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Requiem pour le cinéma français

Alors que le festival de Cannes s’achève, et avec lui son flot de polémiques « metoo » et de déclarations pseudo-moralistes et farouchement conformistes ; un livre aux allures de pamphlet étrille la « grande famille du cinéma ». Avec « Main basse sur le cinématographe », publié aux éditions « La Mouette de Minerve », le réalisateur Laurent Firode et l’écrivain Bruno Lafourcade tirent à boulets rouges sur un petit monde où entre-soi, « pognon de dingue » et abus en tous genres dominent. Déjà associés pour la série de films « Le Monde d’après », les deux compères renouvellent leur collaboration et dévoilent quelques secrets sur le septième art français.

ÉLÉMENTS : Qui a eu l’idée de ce livre ?

LAURENT FIRODE : Bruno…

BRUNO LAFOURCADE : Elle m’est venue en me rasant. La radio faisait entendre une actrice qui parlait des femmes de chambre ; elle en jouait une, dans un film adapté d’un best-seller. Il y avait là toute la répugnante fausse compassion d’une « égérie » de parfum de luxe pour le petit peuple.

LAURENT FIRODE : Je m’en souviens : j’ai eu droit à un quart d’heure d’engueulade. Je lui ai dit que je n’étais pas responsable de l’imposture de Mlle Binoche. Mais, dans ces cas-là, Bruno n’écoute personne. Il m’a proposé d’écrire un livre montrant la vraie nature de ces stars si compatissantes. Il m’a rappelé qu’il m’avait présenté Michael Cimino, qui était venu à Paris signer ses Conversations en miroir. Il voulait d’ailleurs s’inspirer de ce livre en détruisant un par un tous les clichés que l’on entend à longueur d’interviews…

ÉLÉMENTS : Vous faites la liste de quelques-uns de ces clichés au début du livre. L’un d’eux concerne les « fils-de ». De Léa Seydoux aux Attal-Gainsbourg, on ne compte plus le nombre d’héritiers dans le cinéma français. Nul doute qu’ils doivent leur carrière à leurs propres compétences. Le talent est-il héréditaire ?

LAURENT FIRODE : Bien sûr ! On naît star, on ne le devient pas. Donc, aucun besoin d’apprendre le métier. Ils arrêtent l’école à seize ans, prennent de vagues cours pendant trois mois, et enchaînent les films.

ÉLÉMENTS : Vous brocardez cette caste privilégiée de comédiens vivant dans leur bulle, avec une rafale d’anecdotes invraisemblables. Sont-ils autant assistés et déconnectés du réel ?

LAURENT FIRODE : Plus encore que vous ne l’imaginez.

BRUNO LAFOURCADE : Les anecdotes sont invraisemblables, pourtant tout y est vrai, rien n’est inventé, à part les noms. Il n’existe à ma connaissance aucun milieu où règne une hiérarchie plus féroce, aucun milieu plus réactionnaire, aucun milieu qui pratique aussi ouvertement le népotisme, aucun milieu qui trafique aussi bien les comptes et les budgets, aucun milieu vivant quasi exclusivement d’argent public…

ÉLÉMENTS : Les rumeurs de scandales sexuels ont émaillé le festival de Cannes. Dans votre livre, vous évoquez des cas dramatiques d’abus, d’agressions et d’emprise de certains réalisateurs ou producteurs sur des – parfois très jeunes – acteurs. Ces situations sont-elles systémiques dans le petit monde du cinéma français ?

BRUNO LAFOURCADE : Nous évoquons en effet le « MeToo-Garçons », en remontant aux années quatre-vingt-dix. Pour répondre à votre question, il y a « situations systémiques » lorsqu’il y a un pouvoir sans garde-fou, donc avec une soumission ambiguë, subie mais parfois consentie, parfois même recherchée, et des abus qu’aucune morale ne vient endiguer. Ce n’est pas propre au cinéma, c’est propre à tous les milieux où il n’y a aucun frein au pouvoir.

ÉLÉMENTS : Une sélection et un palmarès ultra politisés, des films idéologiques et des déclarations grotesques d’acteurs et réalisateurs assénant depuis le haut des marches de Cannes leurs messages contre le patriarcat et les discriminations, dans des robes dos-nu aux décolletés plongeant ou des costumes hors de prix. Comment le festival de Cannes, qui était la vitrine de la France, est-il devenu la grand-messe de la bonne conscience et de la bien-pensance ?

BRUNO LAFOURCADE : Plus que le Festival de Cannes, ou les César, le cinéma en général est devenu « la vitrine de la bonne conscience », et plus encore que le cinéma, la « culture », ou disons les « produits culturels » au sens large (les livres, la musique, la publicité, la télévision, etc.). L’art a souvent été utilisé comme moyen de propagande ; aujourd’hui, ce sont les « produit culturels ». La culture est la propagande. Elles se confondent. Une émission de Trapenard, un film de Christophe Honoré, un livre d’Édouard Louis une chanson de Nakamura – tout est propagande.

ÉLÉMENTS : Votre livre se lit d’une traite, il est drôle et captivant… Qu’apprend-on de nouveau grâce à votre livre ?

LAURENT FIRODE : Eh bien que l’on confond producteur et financier.

BRUNO LAFOURCADE : Ou, par exemple, que certains métiers, comme celui de scripte, existent toujours dans le cinéma alors qu’ils ne servent plus à rien depuis le numérique, sinon à gonfler les budgets pour obtenir de l’argent de l’État. On y apprend quantités d’autres faits méconnus…

ÉLÉMENTS : Justement. Passons aux enjeux financiers, qui tiennent une bonne place dans votre livre. Le cinéma semble un des rares secteurs économiques où l’ambition première n’est pas la recherche de chiffre d’affaires. Des films identiques avec les mêmes acteurs et scénarios génèrent un nombre ridicule d’entrées en salles et sont pourtant toujours produits. Comment les producteurs peuvent-ils se satisfaire de créer aussi peu de chiffre d’affaires ?

LAURENT FIRODE : Parce que tout le monde est payé avant que le film soit tourné. C’est ce que le public ignore. Un film n’a pas besoin d’être rentable. S’il l’est, tant mieux ; s’il ne l’est pas, il n’a rien coûté au producteur.

BRUNO LAFOURCADE : Une formule résume tout : le cinéma est un impôt.

ÉLÉMENTS : Pourquoi avez-vous illustré votre propos de citations, d’ailleurs hilarantes, d’actrices et d’acteurs ?

BRUNO LAFOURCADE : Parce qu’elles sont hilarantes.

LAURENT FIRODE : Et parce qu’elles contredisent la réalité.

ÉLÉMENTS : Comment assainir le cinéma français et retrouver un cinéma populaire ?

BRUNO LAFOURCADE : En supprimant toutes les aides publiques.

LAURENT FIRODE : Donc en supprimant le CNC, et tous les organismes dispendieux qui dilapident l’argent des citoyens… Le cinéma a toujours demandé de prendre des risques, notamment financiers. C’est le sens du métier de producteur.

Laurent Firode et Bruno Lafourcade, Main basse sur le cinématographe, La mouette de Minerve, 170 p., 14,90€

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