Salam alaykoum, « la paix soit avec vous », Clémence ! Je vous rassure : je ne me suis pas converti à l’islam durant le pont de la Pentecôte. J’ai seulement regardé le long entretien que Diam’s a accordé au média Brut pour lancer son documentaire : Salam, la « paix » en arabe. En bonne élève de Tartuffe, Diam’s a choisi de communiquer sur les aspects les plus primesautiers de l’islam salafiste : la tolérance extrême, la non-violence, l’hyper-bienveillance. Un numéro de haute voltige théologique facilité par l’obséquiosité humide du multichroniqueur Augustin Trapenard.
Pour faire mentir une tête patibulaire à ne pas sortir de la cave et un patronyme qui ne donne pas envie de le rencontrer dans un coupe-gorge, Augustin Trapenard s’est spécialisé dans l’entretien-guimauve. Cette fois-ci, il s’est surpassé dans le registre mielleux qui colle aux doigts. L’Everest de la brosse à reluire. On se serait cru dans l’émission d’Oprah Winfrey compatissant aux malheurs sucrés du prince Harry et de Meghan. C’est pas trop dur d’être musulmane ? D’être très riche ? D’être une star ? Non, aucune question dérangeante. Que de la guimauve parfumée au jasmin. Un modèle de communication maîtrisée.
Une dame patronnesse islamique
Pour qui a connu Diam’s dans ses années de gloire, le choc est rude néanmoins. Certes, elle n’a jamais été un parangon de délicatesse féminine, mais quand même. Aujourd’hui, elle ressemble à une dame patronnesse islamique engoncée dans un hidjab austère aux plis réglementaires encadrant son visage. Le hidjab ? Une trappe au milieu d’une porte de prison. Sinistre. Tout en noir, la couleur du wahhabisme dont Diam’s a adopté la version la plus rigoriste. Elle, qui célébrait la « France arc-en-ciel » fantasmée par nos élites dont elle était la porte-parole zélée et consciencieuse auprès des jeunes, est devenue une adepte du monochrome minimaliste, noir sur fond noir. La pierre noire de La Mecque, l’or noir, le niqab noir.
Ah, qu’elle est loin l’époque où elle chantait « Ma France à moi » et « Marine ». Pour autant, les paroles sont les mêmes. Hier, c’était une banderole pour la Journée internationale contre le racisme ; aujourd’hui, contre l’islamophobie. On a l’impression d’entendre une syndicaliste de SUD-Éducation égrener les clichés habituels sur l’islam religion-de-paix-et-d’amour. Ne manque que le pin’s « Touche pas à mon Coran » pour se croire à un meeting de Mélenchon ou à la conférence des évêques de France. C’est un islam village Potemkine, celui de la programmation des séries sur France Télévisions ou Netflix. Mais derrière le décor, derrière les incantations au vivre ensemble, il y a la décapitation de Samuel Paty ou les 130 morts du 13 novembre.
Dans ce monde assombri, seul brille le Coran depuis son noyau saoudien, la Terre sainte des salafistes où Diam’s a fait sa hijra, sa « migration » religieuse. La version théocratique du cauchemar climatisé d’Henry Miller avec des gratte-ciel XXL qui évoquent le stade Dubaï du capitalisme. Le règlement intérieur y est rigide comme une trique. C’est un camp disciplinaire où les minarets sont des miradors. Les non-musulmans sont traités comme des agents impies et pathogènes, seulement tolérés en quarantaine, suivant les règles d’un apartheid confessionnel à toute épreuve que la police religieuse fait appliquer avec les rigueurs de la charia. La liste de ce que le salafisme interdit donne le vertige. Le tabac, l’alcool, le rire, les jeux, la mixité, le sport et on en passe, sans oublier la musique.
