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Quoi de nouveau ? La Tradition !

Quoi de nouveau ? La Tradition !

Fin connaisseur de l'œuvre de Julius Evola, collaborateur de la revue Éléments et patron d'émission sur Radio Courtoisie, Arnaud Guyot-Jeannin propose, aux éditions de la Nouvelle Librairie, un efficace et roboratif « vade-mecum » de la « Tradition » comme possible réponse aux impasses de la modernité. À l'occasion de cette parution, Nicolas Gauthier l'a passé à la question.

ÉLÉMENTS. Comme nombre d’auteurs ayant écrit sur la tradition, vous rappelez que la fin de l’ordre tripartite (soldats, clercs et paysans), a donné lieu, avec l’arrivée en force du monde marchand, à ce que l’on appelle la modernité. Un tel phénomène était-il évitable ?

ARNAUD GUYOT-JEANNIN : Après tout phénomène historique, il est toujours tentant de dire qu’il était inévitable. Ce qui est sûr, c’est que l’ordre tripartite qui existait au Moyen-Âge a été bouleversé à partir de Philippe Le Bel. En effet, les rois ont favorisé le dessein des bourgeois au détriment des féodaux, lesquels garantissaient pourtant leur pérennité, d’autant plus assurée que les premiers tiraient leur légitimité du pouvoir des mains de Dieu. Bien sûr, les conflits, pour autant, existaient, entre les personnes composant les trois fonctions que vous mentionnez. Mais, le Moyen-Âge européen, à l’instar des sociétés traditionnelles en général, s’inscrivait dans un perspectivisme anagogique. Un ordre spirituel, politique et institutionnel, social et humain qui régentait la société catholique traditionnelle. C’est donc le processus centralisateur entamé par la monarchie absolutiste qui a préparé le lit du jacobinisme totalitaire issu de la Révolution Française, mais dans ce dernier cas avec une intensité décuplée. Je pense à la Terreur antichrétienne d’essence satanique. Pas étonnant dès lors que la laïcisation et la sécularisation du christianisme qui se sont effectuées, à partir de la Renaissance, engendra la modernité déconstructrice opposée au monde de la Tradition architectonique.

ÉLÉMENTS. Certes, mais à vous lire, grande est l’impression que nous arrivons à la fin d’un cycle, comme si la modernité, puis la post-modernité et enfin l’hyper-modernité, était devenue une créature contenant en elle les germes de sa propre perte. Dès lors, que faire ? Attendre que cela passe ? Ou continuer d’espérer, même si votre discours paraît rencontrer peu d’écho dans le monde politique…

ARNAUD GUYOT-JEANNIN : À l’instar du capitalisme qui en est un des fondements paradigmatiques, la modernité tardive se caractérise par son échappée dans le « toujours plus » : toujours plus d’hommes, de production, de consommation, de financiarisation. Cette démesure engendre des désastres démographiques, migratoires, sociaux et environnementaux désignant la fin d’un modèle global. Cette fuite dans l’illimitation bute sur les limites dont l’homme doit tenir compte afin de perpétuer le cycle de la vie. Toute société basée sur l’hubris ne peut survivre à elle-mêmeQue faire ? Agir partout où cela est possible (famille, métier, mouvement politique et associatif, activité sportive initiatives paroissiales etc.) en défendant les valeurs chrétiennes, l’identité des peuples, la justice sociale et l’écologie intégrale. Faire prévaloir qu’une autre vie est possible! Et surtout, offrir l’exemple personnel de la droiture, de la bravoure, du sens de l’honneur, de la fidélité, de la solidarité, de l’acte gratuit… Mais de toute façon, quoiqu’il arrive, sachons que « si nous ne changeons pas le monde, le monde ne nous changera pas » comme l’affirmait l’ami Jean Mabire. Il existe des point fixes sur lesquels il n’est pas possible de transiger, si l’on désire préserver son intégrité morale – malgré nos péchés- et en servant la communauté du peuple ou ce qu’il en reste… Rien n’est jamais figé immuablement. 

ÉLÉMENTS. Cela paraît d’autant plus vrai, à la lecture de votre livre, que votre vision de la tradition ne participe pas du pessimisme ambiant, et encore moins de cet enfermement identitaire prôné par d’autres cercles “traditionalistes”, inspirés pour certains par un catholicisme idéalisé ou une Europe rêvée pour d’autres. Plus que jamais, la tradition doit-elle être une statue qui marche de l’avant ? Et si oui, comment peut-elle s’adapter à la nouvelle donne mondiale ? En un mot comme en cent, on a souvent l’impression que cette même « tradition » est aujourd’hui plus ancrée dans les pays « anti-occidentaux » qu’en cet Occident qui en est pourtant l’un des indéniables berceaux ?

ARNAUD GUYOT-JEANNIN : La Tradition n’équivaut pas à la conservation d’un musée. Elle peut s’identifier à un « enracinement dynamique » pour reprendre l’expression de Michel Maffesoli. Intemporelle, elle renvoie aux vérités permanentes de l’humanité qui rendent compte d’un passé toujours présent et vivant, en se réappropriant le meilleur de ce même passé. Pour répondre directement à votre question, l’hypermodernité occidentale est aujourd’hui une ultra-modernité-monde. Peu de pays échappent à son emprise technico-marchande. Bien sûr, les BRICS, c’est-à-dire la Russie, l’Inde, la Chine, le Brésil et l’Afrique du Sud, demain peut-être l’Iran et d’autres pays tenteront d’échapper à l’alignement sur les États-Unis et l’OTAN. C’est indéniablement positif pour le réaménagement d’un monde multipolaire. Enfin, il se passe quelque chose ! Quelques pays annoncent l’émergence de nouvelles régulations de la mondialisation ! Mais, pour l’instant, la postmodernisation, globalisation et américanisation forment l’Occidentosphère auquel il paraît très difficile pour les peuples de se dérober. Les États-civilisations prennent corps, aussi… Ce qui n’est pas mauvais signe…

