? «Les chiens de garde et l’armée». Les explications de Dahuron sont confuses, contradictoires et partent un peu dans toutes les directions. Ils refont le monde, évoquent des situations fictives, il a évolué sur la question écolo, n’est pas si déterminé que ça à voir une révolution, qui de toute manière ne serait pas violente…

Mais cet homme qui se défend de tout activisme violent et affirme que son volontariat en Syrie l’a dissuadé de chercher à mener une lutte armée, reste un radical. Alors qu’il se décrit lui-même comme un vantard, un esprit brouillon, un «débilos», il livre un discours parfaitement construit sur son idéal politique, le «confédéralisme démocratique» kurde, nouveau modèle de société. Il connaît manifestement sur le bout des doigts les pratiques militantes kurdes, et cite comme son ennemi «la modernité capitaliste» telle qu’elle est définie par Abdullah Öcalan, fondateur du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Problème, le PKK est considéré comme une organisation terroriste en Union européenne et revendiquait encore ce mois-ci un attentat-suicide meurtrier dans les rues d’Ankara1.

Le procureur se fera d’ailleurs un devoir de rappeler que, chaque année, les auxiliaires du PKK en France se livrent à des rackets et extorsions parmi la diaspora kurde, ostensiblement pour financer la lutte révolutionnaire. Une pratique mafieuse qui emmènerait régulièrement la mouvance devant les tribunaux et dépeint une réalité beaucoup moins innocente que de se faire simplement «ambassadeurs du confédéralisme démocratique» en Occident. Dahuron et son conseil Maître Raphaël Kempf feront valoir que le caractère terroriste du PKK a été contesté par des tribunaux belges. Mais, justement, le 14 avril de cette année, les tribunaux français ont condamné 11 membres du PKK à jusqu’à 4 ans de prison ferme pour financement du terrorisme, car ils levaient des fonds pour la «lutte»2 notamment par le trafic d’héroïne et de cocaïne3. Un dossier où la défense était menée par un certain Maître… Raphaël Kempf, ce qui prouve que le monde est petit et que l’on n’est pas à une déformation professionnelle près.

Des avocats militants en guerre contre le PNT et la DGSI

Maître Kempf, c’est l’une des étoiles montantes parmi les avocats engagés à gauche. Fils d’Hervé Kempf, le rédacteur en chef de Reporterre et figure écologiste, Raphaël Kempf a représenté le réseau militant écologiste des Soulèvements de la Terre face au Conseil d’État et obtenu la suspension de leur dissolution : un pied-de-nez adressé au ministère de l’Intérieur. Moins glorieux, il fut également l’avocat de Yassine Atar, petit frère du cerveau des attentats du Bataclan, condamné à 8 ans de prison. Le conseil d’une des prévenus, Guillaume Arnaud, a lui défendu un autre des accusés du Bataclan, Pastor Alwatik, condamné à 15 ans de prison pour avoir gardé l’arsenal du tueur Coulibaly. Ce sont des habitués du PNAT et des enquêtes de la DGSI, deux institutions pour lesquelles ils ne cachent pas leur mépris. Kempf parle d’un «tribunal de l’Inquisition», où l’on bombarde les accusés de questions «pré-écrites» pour contraindre les désignés-coupables aux aveux. Arnaud quant à lui met en cause la compétence de la DGSI même et son retard flagrant sur l’utilisation de certaines nouvelles technologies de communication. Ce procès, bien plus qu’un simple coup de main pour tirer d’affaire des militants qui ont déconné, est l’occasion de s’offrir dans la presse une tribune pour questionner la légitimité même des mesures d’exception anti-terroristes et de notre renseignement intérieur.

Les avocats auront multiplié sans succès les recours pour casser la procédure, ou du moins en questionner les méthodes d’investigations. Tenter de faire interroger les interrogateurs en citant à comparaître des agents de la DGSI qui ne se présenteront jamais à la barre. La stratégie de la défense est claire: les écoutes sont illégitimes, Dahuron a combattu Daesh, c’est-à-dire le diable, et n’est pas un dangereux militant révolutionnaire. L’enquête serait truffée d’approximations et le simple fait que 5 des prévenus ont été incarcérés en détention provisoire, parfois à l’isolement, serait une «torture» qui invaliderait toute légitimité à des interrogatoires forcément sous contrainte. Une affirmation outrancière, qui prête à sourire et vise à deux choses:  tout d’abord, déconsidérer tous les témoignages recueillis durant l’instruction où les autres prévenus (qui se seront rétractés plus tard sous la supervision de leurs avocats) «chargent» Dahuron, le dépeignent comme un excité, confirment ses velléités de tuer des policiers ou autre propos inquiétants… mais également s’en prendre au concept même de détention provisoire, vieille lune d’une gauche qui veut régler ses comptes avec l’institution carcérale.

La longueur des débats, étalés sur 16 jours, permettra même aux avocats de faire venir de nombreux témoins pour mettre en scène sur deux jours un véritable meeting politique, avec la complaisance d’une juge plutôt bienveillante envers les nombreuses manifestations des sympathisants d’extrême gauche dans le public. Se succéderont une responsable du NPA Rennes, qui atteste de la vertu et de la non-violence du «combat pour les exclus», un ancien volontaire au Kurdistan qui rappelle à tous que la lutte kurde, c’est celle contre Daesh (donc le mal) et pour la démocratie au côté des forces occidentales… Un universitaire spécialisé dans le Kurdistan, Olivier Grosjean, livre quelques éclairages sur la situation au Kurdistan, et précise que les YPG et les SDF, ce ne sont pas des foires anarchistes, mais des forces armées structurées à la demande des USA. Des éclairages qui n’aident pas forcément la défense de Dahuron. Celui-ci est présenté comme persécuté par la DGSI qui chercherait absolument des coupables parmi les revenants du Rojava, mais depuis la chute de la capitale de Daesh en 2017, aucun autre revenant n’a été inquiété par le PNAT… Jean-Étienne de Linares, ancien délégué général d’ONG contre la torture et du MRAP fera même une apparition remarquée pour rappeler au parterre ému de militants l’horreur que représente une incarcération…

Devant cette affaire où pointe à la fois l’ombre de réseaux étrangers, la délinquance de ruralité et les nébuleuses conclusions de services de renseignement qui sont toujours aussi foncièrement opaques qu’en 2015, on peut constater la puissance de la machine déployée par la gauche pour défendre les siens. Une gauche qui, les rôles inversés, n’hésite pourtant jamais à appeler toute la puissance étatique à s’abattre sur ses rivaux de droite.

Les réquisitions du procureur et les plaidoiries des avocats se dérouleront en fin de semaine prochaine et cet imposant procès se conclura définitivement le 27 octobre.

1 https://www.20minutes.fr/monde/4055612-20231001-turquie-pkk-revendique-attentat-suicide-ankara

2 https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/04/15/des-membres-du-pkk-en-france-condamnes-a-des-peines-allant-jusqu-a-cinq-ans-de-prison_6169602_3224.html

3 https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/dans-le-pretoire/financement-francais-du-pkk-un-proces-revelateur-6085721

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