Quand le rap n’est plus halal
C’est là que le bât blesse. Diam’s ne veut plus entendre parler de musique, mais elle n’est pas prête à renoncer aux très confortables revenus qu’elle en tire. En se convertissant, elle a changé de religion et de système monétaire : les diamants sont devenus des pétrodollars. Toujours est-il que Mélanie Marie Georgiades, née chrétienne à Chypre de mère française et de père chypriote grec, installée en France à l’âge de trois ans, ne veut plus qu’on l’appelle Diam’s. C’était pourtant joli comme pseudo, un peu clinquant et bling-bling bien sûr, mais ça disait ce que ça voulait dire, comme un casse place Vendôme. Qui veut gagner des rivières de diamants ? Diam’s justement. Elle a féminisé le rap en y glissant une dose de romantisme fleur bleue et en enfilant un tutu à l’indétrônable pitbull. Une révolution à l’échelle d’un genre musical jusque-là confiné au jappement syncopé du gangsta rap dans une alternance de paillettes et de mitraillettes. Les filles faisaient de la figuration. Sélectionnées dans un élevage de bimbos, elles se tortillaient les fesses sur des aboiements de chenil et des rimes pauvres, si l’on veut bien admettre que le rap, c’est la rencontre de l’aboiement et de la rime moyennant un grognement à l’hémistiche. Avec Diam’s, le rap hexagonal a pris une coloration robe bonbon. Pourquoi pas, après tout ? De nos jours, les femmes peuvent être pompiers, joueuses de rugby, manœuvrer des pelleteuses avec un joystick et rapper sur un cahier d’écolier le journal intime d’une jeune fille malheureuse. Diam’s fut la première à s’illustrer dans cet exercice.
Le wahhabisme ? La lapidation plus la climatisation
Alors, qu’est-ce qui l’a poussée dans les bras de l’islam ? Qu’est-ce que l’islam lui a donné que nous sommes impuissants à lui procurer ? La vérité – terrible à entendre pour nous –, c’est que, manifestement, l’islam l’a apaisée. De toute évidence, elle est saine d’esprit, bonne mère de famille, épanouie. On fera valoir que, n’ayant pas vraiment de père, elle en a trouvé un dans la loi coranique. Peut-être. Mais la racine du mal est plus profonde. Diam’s a toujours évolué dans un univers environnant islamisé. Elle n’est pas la seule. Dans le rap, dans les cours d’école, dans les banlieues, au conseil municipal de Grenoble ou de Lyon, le monde environnant est islamisé. Même les « jambon-beurre » jurent « sur le Coran, ma mère ! » et sont incollables sur le calendrier religieux musulman. Qui dira la puissance mimétique, magnétique, contagieuse, de ce mythe mobilisateur, une puissance, pas seulement spirituelle, temporelle aussi !
Toute conversion induit un abandon, mais la conversion au salafisme requiert une apostasie complète. On devient étranger à soi. Le prix Nobel de littérature, le génial V. S. Naipaul (1932-2018), qui a beaucoup enquêté sur l’islam dans les pays non arabes, disait de l’islam qu’il produit un phénomène d’acculturation foudroyant (à l’exception notable de l’Iran), renvoyant le passé préislamique dans le monde de l’« ignorance » et de l’« erreur ». Or, les « pieux ancêtres » du salafisme sont une fiction inventée à la fin du XXe siècle. Les salafistes ont créé un paléo-islam de synthèse à partir de son ADN fossile présumé : l’âge d’or de la cité de Médine, si bien que leur islam n’est pas incréé, mais recréé et cloné comme dans une monoculture hors-sol où on n’élèverait que des barbus sous serre à partir de l’hologramme de Mahomet. C’est un islam de synthèse comme la grotte de Lascaux 3 est du paléolithique de synthèse – et encore du moins Lascaux 1 a-t-il réellement existé.
Lénine disait du communisme que c’est les soviets plus l’électricité. Eh bien, le wahhabisme, c’est la lapidation plus la climatisation. C’est un produit d’appel d’avant-garde et d’arrière-garde. Une secte médiévale doublée d’une hérésie moderniste. Une sorte d’archéofuturisme qui a réussi, comme un mauvais docu-fiction devenu réalité. Salam de Diam’s en est la version salafiste. La paix à l’intérieur, la guerre à l’extérieur, comme au bon vieux temps des sorcières de salam, et non plus de Salem. La paix soit avec vous, Clémence !