ÉLÉMENTS : Pour une surprise, c’en est une : barbares ou civilisés ? Un sujet sensible pour le camp identitaire, inhabituel dans vos productions. Expliquez-nous vos motivations concernant le choix d’un thème si clivant ?
CHRISTOPHER LANNES. C’est en effet le genre de sujet que je n’ai pas pour habitude de traiter, mais ça reste quelque chose dont je voulais parler depuis un moment. Ces dernières années, on a pu constater un retour (ou un recours) au barbare dans les productions culturelles comme dans l’esprit du temps. J’ai donc cherché à analyser cette tendance, en comprendre les raisons profondes, et bien sûr expliquer en quoi il s’agit selon moi d’un mauvais réflexe. Face à notre déclin, certains se cherchent un socle, qu’ils croient trouver dans la figure du barbare. Pour moi, cette pureté originelle, entièrement fantasmée, est illusoire. Nous devons au contraire nous rattacher à nos véritables racines, à savoir celles de la civilisation grecque, romaine, puis catholique et royale.
ÉLÉMENTS : La question des origines romaines ou germaniques de la France est un vieux débat. En 2003, Claude Nicolet, dans un essai, La fabrique d’une nation, retraçant ces querelles entre historiens auxquelles participèrent d’immenses figures comme Theodor Mommsen ou Fustel de Coulanges, revenait sur cette question. Vous semblez pencher, comme dirait Rémi Brague, pour la voie romaine. Pourquoi ?
CHRISTOPHER LANNES. L’Histoire nous le montre ! La Gaule s’est romanisée rapidement, et il n’a jamais fait si bon vivre en Gaule que lorsque celle-ci fut romaine. Cet équilibre parfait entre identité locale et civilisation, le voilà notre socle ! Puis, Clovis a été l’exemple parfait du barbare (certes déjà romanisé) qui fait le choix d’abandonner la tradition des rois incultes et brutaux pour inscrire son peuple dans la civilisation. En se faisant baptiser et en recevant le titre de « patrice des romains », il ne fait pas autre chose que de reprendre la couronne de l’Empire romain d’Occident déchu. Clovis et ses successeurs se voient comme les héritiers de Rome, et c’est pour cela qu’ils ne remettent pas en cause la légitimité de l’empereur – à l’époque Anastase – qui règne en Orient, à Constantinople. De même pour Charlemagne, puis bien plus tard Napoléon, avec le titre impérial. Charlemagne a d’autant plus affirmé ce clivage avec sa (terrible) répression face aux Saxons, païens et barbares, pour mettre fin à leurs raids et pillages incessants. Viendront ensuite les raids vikings qui opposeront, une fois de plus, le monde barbare à celui des bâtisseurs. Nous sommes les héritiers de Rome. Nous l’avons toujours été et nous devons assumer cette identité, la consolider et la défendre.
ÉLÉMENTS : Dans cette vidéo, vous vous faites un ardent défenseur de la civilisation romaine, du « monde des bâtisseurs » comme vous dites. Or, d’autres youtubeurs – comme Baptiste Marchais dans son dernier livre (Instinct primaire, Éditions Hétairie, 2022) – n’hésitent pas à prôner le retour à la loi de la nature (violence, absence d’État) et à un mode de vie présumé être plus proche de celui de nos ancêtres. Y a-t-il, selon vous, un clivage naissant sur ces questions ?
CHRISTOPHER LANNES. Dans ma vidéo, j’explique qu’il ne faut pas totalement renier ce barbare qui sommeille en nous. Il est là, justement, pour nous éviter ce qui est arrivé à l’Empire romain d’Occident, à savoir le confort, la décadence ainsi que sa propre barbarisation progressive. Nous pouvons aujourd’hui constater des symptômes similaires, et les nouveaux barbares qui nous menacent n’ont jamais autant imprégné jusqu’au cœur de nos sociétés. Ils ne sont même plus au limes, ils sont déjà en nos murs ! Face à cela, il ne faut pas nous laisser barbariser, mais au contraire faire le choix de la civilisation, et d’un retour à son essence, afin de ne pas vivre notre propre 476. Nous avons d’ores et déjà un héritage solide et glorieux, guerrier et conquérant. Il est inutile d’aller le chercher chez le barbare, c’est-à-dire par définition : « celui qui n’est pas nous ».
