Déjà que, quand je vais voir un film qui me séduit a priori, je sors déçu de la salle neuf fois sur dix, je refuse de claquer quinze euros pour vérifier qu’un navet en est vraiment un. Bon, ces dernières années, ça m’est arrivé une fois, avec Grave ; je le regrette encore, tant ce machin, présenté comme un chef-d’œuvre d’une incroyable audace par l’ensemble de la critique, m’avait plongé dans un désarroi tenace. Qu’on me pardonne, mais je n’irai donc pas voir le Rodéo de Lola Quivoron. D’ailleurs, Grave était signé par Julia Ducournau. Lola, Julia, deux femmes… Vous voyez où je veux en venir.
J’en viens d’abord à ce que ce sont deux bourgeoises. Leurs prénoms le disent ; leurs interviews le trahissent jusqu’à la caricature. Pour comprendre, il faut partir de là. Car l’habitus est têtu. Et ce n’est pas Bourdieu qui dirait le contraire, lui le pourfendeur des héritiers mais dont, bizarrement, les fils sont de parfaits héritiers et qui enfanteront – si hélas ils se reproduisent – d’autres héritiers, chercheurs officiels, intellectuels organiques, artistes subversifs ou journalistes. Oui, en effet, l’individu est pour l’essentiel déterminé par son milieu. Et alors ? Qui irait reprocher à Proust d’être bourgeois ? La bourgeoisie eut sa grandeur, quand elle essayait d’imiter l’aristocratie, quand son goût était sûr, quand elle assumait son rôle – et le fait d’en avoir un, pour commencer – de classe supérieure – last but not least, elle était patriote. Le problème, ce n’est pas que les bourgeois héritent, en plus d’un « capital économique », d’un « capital culturel », mais quand leurs représentations les éloignent du reste de la société. Hippolyte Taine, bien sûr, prouve que la Révolution vient en premier lieu de ce que l’aristocratie ne comprenait plus rien au peuple ; Christopher Lasch, dès le milieu des années 90, annonçait la sécession de la bourgeoisie occidentale, abandon de poste intellectuel, matériel et moral vis-à-vis duquel le « populisme » peut être vu comme une réaction – juste et un peu désespérée – des classes populaires. Louis XIII savait mieux la vie de ses sujets les plus modestes qu’une journaliste de BFM ne connaît celle des femmes de ménage – à cet égard, bien sûr, on se souviendra longtemps des interviews de Gilets jaunes par les « envoyés spéciaux » sur les ronds-points qui découvraient cette étrange humanité vivant avec mille euros par mois.
Misérabilisme et immigrationnisme
Parmi les « valeurs » de la bourgeoisie contemporaine, l’immigrationnisme occupe bien entendu une place de choix. C’est, pour elle, sinon une utopie, du moins un postulat : l’immigration est fondamentalement bénéfique pour les sociétés d’accueil. Ses intellectuels, hégémoniques, l’affirment comme une profession de foi. Cela ne se discute pas. Cela ne doit pas se discuter. Dans tout l’Occident, la bourgeoisie a mis en place un immense arsenal juridique afin d’empêcher la simple critique de l’immigration. Aujourd’hui déjà, on peut être condamné devant les tribunaux français pour avoir dit qu’il y a trop d’immigrés en Europe. La figure de l’Autre est sacrée. En plus, parce que chez les citoyens du monde le cynisme chemine toujours avec l’idéal, l’Autre est l’esclave qui vide les poubelles, torche les gosses et les vieux, apporte les commandes Deliveroo et nous ramène à la maison, quand on est fin soûl, à bord de sa grosse berline.
Malgré l’expérience sensible faite par tout un chacun et les statistiques qui l’établissent clairement, il ne saurait donc y avoir de lien entre l’immigration et la délinquance. Au contraire, les immigrés africains – car c’est d’eux qu’il s’agit à 90 % en France – sont « une chance » pour cette dernière. Par conséquent, à la violence engendrée par les immigrés – et que le système ne parvient plus à masquer –, il faut trouver des causes qui les dédouanent. C’est à cause de la pauvreté de ces populations. C’est à cause de notre refus de les respecter comme elles sont. C’est à cause du « racisme systémique » de l’État français et de ses représentants, en premier lieu la police. Dans La grande déraison, Douglas Murray raconte l’histoire de ce hiérarque du Parti socialiste norvégien qui, nuitamment violé par un clandestin soudanais, finit par écrire dans un journal de son pays qu’il n’en veut pas à son violeur mais… aux Norvégiens de souche incapable d’accueillir dignement les « réfugiés ».
Le rodéo urbain, ce n’est pas le Cirque du Soleil !
Lola Quivoron, petite bourgeoisie mélenchoniste, a très probablement beaucoup fantasmé, en écoutant NTM, sur les immigrés durant son adolescence. Elle n’a jamais mis les pieds dans une cité, sinon pour tauper les grammes de weed et d’ecstasy nécessaires à son inspiration ou à la bonne tenue des soirées auxquelles elle était invitée à Paris ou dans ses banlieues sereines. Son mal-être a trouvé un allié dans la « rébellion » des immigrés de son lycée. Elle en est restée là. Sur la question, elle n’ira jamais plus loin.
Les rodéos sont le « phénomène » du moment. Des heures et des heures d’antenne leur sont consacrées. Mais jamais la première évidence n’est dite : ils sont, à 90 %, le fait de jeunes immigrés africains. Non, non, non, ce n’est pas un hasard. Contrairement à Lola, moi, j’ai grandi en cité ; j’en ai vu, beaucoup, durant mon enfance, des rodéos à scooter, moto, quad, Golf ou Ford Fiesta. Je les connais donc mieux qu’elle, et pour moi ils n’ont rien de romantique.
