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Javier Milei

Présidentielle en Argentine : Javier Milei, le triomphe d’un libertarien

Javier Milei est un OVNI. Libertarien forcené, anti-système furieux, agitateur d’exception, souvent comparé à Donald Trump et Jair Bolsonaro, il a forcé les portes d’un pouvoir argentin à l’agonie dans un pays menacé par l’hyperinflation et la grande misère.

Devant une foule immense, réunie à Córdoba, la grande métropole du centre de l’Argentine, le candidat libertarien Javier Milei a conclu sa dernière intervention publique avant le second tour des présidentielles par ces mots : « Pourquoi devriez-vous avoir peur du changement ? Nous sommes déjà en enfer. »

Le dimanche 19 novembre, les électeurs se sont rendus massivement dans les isoloirs pour témoigner qu’ils ne craignaient pas le changement promis par Milei en lui accordant 56 % de leurs voix contre 44 % à son adversaire le péroniste Sergio Massa. Une défaite dans les urnes sans précédent pour le populisme argentin depuis l’arrivée au pouvoir de son fondateur, le général Juan Perón, lors des élections de 1946.

D’économiste de plateau télé à bête noire de la gauche

Issu d’une famille modeste des faubourgs de Buenos Aires, joueur de foot à ses heures et musicien rock dans un groupe de copains, Javier Milei a fait des études d’économie et une fois diplômé a longtemps travaillé pour un puissant conglomérat financier argentin. Personnalité originale et clivante, il a commencé à se faire connaître par ses prises de position anarcho-capitalistes en opposition frontale avec l’idéologie dominante des médias et du gouvernement de gauche.

Au fil des années, Javier Milei est devenu incontournable dans les débats télévisés. Bon client, il contribuait à accroître de manière significative les audiences et n’hésitait pas à affronter seul des figures du progressisme dans des empoignades verbales qui dégénéraient parfois dans des échanges d’insultes.

En traditionnel libertarien, Milei pourfendait la politique économique du pouvoir péroniste et défendait la primauté du marché et des choix individuels dans des domaines aussi divers que la prostitution, l’immigration, la consommation de drogues, l’adoption ou le libre commerce des organes tout en niant à l’État toute légitimité pour intervenir.

Des idées à rebrousse-poil de la doxa dominante, une présence télévisuelle impressionnante, une agressivité verbale capable de démonter l’argumentaire de tout opposant, son refus de se conformer aux grands consensus comme la vaccination et le confinement durant le COVID ou encore de reconnaître une prééminence morale aux « 30 000 disparus » de la dictature militaire, ont fait de lui la bête noire de la gauche argentine, mais l’ont conduit également à devenir la personnalité hétérodoxe la plus connue du pays.

Dans une démarche qui évoque celle d’Éric Zemmour en France, Javier Milei a incarné une des voix les plus critiques du gouvernement péroniste. À partir de 2020, des figures du progressisme ont dénoncé l’impact inédit du libertarien dans la jeunesse et ont exigé la réduction de son exposition médiatique. Se sentant menacé par cet appel à la censure, Milei décide de franchir le pas et d’entrer à son tour dans l’arène politique.

Le grand saut dans la politique

En 2021, le libertarien réunit autour de lui un petit groupe de marginaux de la vie publique comme l’avocate Victoria Villarruel, qui s’est consacrée à la défense des victimes du terrorisme, une tâche ingrate dans un pays où ces « terroristes » sont désormais intégrés au gouvernement depuis la victoire de Nestor Kirchner en 2003.

Centrant sa campagne sur une critique acerbe du personnel politique et du pouvoir péroniste en général, il décroche 14 % aux élections primaires de la ville de Buenos Aires ; puis en novembre 2021, il atteint 17 % des suffrages et entre au parlement avec Victoria Villarruel.

Pour mettre en pratique ses idées contre la « caste politique », Javier Milei décide de mettre en jeu chaque mois le montant de son indemnité parlementaire par tirage au sort, afin que « cet argent, qui a été volé au peuple, lui soit rendu ». Plus d’un million de personnes s’inscrivent pour en bénéficier. L’impact dans l’opinion fut considérable et le jeune député a déclaré que c’était l’investissement publicitaire le plus rentable qu’il avait fait à ce jour.