Quant à la critique de l’État, la France est un pays qui ne s’est structuré que par la puissance de l’État, qui n’existe en tant que nation qu’à travers lui. Là aussi, nous sommes les héritiers de la lente structuration de l’État par les Capétiens, puis de la centralisation d’Ancien Régime. La France s’est faite ainsi. Ce qui n’enlève rien au fait que, depuis la Révolution, le jacobinisme a poussé cette centralisation à son paroxysme, et nous en vivons effectivement les tristes conséquences aujourd’hui. De puissant et fédérateur, l’État est devenu totalitaire et parasite.
ÉLÉMENTS : Aussi, vous mentionnez le livre de Sylvain Durain, La fin du sacré ou le retour du sacrifice humain (Éditions La Nouvelle Librairie, 2022), pour marquer votre critique concernant cet attrait nouveau pour les mythologies païennes – notamment nordiques et germaniques dans ce cas. Comment analysez-vous cette recherche identitaire dans les racines « lointaines et profondes » de l’Europe ?
CHRISTOPHER LANNES. C’est une fois de plus une réaction à notre déclin brutal. Celui de l’Occident comme, en ce qui concerne le retour au paganisme, celui du catholicisme. Aujourd’hui la société semble vidée de son sens. Ainsi, nombreuses sont les tentations de se trouver des repères parmi des ancêtres lointains et primitifs. Pour moi, c’est un effet de réaction qui nous éloigne de nos vraies racines, celles de la civilisation. Celles de Rome.
ÉLÉMENTS : Vous vantez, à plusieurs reprises, le rôle capital du christianisme pour la construction de notre identité en tant que Français héritiers de Rome. Pensez-vous que le retour d’un christianisme « fort » soit souhaitable pour enrayer le déclin de notre pays ?
CHRISTOPHER LANNES. Il est évident que, depuis Vatican II, le catholicisme, qui avait déjà eu fortement à souffrir de la Révolution, puis de la IIIe République, s’est tiré une balle dans le pied. En souhaitant s’ouvrir à la modernité, il s’est vidé de tout son sacré, de son âme, et a perdu en force. C’est d’autant plus problématique que nous faisons face aujourd’hui à un islam fort et conquérant. Or, la « laïcité » comme les « valeurs de la République » ne sont que des concepts abstraits et ne suffisent pas à maintenir une unité. On n’oppose pas le vide à une force en mouvement. Le retour à un catholicisme traditionnel, assumé et viril serait évidemment la solution. Malheureusement, ce n’est pas le chemin que semble avoir choisi l’Église actuelle…
ÉLÉMENTS : Depuis le début du conflit russo-ukrainien, beaucoup d’occidentalistes ont pris de l’assurance. Ainsi nous voyons toute une partie de la droite identitaire, dont certains youtubeurs, suivre cette pente et glisser dans le camp de l’« otano-occidentalisme ». Cette dérive vous semble-t-elle compatible avec votre vision d’un Occident en lien direct avec l’image, l’histoire et la civilisation développée autour de Rome ?
CHRISTOPHER LANNES. Il est vrai que ce conflit semble avoir marqué une rupture, de la part de la droite identitaire, avec la Russie. Et c’est très encourageant ! En bon napoléonien, je n’ai jamais été un fervent partisan de la Russie. Certes, nous avons tous pu envier le charisme et l’incarnation du pouvoir de Vladimir Poutine, surtout sous le mandat de François Hollande ! Mais de là à se revendiquer pro-russe, c’est une absurdité, aussi bien historique que géopolitique. Les Russes ne sont pas nos amis ! D’ailleurs, un État n’a pas d’amis. Sur ce plan, je me situe sur une ligne gaullienne, à savoir qu’il est question aujourd’hui pour la France d’incarner une troisième voie. Et quand bien même les États-Unis font partie de l’Occident, je ne suis pas non plus favorable à l’idée de nous jeter dans les bras asservissants de l’OTAN pour devenir, à l’instar de l’Angleterre ou de l’Allemagne, leur valet sur le continent. De Gaulle a refusé l’AMGOT (le gouvernement militaire d’occupation constitué par des officiers américano-britanniques) pour ces raisons. Les alliances géopolitiques sont une question de circonstances. Nous ne devons être ni russolâtres, ni américanolâtres. Soyons Français avant tout, et fiers d’être les héritiers de cette civilisation.
© Illustration : Vercingétorix jette ses armes aux pieds de César. Tableau de Lionel Royer (1899).
Lien vers la vidéo de Christopher Lannes « Barbares ou civilisation : choisis ton camp ! »