Dans les cités, du moins chez les garçons, la vertu cardinale, c’est la virilité. Il faut être un bonhomme. Et un bonhomme, ça n’a peur de rien, ça affronte le danger. Ça le provoque, même. Enfourcher une puissante KTM, faire n’importe quoi avec elle, cela permet de prouver au groupe que l’on a de grosses cojones. Voilà, indiscutablement, la première et fondamentale motivation des rodéos. Non, on ne fait pas du wheeling pour intégrer le Cirque du Soleil ou sous l’effet d’une pulsion libertaire : c’est une sorte de rite de passage, de rituel viriliste. J’imagine sans peine que Lola a, dans son film, montré des filles sur des motos. Je n’en ai jamais vu. Il n’y en a pas.
Qui sont ces étranges cow-boys ?
Par ailleurs, encouragés en ce sens par les amis politiques de Lola, les auteurs de rodéos le font pour emmerder l’État français. Pour eux, ce dernier est une force étrangère ; ils ne se sentent pas Français, ils le disent, ils en sont fiers – et, nonobstant leurs papiers, en effet, ils ne le sont pas. Les policiers qui les coursent sont, pour eux, des « sangliers », des « porcs », des agents de cette France qu’ils haïssent et qu’ils veulent – plus ou moins consciemment – renverser. Ils joignent ainsi l’utile à l’agréable : démontrer, de cette manière, qu’ils sont forts, c’est aussi réaffirmer leur identité africaine. Dans les cités, être arrêté par la police, c’est un acte de résistance ; aller en prison, une consécration. Il y a encore mieux : ne pas se faire prendre. Bien sûr, les auteurs de rodéos ne veulent pas écraser des enfants. Mais surtout ceux de leur cité, qu’ils voient comme des membres de leur tribu. Quand ils percutent des enfants – ou des adultes – d’autres quartiers, ils ont plutôt tendance à fuir au bled. La même logique communautaire s’applique d’ailleurs à toutes les violences commises par des « jeunes ». Les adolescents qui ont récemment frappé, par derrière et en riant, une nonagénaire de Cannes n’auraient jamais osé toucher une dame voilée.
Le plus souvent mineurs, parfois âgés d’à peine douze ou treize ans, ces trompe-la-mort devraient être à l’école plutôt que sur des motos. Lorsque j’étais enfant, je m’étonnai beaucoup de ce que, moi qui n’avais pas le droit de sortir seul, mes voisins africains jouaient, seuls, dans la cité jusque tard dans la nuit. En 2013, à contrecœur, le sociologue de gauche – pléonasme – Hugues Lagrange tentait d’expliquer, dans Le déni des cultures, ce phénomène par l’écart entre la structure de la famille africaine et celle de la société française. Tous les enfants appartiennent à la tribu ; leur surveillance est dévolue à tous les pères. Plus prosaïquement, les appartements, en France, ne sont pas prévus, du moins depuis le XVIIIe siècle, pour des fratries de six, huit, dix enfants. Le culte de l’école, si vif chez nous depuis Guizot, n’a pas traversé la Méditerranée. Les filles restent à la maison, ce qui explique en partie pourquoi elles réussissent mieux à l’école, cependant que les garçons, déifiés par leurs mères – comme le montre Maurice Berger dans son passionnant Sur la violence gratuite en France –, peuvent errer tant qu’ils le veulent. Dans leurs pays d’origine, ils sont cadrés par les pères ; ici, ils sont livrés à eux-mêmes, leur ressentiment envers la France – transmis tant par leurs parents que par la gauche – pouvant en outre s’exprimer sans grandes conséquences, la magistrature, les milieux culturels et les politiciens lui trouvant toujours des excuses – quand ils ne le cautionnent pas carrément – parce qu’ils le partagent. Comme le dit Lola, si les rodéos finissent parfois très mal, ce n’est pas à cause de ceux qui le pratiquent mais, évidemment, de la police qui les poursuit…
Rien de tel qu’un rodéo au bled !
Faut-il préciser que la presse de gauche – pléonasme – adore Rodéo ? Même pas la peine de lire les papiers. Ce film est terriblement « subversif », « dérangeant », un « hymne à la liberté ». Les journalistes du Monde, de Télérama et de Street Press ne savent pas – et ne sauront jamais – ce que c’est que d’entendre un cross ou un booster au pot trafiqué faire des tours de la cité à minuit. Leurs « bons sauvages » s’amusent ; il faut être réactionnaire, un peu nazi, pour s’en offusquer.
Les rodéos sont, comme, plus généralement, l’insupportable brutalisation de la société française, une conséquence du changement de peuple et du choc des cultures qu’il engendre. Sa réduction ne pourra pas venir des mesures « sociales » et « pédagogiques » que les partis dits de gouvernement ne manqueront pas de proposer. Elle passera par une réponse pénale impitoyable, un arrêt total de l’immigration africaine et une lutte de chaque instant contre l’idéologie qui irrigue toutes les Lola Quivoron de France. Donc par une refonte complète de la magistrature, des juridictions administratives, de l’école, des traités, de la constitution, de tout. En somme, un grand reset ou, pour le dire autrement, en usant d’un vieux mot, une révolution.
Lola Quivoron lors d’une interview à Konbini le 31 mai 2022 :
« Les accidents, ils sont souvent causés par les flics, qui prennent en chasse, qui poussent les riders vers la mort »
Lola Quivoron met la lumière sur la culture du cross-bitume à l’occasion de son film de fiction “Rodeo” présenté cette année au Festival de Cannes : "C’est une pratique qui est criminalisée à mort” pic.twitter.com/Df04f8ZoZZ
— Konbini (@KonbiniFr) May 22, 2022