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Ressources inhumaines

Ressources inhumaines

En nos temps de crise économique permanente, lorsque l'on a la chance de posséder un « emploi », on s'y accroche bien souvent de toutes ses forces, comme un naufragé à une bouée de sauvetage. Le « travail » est aujourd'hui de moins en moins un facteur d'épanouissement ou de développement de ses talents mais un simple moyen de survie économique et sociale. Dans ce cadre, les salariés acceptent désormais des conditions de travail toujours plus dégradées au sein d'un environnement déshumanisé où ils ne sont que pions entre les mains de « managers » sans scrupules. C'est dans ce monde étouffant et grisâtre que nous plonge le dernier livre Marie-Hélène Moreau, Ceux qui comptent, paru aux éditions la Mouette de Minerve.

La pression hiérarchique, les coups bas entre collègues, les horaires à rallonge, les deadlines à respecter pour finaliser un dossier… chaque personne qui a travaillé au sein d’une grande entreprise ou administration connaît cette vie de bureau. Déshumanisante, froide, accaparante, elle est dépeinte avec beaucoup de réalisme et de pertinence, sans misérabilisme ni palabre, dans Ceux qui comptent. Marie-Hélène Moreau est une ancienne DRH, c’est dire si elle connaît le sujet et a vécu les dessous de cette vie de bureau impersonnelle et individualiste, cet univers gris formidablement représenté par la photographie de la couverture.

Un poste de formateur comptable est créé chez Merilec International, Luc Perrot, comptable dans cette multinationale depuis plus de dix ans, postule. Valérie Andrieu, chargée des Ressources Humaines de cette même entreprise, refuse sa candidature. Cet échec va être le point de départ de la descente aux enfers de Luc. Soumis à cette injonction de carrière et aux réprimandes de sa femme qui lui reproche de végéter depuis trop longtemps à son poste, il commence à sombrer et à tomber dans une sorte de paranoïa : son profil correspondait parfaitement à ce poste, pourquoi ne l’a-t-il pas obtenu ? Qui d’autre au sein de la boîte a été choisi ?

Rouage docile de son entreprise, Valérie Andrieu se démène pour rendre ses dossiers à temps, pour respecter les consignes et les modes opératoires. Mais de plus en plus, elle se sent en décalage avec son manager, qui lui préfère un nouveau venu aux dents longues, et avec la voie que prennent les Ressources Humaines. Passées de soutien aux salariés à exécutant des stratégies de la Direction, les RH sont devenues le bras-armé des pires manœuvres managériales.

« Parce que vous comptez pour nous ! »

Rien ne peut être plus faux dans ce slogan affiché sur tous les écrans de veille des ordinateurs de la société Merilec : recrutés puis exploités, les salariés sont recasés voire jetés quand leurs services ne sont plus nécessaires. Tics nerveux, douleurs diffuses, crises de panique, burn-out… les conséquences physiques et psychologiques sont dévastatrices et empiètent largement sur la vie personnelle des personnages. La machine à broyer que sont les grandes entreprises tourne à plein régime, bien aidée par les Ressources Humaines et par l’absence totale de solidarité et de soutien entre salariés, poussés à l’individualisme.

Virtuose dans l’art de retranscrire par écrit la psychologie des personnages et leurs ressorts profonds, Marie-Hélène Moreau nous présente avec brio et lucidité un monde de l’entreprise hyperréaliste et asphyxiant auquel beaucoup sont aujourd’hui soumis.

Marie-Hélène Moreau, Ceux qui comptent, La mouette d Minerve, 262 p. 16€

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