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Robert Le Vigan

Robert Le Vigan, la cavale d’un maudit

De « Quai des brumes » à « Goupi Mains Rouges » en passant par « L’assassinat du Père Noël », Robert Le Vigan a été l’un des seconds rôles mythiques du cinéma français. Cine + Classic lui consacre une soirée exceptionnelle mercredi 2 février avec la diffusion d’un documentaire construit autour d’une interview inédite de Robert Le Vigan tournée en Argentine en 1970.

Qui, aujourd’hui, connaît Robert Le Vigan ? À l’exception de quelques exégètes et cinéphiles accomplis, pas grand monde. Il y a bien ce lecteur aventureux qui, au hasard d’une note érudite lue à la loupe dans l’édition prestigieuse de D’un château l’autre, découvre que Le Vigan et La Vigue sont le même homme… Mais qu’en est-il de sa place dans le panthéon cinématographique français ? Qui sait qu’entre 1931 et 1944, Le Vigan a joué dans pas moins de 63 films, dont GolgothaQuai des BrumesLa Bandera et L’Assassin du Père Noël ?

Un documentaire nuancé

Mis en boîte par Bertrand Tessier, un réalisateur pour la télévision ayant consacré de nombreux documentaires aux stars de cinéma (notamment de l’âge d’or hollywoodien), Le Vigan, la cavale d’un maudit s’est donné pour mission de réparer cette injustice. Construit autour d’une interview datant de 1970, tournée en Argentine et jamais diffusée depuis (on la trouve sans peine sur Internet), ce reportage de 52 minutes est édifiant. Débarrassée des stigmates habituels caractéristiques des productions consacrées aux maudits de la Collaboration, toujours contaminées par des inquisiteurs en charentaises, cette émission est tout à fait digne d’éloges. Fort bien documenté, nuancé et dénué d’erreurs historiques ou biographiques (on chipoterait en relevant l’approximation chronologique de François Gibault évoquant l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir en 1932 ou l’enthousiasme débordant de Christophe Malavoy qui, perméable aux bobards de l’auteur de Voyage au bout de la nuit, affirme avec conviction qu’il préférait les Juifs aux Allemands… qu’il détestait !), ce portrait équilibré de l’un des seconds rôles mythiques du cinéma français mérite qu’on s’y attarde.

L’ami de Louis-Ferdinand Céline

Que nous dit-il donc de la vie de Le Vigan ? Robert Coquillaud, alias Le Vigan, est né le 7 janvier 1900. Après le bac de philosophie, il entre au conservatoire d’art dramatique de Paris, débute sa carrière dans les troupes de théâtre de Gaston Baty et de Louis Jouvet et crée des revues dans des cabarets parisiens. De 1931 à 1944, il ne cesse de faire du cinéma, donnant notamment la réplique à Jean Gabin. Il devient l’ami de Louis-Ferdinand Céline en 1935, épouse une figurante algéroise rencontrée sur le tournage de Golgotha, Antoinette Lassauce, dite Tinou, dont il se sépare en avril 1943. De novembre 1941 à juillet 1944, Le Vigan participe à des émissions de variétés pour Radio-Paris, une chaîne de radio de propagande allemande diffusée dans la France occupée. Après le débarquement, il part en Allemagne, gagne Baden-Baden où l’avait précédé Céline, pour le suivre ensuite à Kränzlin, puis Sigmaringen, où de décembre 1944 à janvier 1945 il lit le bulletin d’actualités quotidien de l’émission de Jean Luchaire, Ici la France. Arrêté en mai 1945 alors qu’il tente de gagner l’Autriche, il est incarcéré à Fresnes et condamné par la Cour de justice à dix ans de travaux forcés, à l’indignité nationale à vie et à la confiscation de ses biens le 16 novembre 1946 pour collaboration radiophonique. Malade, il est libéré sous conditions en octobre 1948 et habite chez plusieurs amis. Sans espoir de réinsertion professionnelle, il s’exile en Espagne où il tente en vain de se faire engager dans les studios cinématographiques, puis en Argentine, où il épouse Edmée Belleme. Il meurt à Tandil le 12 octobre 1972.

Une sensibilité à fleur de peau

Et de l’homme ? « Je fus un acteur […] Et puis lorsque la politique a brisé ma carrière, alors je suis devenu rien du tout, n’est-ce pas… » Ces mots terribles et poignants, prononcés par Le Vigan au crépuscule de sa vie, dressent le bilan d’une existence meurtrie par des choix dévastateurs. C’est qu’il était un « acteur habité qui ne joue pas », un homme marqué par une excentricité rare (« un grain, une forme de folie »), une balance qui n’a pas hésité à dénoncer son ami Céline – pour défaitisme – aux autorités allemandes d’occupation, un « oiseau de mauvaise augure, [qui] dit le tragique, [qui] dit que l’existence finit mal », un funambule sur corde raide, auteur de choix politiques hasardeux et contraires au bon sens (son adhésion au Parti populaire français de Jacques Doriot en décembre 1943 ne cesse d’interroger). C’était aussi un tempérament doté d’une sensibilité à fleur de peau, susceptible, fanatique, timide et rêveur, fier et hautain, dont les pérégrinations à travers les circonvolutions cataclysmiques de la première moitié du XXe siècle, entre grandeur et petitesses, présentent des similarités avec celles du natif de Courbevoie.

Son ultime rôle : un maudit en cavale

« Celui qui sait tout sur Céline », Éric Mazet pour ne pas le citer, m’a soufflé à l’oreille une évidence qui, à l’issue de ce documentaire décidément fécond, s’imposera aux téléspectateurs un peu attentifs : le maudit en cavale fut son ultime rôle. Ses derniers mots d’homme et d’acteur (à moins que cela ne soit l’inverse), recueillis par un journaliste français venu l’interviewer à l’autre bout du monde, celui dans lequel Robert Coquillaud, alias Le Vigan, alias La Vigue, avait décidé de s’enfermer jusqu’au bout de sa nuit, ne disent pas autre chose : « Quoi faire ? Lire, méditer, se promener. Penser, un peu, peut-être à l’au-delà aussi. Enfin… Attendre la mort. Elle vient, elle vient… C’est une bonne chose. »

Mercredi 2 février « Soirée Robert Le Vigan » sur Ciné+ Classic et My Canal

20 h 50 : La Bandera, de Julien Duvivier (1935) ;
22 h 25 : Robert Le Vigan, la cavale d’un maudit, un documentaire de Bertrand Tessier (2021) ;
23 h 20 : Goupi mains rouges, de Jacques Becker (1943) ;
01 h 00 : Le dernier tournant, de Pierre Chenal (1939) ;

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