Une occupation incessante de l’espace médiatique, une stratégie intelligente pour toucher la jeunesse grâce à l’organisation d’événements comme des classes et cours d’économie dans des parcs publics, retransmises en direct sur les réseaux sociaux, l’ont propulsé au premier rang des hommes politiques en mesure de relever les immenses défis auxquels l’Argentine est confrontée.

En avril 2022, Milei annonce son intention de participer aux élections présidentielles. En mai 2023, il déclare que Victoria Villarruel deviendra sa colistière. En août, il profite d’Instagram pour exposer les bases de son programme : réduction brutale des dépenses budgétaires, licenciement des fonctionnaires recrutés par favoritisme partisan, fermeture de la Banque centrale et financement des travaux publics par des capitaux privés sur l’exemple chilien. Quant aux relations étrangères, le libertarien ne fait pas dans la nuance : alignement total sur les États-Unis et Israël ; et rupture politique avec les pays « marxistes » comme le Brésil, la Chine, le Venezuela, Cuba ou le Nicaragua.

Pour contrer la victoire annoncée de Javier Milei, le pouvoir péroniste a fait une campagne de l’entre-deux tours centrée sur la peur moyennant un affichage public « trash » à partir d’anciennes déclarations de Milei en faveur de la vente libre d’organes et d’armes à feu. Un échec sur toute la ligne.

La dégringolada sans fin de l’Argentine

Aux élections primaires d’août 2023, Milei recueille presque 30 % des voix et se place en tête, dépassant le péroniste Sergio Massa et les deux candidats libéraux. Ce résultat est un véritable choc, tant pour les Argentins que pour l’opinion mondiale. Pour la première fois, un ultra-libéral prend l’ascendant en Amérique du Sud et révèle un profond glissement à droite de l’électorat. Son entretien avec le journaliste américain Tucker Carlson diffusé en direct sur Twitter est vu par 420 millions de personnes ce qui bat un record tant pour cette plateforme que pour Internet en général.

Au premier tour des élections, le péroniste Sergio Masse se redresse grâce à une campagne très professionnelle pointant les conséquences sur les plus modestes des politiques budgétaires proposées par le libertarien qui arrive en tête de la droite, mais derrière son opposant de gauche.

Le second tour verra le ralliement de la droite libérale autour de la candidature de Javier Milei, mais aussi le déclenchement par les péronistes d’une campagne de la peur, mise en scène notamment par des spécialistes venus du Brésil, qui vont tirer profit d’anciennes déclarations de Milei pour créer des visuels très impactants, par exemple sur la vente libre des armes ou celle des organes.

Rien n’y fait. Les Argentins se rendent en masse dans les bureaux de vote et manifestent avant tout leur refus d’un gouvernement et, plus largement, d’un modèle politique où la gauche du péronisme, main dans la main avec ses relais associatifs, codirige le pays avec les syndicats tout en se gavant de fonds publics. La victoire de Javier Milei est écrasante, remportant l’ensemble des provinces sauf trois. Son opposant n’attendra pas la proclamation officielle des résultats pour s’avouer vaincu.

Les prochains jours seront décisifs pour la survie de l’Argentine. Or, Javier Milei ne prend ses fonctions que le 10 décembre 2023. Aux portes du pouvoir, le président élu va affronter un héritage économique gravissime. Un déficit public qui dépasse les 5 % du Produit intérieur brut (PIB), une dette de plus de 400 milliards d’euros, une inflation à 140 % en route vers les 300 %, et avec un risque non négligeable d’hyperinflation, pas un centime dans les caisses de la Banque centrale pour payer les 55 milliards d’euros que doivent les importateurs à leurs fournisseurs étrangers, un taux de pauvreté de 40 % avec des salaires réels qui tournent autour de 400 euros par mois et un minimum retraite à 100 euros…

Ces chiffres paraissent très abstraits, mais font de la vie quotidienne des Argentins un enfer. Voilà pourquoi ils préfèrent un saut dans l’inconnu plutôt que de reconduire au pouvoir un gouvernement responsable de leur malheur.

© Photo : Facundo Florit / Shuterstock – Le 13 août 2023, vote du politicien argentin d’extrême droite Javier Milei lors des élections de l’AOPA.

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