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Réforme des retraites : le travail c’est la santé

Réforme des retraites : le travail c’est la santé

À force de penser le travail en termes de valeur, on l’a démonétisé, comme une action à la baisse. Avant d’être une valeur, le travail est une nécessité pour des millions de gens. Cela vaut aussi pour les peuples.

Jean-Louis, la soixante et quelque peu dégarni, était décontenancé ce matin. Battre le pavé avait toujours été un plaisir pour lui et, d’autant plus depuis la retraite, où il y trouvait une seconde jeunesse. Pourtant, beaucoup de choses avaient changé ces dernières années et il ne s’y sentait plus vraiment à sa place.

Coincé entre un activiste antispéciste prônant le droit à l’autodétermination de genre des poules, un migrant livreur-esclave qui hurlait pour obtenir des papiers, une femme à barbe en quête d’utérus artificiel remboursé par la Sécu et un jeune en keffieh arborant un drapeau palestinien et appelant au boycott des kiwis israéliens, il s’interrogeait sur le sens de sa présence. Aussi, il se souvint avec émotion des grandes journées de décembre 1995 et tenta de se rappeler l’objet de la manifestation en cours.

Par-delà la tentative de convergence de luttes assez improbables, il s’agissait de s’opposer à une énième réforme des retraites, sujet ô combien central dans un pays vieillissant. Le leitmotiv du gouvernement était clair : travailler plus longtemps pour gagner autant, voire moins, et permettre l’équilibre du système de retraites, sorte de Graal dont personne ne voyait trop l’utilité dans un pays qui avait fait sienne la religion de la dette et des déficits, de l’argent illimité.

Pourquoi travailler ?

Le manque d’intérêt des plus jeunes pour cette réforme, comme pour une grande partie de ce qui se passait autour d’eux, en disait long, non seulement sur leur capacité à se projeter dans l’avenir, mais aussi sur leur rapport au travail.

Il faut reconnaître que, depuis quelques années, rien n’est fait pour valoriser le travail auprès des jeunes. Car oui, à quoi ça sert le travail ? À quoi bon bosser et suer à l’heure où certains font du travail une simple « valeur », où on défend un droit à la paresse ou encore l’instauration d’un revenu universel, sans contrepartie.

Le travail en France, depuis quelques décennies, n’a eu de cesse d’être démonétisé. Les classes privilégiées, représentées par les politiciens, n’ont fait que réduire sa place et valoriser les loisirs, le temps libre et les autres « à côté », par des réformes (39 heures, puis 35 heures) et autres dispositifs (RTT) entraînant la diminution du volume horaire consacré au travail. Certains auteurs, en premier lieu desquels Jean Pierre Le Goff, ont remarquablement analysé la disparation de la place cardinale du travail dans les esprits et ses conséquences pour la société.

Par ailleurs, la nouvelle phase de la mondialisation, initiée dans les années 70/80, en provoquant l’apparition du chômage de masse et en laminant les ouvriers, a relégué en fond de cale les classes populaires, qui tiraient leur légitimité de leur seul travail et qui devinrent inutiles, trop onéreuses dans un monde ouvert. Des millions de travailleurs s’évaporèrent pour laisser place à des allocataires qui coûtent un « pognon de dingue ».

À quand la retraite pour Mélenchon ?

La France compte aujourd’hui 5 à 6 millions de chômeurs, selon le mode de calcul retenu, et près de 4,5 millions de bénéficiaires de minimas sociaux. Pour autant, l’épineuse question du travail n’est plus étudiée par les politiques, notamment à gauche, où on préfère s’épancher sur les congés menstruels.

La droite a certes le chômage et l’assistanat honteux, mais elle opte pour le statu quo, trouvant plus simple de combler des déficits en augmentant la durée de cotisation des travailleurs, plutôt qu’en recréant des activités productives ou en mettant au travail les millions d’inactifs. Comme depuis 1789, elle court après la gauche, gauche qui ne pense plus ; le poulet sans tête peut continuer à tourner en rond.

Le communisme avait du bon à gauche. En effet, en introduisant le matérialisme dans son corpus doctrinal, il lui a permis pour un temps, de bien intégrer la notion clé du travail et de l’importance de la production. Ce temps est révolu. La pensée magique prévaut désormais, on aspire à moins travailler, tout en augmentant les salaires, à produire moins et mieux, tout en consommant plus.