Il ne faut pas oublier que le terme BRIC a été forgé, dès 2001, par un économiste de Goldman Sachs. Mais, il est tout aussi vrai que les pays précités ne sont pas pour autant figés. Ils peuvent faire bouger quelques peu les lignes de la géopolitique mondiale. Idem pour les partis populistes en Europe, mais qui hormis la France de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour, défendent, pas toujours d’ailleurs bien, les valeurs traditionnelles en rupture avec le Système dominant ? Nous voyons qu’une révolution spirituelle, politique et sociale est seule susceptible de renverser radicalement la vapeur. Les peuples peuvent en être les artisans. Nous vivons une époque de transition. Le meilleur comme le pire peuvent en surgir. Pour l’instant, il faut bien dire que c’est le pire qui domine. Pour ma part, m’inscrivant dans une perspective eschatologique chrétienne, je crois que nous vivons la fin des temps qui peut durer longtemps d’ailleurs. Mais, en tout état de cause, elle correspond à ce qui est annoncé dans l’Apocalypse (Révélation, Dévoilement) de Jean qui anticipe la Parousie (le retour du Christ parmi nous). Le Système technico-marchand se caractérise par la démesure (production, consommation, catastrophes écologiques, prédation capitaliste et misère sociale etc). Or, aucun Système n’a survécu à sa propre démesure. Le règne du Toujours plus ne peut qu’aboutir au règne du Toujours moins. Au pouvoir infernal succèdera alors l’empire auroral. La partie finale est donc gagnée. Mais, combien de temps, de souffrances, de sang, de peines, bref d’Enfer sur Terre, va-t-il falloir attendre pour que cela cesse ? Dieu et les hommes sont là pour le dire. Mais, nul ne sait ni le jour, ni l’heure (Matthieu 24 : 36). Combattons chacun à notre niveau pour un renouveau traditionnel.

ÉLÉMENTS. Dans le même registre, il est intéressant de voir que pour vous, la Tradition peut aussi être synonyme de renouveau. À ce titre, vous citez Gustave Thibon : « La Tradition n’exclut pas la liberté créatrice : elle le nourrit de toute l’expérience du passé et de l’éternel et elle l’oriente dans le sens d’un perfectionnement. Depuis quand l’étoile polaire entrave-t-elle la marche du voyageur ? »

ARNAUD GUYOT-JEANNIN : Oui, mais à condition d’éviter le piège consistant à reprendre des expressions hybrides qui ne veulent pas dire grand-chose comme « l’archéo-futurisme » ou « le traditionalisme post-moderne ». Il ne peut pas y avoir de compromis entre la Tradition et la Modernité. Elles répondent chacune à des idéaux-types opposées. Ce que j’ai tenté d’expliquer précédemment. Il y a toujours eu ce vieux réflexe constructiviste et inopérant qu’une réconciliation ontologique était possible entre elles. Je me rappelle un article de Pierre Vial dans Éléments à la fin des années 80 qui affirmait que « Le japon était aux antipodes du libéralisme ». Déjà à l’époque, je ne souscrivais pas du tout à cette affirmation. Le capitalisme et les techniques modernes l’emportaient déjà sur les éléments traditionnels japonais. La vie traditionnelle était incluse dans l’entreprise à l’intérieur de laquelle la compétition marchande et la maximisation des profits étaient la loi : la loi du marché. On ne peut chevaucher la finance ! Par définition, la Tradition ne peut pas l’emporter sur la Modernité dans une société moderne trop hégémonique et englobante pour satisfaire à cette naïveté ou ce fantasme ». Mais une autre menace existe : celle de certains antimodernes qui rejettent complètement le temps présent. Ils considèrent l’espace-temps comme un moment superficiel pour toutes pensées et actions traditionnelles. Ce sont des contemplatifs hors-sols. Des évasionnistes mystiques qui se cachent bien souvent derrière un individualisme dissimulé sous les oripeaux de la Tradition. Heidegger a bien montré que l’Être contient pourtant, par définition, tous les Étants. Or, l’antimoderne peut inscrire son destin dans la modernité présente et le temps long de celle-ci en les passant au crible d’une critique traditionaliste positive et ainsi ouvrir des brèches, introduire des grains de sable pour enrayer la Mégamachine etc Vous connaissez la formule évangélique : « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, tout le reste vous sera donné par surcroît. » (Mt 6, 33) ». Vaste programme !

Propos recueillis par Nicolas Gauthier

Une réponse

  1. Il semblerait, à la lecture de cet entretien, que la Tradition dont se réclame AGJ, soit d’abord et avant tout la tradition chrétienne.
    La mention de « nos péchés », de « la fin des temps qui peut durer longtemps » et de « l’enfer sur terre », montre qu’AGJ est bien dans la ligne de la pensée chrétienne (un bémol pour l’enfer qui n’est pas sur terre) puisqu’il semble poser que c’est une perspective eschatologique inéluctable. Nous sommes là dans une démarche de foi, respectable certes, mais qui est loin d’englober le monde de la Tradition. D’ailleurs l’auteur ne relève pas la mention des traditions hors occident. Je crois me souvenir d’un entretien où AGJ se montrait sceptique envers la notion de Tradition primordiale.
    Il faut bien évidemment lire le livre pour essayer de clarifier un propos qui, dans l’entretien, relève davantage d’une juste critique de la modernité au regard d’une perspective en grande partie chrétienne que d’une analyse de la notion de Tradition. Il est vrai qu’il a dans ce domaine de glorieux prédécesseurs.

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