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Tel Aviv on fire

Tel Aviv on Fire : « Il ne se passera rien, c’est un baiser arabe. »

Les Chroniques cinéma de David L’Épée


Le conflit
israélo-palestinien n’est certes pas, loin s’en faut, le sujet le plus facile à traiter au cinéma, surtout sous la forme d’une comédie ! Le défi était dès lors loin d’être gagné pour Sameh Zoabi, cinéaste issu de la communauté arabe d’Israël, qui est pourtant parvenu à aborder cette actualité sous un angle original et en y puisant, en dépit des tensions, un vrai potentiel comique.

Nous sommes à Ramallah, dans un studio de télévision, où nous suivons le tournage d’un feuilleton à grand succès, Tel Aviv on fire, dont l’action se situe en 1967, peu avant la guerre des Six Jours. Cette fiction suit les pas de Mana, espionne palestinienne luttant aux côtés de son compagnon, le fedayin Marwan, réfugié à Paris. Partie en Israël en mission clandestine, elle se fait passer pour une juive sous le prénom d’emprunt de Rachel afin de séduire Yehuda, un général israélien, dans le but de lui dérober ses plans de guerre secrets. Ce feuilleton, mêlant aventure, romance et politique, est suivi avec passion sur tout le territoire, tant du côté palestinien que du côté israélien.

Bassam, le producteur, vétéran de la guerre, a trouvé pour son neveu Salam Abbas, un bon à rien d’une trentaine d’années qui vit toujours chez sa mère, un petit emploi sur le tournage comme conseiller en traduction. En effet, habitant à Jérusalem, Salam parle parfaitement l’hébreu et il est à même de rectifier les erreurs des dialoguistes et à aider les acteurs arabes qui jouent des personnages israéliens. Arrêté un jour à la frontière entre les deux zones (Jérusalem et Ramallah), au checkpoint qu’il doit traverser quotidiennement pour se rendre de son domicile à son lieu de travail, il est interrogé par Assi, un officier qui, apprenant que le jeune homme travaille sur le tournage de Tel Aviv on fire, veut absolument connaître la fin de l’histoire, son épouse étant une inconditionnelle du feuilleton. Alors qu’il demande à un de ses soldats s’il suit cette série, ce dernier lui répond : « Je ne regarde pas ça, c’est un truc antisémite. » « Eh ! lui répond son supérieur. Tu t’attendais à quoi avec un titre pareil ? A un feuilleton sioniste ? » Salam n’ayant rien le droit de lui dire, il louvoie et s’enfonce dans une spirale de mensonges, allant jusqu’à se faire passer pour le scénariste de la série. Or quelques jours plus tard son mensonge cesse d’en être un car la scénariste officielle démissionne et Salam est appelé par son oncle pour la remplacer. Complètement dépourvu, n’ayant jamais rien écrit et ne parvenant pas à trouver l’inspiration, il retourne vers Assi et le convainc facilement, en échange d’un plat d’houmous qu’il lui apporte chaque jour à son poste, de l’aider à écrire le scénario. Le militaire autoritaire est ravi de s’improviser raconteur d’histoires, il le fait à la fois pour impressionner sa femme et pour tenter d’infléchir le récit dans un sens plus favorable à Israël. Salam, personnage un peu falot qui semble ne pas vraiment avoir d’opinion politique, se retrouve alors tiraillé entre les convictions de son oncle et celles de son collaborateur secret. « N’y a-t-il rien entre les bombes et la soumission ? » s’interroge-t-il, s’embourbant chaque jour dans une situation plus inextricable. Son but à lui est en effet tout autre : il rêve de reconquérir l’amour de son ex-petite amie, Mariam, une infirmière de Jérusalem fille de l’épicier de son quartier, qui le voit comme un incapable…

C’est à partir du personnage d’Assi que se déploie toute la force de dérision du film. Partagé entre son mépris pour une série télévisée qu’il soupçonne d’être un produit de propagande palestinienne et l’envie de surprendre son épouse en intervenant dans le cours du scénario, il finit par se laisser prendre au jeu et prétend aider Salam en s’appuyant sur son expérience militaire de terrain. Ainsi, selon lui, le général Yehuda doit être une figure « virile, romantique, un gentleman », comme il convient à un officier israélien (sic !). Il tient absolument à ce que le feuilleton se termine sur le mariage de Yehuda et de Mana, laquelle devrait à son avis abandonner sa mission après être tombée follement amoureuse du général. Ce n’est absolument pas l’avis de Bassam qui rappelle à son neveu que « dans notre milieu il n’y a pas de Roméo et Juliette ! ». Son scénario à lui (il ne cesse de se vanter d’avoir volé des idées aux grands classiques d’Hollywood et cite notamment Le Faucon maltais) veut faire passer le message selon lequel le devoir patriotique est plus fort que l’amour et prévoit que l’héroïne profite de son mariage pour se faire exploser dans un attentat kamikaze. Deux happy end difficilement conciliables… A ces dissensions politiques et identitaires s’ajoutent des différences d’ordre moral et culturel. Le public israélien est fidèle au feuilleton mais déplore une certaine pudibonderie propre à la mentalité palestinienne. Assi parvient à imposer la représentation d’un baiser entre les deux personnages principaux mais son épouse, en découvrant la scène, celle d’un contact très chaste bien éloigné du french kiss, prophétise : « Il ne se passera rien, c’est un baiser arabe. » Des lignes de fractures que le cinéaste – qui, à l’instar de son héros, a vécu dans une position de tiraillement (celle des Arabes israéliens) – manie comme autant de ressorts comiques. Un exercice délicat donc, mais un exercice réussi, dans un film qui parvient, malgré la défiance et la brutalité du contexte, à débusquer de l’humanité des deux côtés du checkpoint.

Réalisateur : Alain Tanner
Pays : Suisse
Année : 1969

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