Quiconque prend la peine aujourd’hui d’écouter le discours du parti-secte dominant à gauche constatera que le travail y est décrit comme un lieu de souffrance et de larmes, et la retraite comme une sorte de Nirvana qu’il faudrait atteindre au plus tôt. Personne n’y voit un bien collectif pour le pays, ou encore un lieu d’épanouissement permettant aux individus de trouver une place, un statut et une utilité pour la société.

Les travailleurs n’étant pas légion parmi les disciples du gourou insoumis, il n’est toutefois pas étonnant qu’ils soient incapables de parler sérieusement du sujet. Un Népalais pourrait-il vanter les bienfaits des embruns ?

D’autres travaillent à notre place

Le monde politique et certaines classes sociales favorisées oublient que loin d’être une « valeur », le travail est une nécessité, tant pour les individus, que pour notre pays. Il reste la condition même de notre existence, un effort sans lequel rien n’est possible.

Disons-le, les Français n’ont jamais aussi peu travaillé et pourtant jamais ils n’ont, dans leur ensemble, autant consommé et joui d’une grande qualité de vie : électronique, voitures, voyages… Prenons un Français « moyen », un salarié aux 35 heures, gratifié de cinq semaines de congés payés par an, travaillant sans discontinuer de 18 ans à 60 ans et vivant 80 ans. Au bout du compte, il aura travaillé moins de 10 % de sa vie.

Cette contradiction apparente a été rendue possible par une prodigieuse amélioration de la productivité ces cinquante dernières années, par la concentration d’activités à haute valeur ajoutée en France, mais aussi, et de façon croissante, par le travail des autres pays, particulièrement ceux en développement.  

L’effritement du modèle dans lequel nous évoluons est lié à cette dépendance grandissante et au déclin, voire à la disparition, de nombreuses activités primaires et secondaires, délocalisées à l’étranger. Le déficit abyssal de notre balance commerciale est un des symptômes de ce déclassement.

La crise liée au COVID-19 nous a cruellement rappelé notre vulnérabilité, la faiblesse de notre tissu productif et le caractère précaire d’activités de rente que nous pensions inépuisables (BTP et tourisme). Il semblerait pourtant que nos dirigeants l’aient déjà oublié et qu’ils se contentent de communiquer sur une réindustrialisation à laquelle ils n’alloueront aucun moyen et qui demeurera un vœu pieux.

Localisme et réindustrialisation

Il n’y a que deux voies possibles pour vivre et nous procurer les biens nécessaires à notre quotidien : travailler pour les produire nous-mêmes, en France, en les payant plus cher, mais en créant des emplois ; ou bien continuer à acheter le produit du travail des étrangers, à un prix croissant et dans une dépendance mortifère.

Il serait dans l’intérêt de tous que la France se remette au travail et produise localement… De tous ou presque, car n’oublions pas que derrière le chimérique « 1 % » brandi par certains pour mieux se déculpabiliser et cacher qu’ils sont du côté des gagnants, un bon quart du pays, concentré dans les métropoles et œuvrant dans le secteur tertiaire, vit très bien de la situation actuelle, continue à s’enrichir et ne risque pas de sombrer.

Face à cette France qui se porte bien, on observe des catégories moyennes et populaires éclatées, en voie de paupérisation rapide, qui tentent de s’accrocher coûte que coûte au modèle dominant, notamment en ayant recours au low cost et à la débrouille. MM. Cassely et Fourquet ont très bien dépeint ce phénomène dans leur dernier ouvrage.

De fait, suivre le modèle de la classe dominante, qui vit essentiellement du travail des autres et s’est fixé pour nouvel idéal le bien-vivre, entendu sous l’angle de la consommation et du seul loisir, est de plus en plus difficile.

Cette mentalité hédoniste, répandue par une classe sociale qui détient le monopole des représentations, a malheureusement ruisselé de la tête vers les jambes et les bras, alors même qu’elle va contre l’intérêt à moyen et long terme de la majorité.

C’est pourquoi, avant de penser à la retraite, à demain, il apparaît urgent d’opérer une véritable revalorisation de l’idée même du travail et de prôner le localisme, la productivité et la réindustrialisation. Qui en aura seulement l’ambition au sein de la classe politique ? Nous vivons une époque paradoxale. Jamais le travail n’a été aussi démonétisé, et pourtant, ce qu’il offre, l’argent, aussi dominant, essentiel.

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