ÉLÉMENTS : Pourquoi un manifeste ? Les manifestes ont longtemps été le propre des avant-gardes artistiques de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Serait-ce parce que l’Institut Iliade se conçoit comme une avant-garde : l’avant-garde de la renaissance européenne ?
ROMAIN PETITJEAN. Ce manifeste a pour ambition de faire de nous une avant-garde. À l’heure où tout s’effondre, où l’on nous somme d’être remplacés, d’oublier notre passé, de devenir des consommateurs indifférenciés, nous voulons affirmer la possibilité d’un renouveau civilisationnel pour l’Europe. Pour cela, l’Institut Iliade appelle à une réappropriation par les Européens de leur identité. Entendue ainsi, la « révolution » ne consiste pas à faire table rase, c’est au contraire un mouvement de retour à l’origine, pour y puiser des forces nouvelles, pour réaffirmer la nécessité de construire l’avenir sur la base de valeurs intangibles.
S’agissant du parallèle avec les avant-gardes artistiques, il est pertinent dans la mesure où l’Institut Iliade attache une importance particulière non pas seulement aux idées, mais à l’idée même du beau. C’est ce que nous disaient déjà les Grecs : ce qui est bon est toujours beau. En ce sens, si le monde moderne nous contraint à nous insurger contre lui, c’est qu’il n’a su produire que de la laideur : un urbanisme de masse, la bétonisation omniprésente, et un art qui ne sait plus rien figurer. Les stagiaires de la récente promotion Dante, qui suivent en ce moment nos formations, ont trouvé un mot juste pour se définir : « Combattre la société du Même, tenir à distance le laid, et protéger notre enclos civilisationnel ».
ÉLÉMENTS : Comme pour la revue Éléments, le théâtre des opérations de l’Institut Iliade se déploie au niveau européen. Qu’est-ce qui fonde la singularité de l’Europe, son « exceptionnalisme », pour reprendre le terme du Manifeste de l’Institut Iliade ? Quelles en sont les permanences derrière les contingences ?
ROMAIN PETITJEAN. C’est évidemment une « vue du monde » propre. L’essayiste René Marchand disait que les civilisations sont des planètes différentes. Ces différences se perçoivent dans quantité de traits : la place de la femme, le rapport au sacré, le goût pour l’exploration et la conquête, mais aussi l’art du doute, etc. Je crois qu’une très grande spécificité européenne a toujours été la capacité à articuler harmonieusement des principes contradictoires : l’ouverture au monde et la défense du foyer, les dimensions matérielles et spirituelles de l’existence, la pensée abstraite et la sensibilité. Quantité d’autres civilisations ont vu dans ces principes contradictoires des antagonismes. Autre spécificité de la civilisation européenne, la hiérarchie de valeurs propre à tous les peuples de notre continent : d’abord les valeurs spirituelles et guerrières, ensuite seulement les valeurs économiques. D’autres civilisations ont placé beaucoup plus haut les valeurs purement économiques.
ÉLÉMENTS : Chaque manifeste est une « adresse » qui a vocation à investir l’espace public et le champ politique. L’Institut Iliade se préparerait-il à se lancer en politique ?
ROMAIN PETITJEAN. Nous faisons de la politique. Simplement, cette dernière ne se réduit pas au champ électoral – qui n’est pas le lieu qui correspond à notre vocation. Nous avons de très nombreuses activités de formation, par les séminaires destinés aux jeunes générations et par notre production éditoriale. Ce faisant, nous préparons une génération à agir sur tous les terrains, y compris le combat électoral, mais ce n’est là qu’un débouché parmi d’autres. Il y a dans nos rangs certains élus, mais c’est une minorité. Si nos thèmes peuvent peser dans les programmes, ou si notre vocabulaire peut être repris, nous en sommes évidemment ravis. Nous avons vocation à faire bouger les lignes sur tous les sujets. Tel est d’ailleurs le but du Manifeste, publié à quelques mois de l’élection présidentielle : proposer une doctrine claire, cohérente, alternative et totale à ceux qui entendent défendre la France et la civilisation européenne. Les personnes qui nous suivent semblent l’avoir compris, puisque l’on note beaucoup d’achats groupés de lecteurs qui souhaitent diffuser ce texte autour d’eux.
ÉLÉMENTS : On sait combien Dominique Venner, une des figures tutélaires de l’Institut Iliade (c’est du reste à lui qu’est dédié le Manifeste), récusait toute forme de fatalisme et de déclinisme programmé à la Spengler. Est-ce la raison pour laquelle l’Institut nous met en garde contre deux tentations commodes – celle de la collapsologie et celle d’un conservatisme vitrifié – qui traversent l’époque et nos milieux ? Faut-il dépoussiérer pour revivifier ?
ROMAIN PETITJEAN. Certains voudraient proclamer la fin de l’histoire, et évacuer totalement la question de la destinée des peuples. Dominique Venner croyait à l’imprévu dans l’histoire, et a démontré que c’en était un des moteurs. Il croyait aussi à la détermination des hommes forts. Nous nous inscrivons dans cette ligne. Le passé est pour nous une ressource, une source d’inspiration, mais en aucun cas quelque chose d’incapacitant. Il y a un autre futur possible, pour peu que nous nous donnions la peine de le faire advenir. La collapsologie comme un certain conservatisme peuvent être impolitiques : si le temps n’est qu’un inexorable déclin, à quoi bon vouloir persister dans notre être ? Nous devons conserver une fidélité absolue à notre identité, mais cela n’implique pas de rester figés. Une identité figée devient sa propre caricature, elle ne consiste qu’à ânonner des slogans sans les comprendre, à perpétuer des rites dont le sens a été perdu. Nous voulons au contraire renouer avec l’esprit qui a guidé nos ancêtres, celui qui a donné naissance à nos traditions et à nos grandes épopées. On peut parler jour et nuit du courage, mais cela n’a de sens que si c’est incarné dans une éthique quotidienne, dans des faits matériels. La même chose vaut pour tous les principes. C’est l’action volontariste, consciente d’elle-même, qui peut ménager la possibilité d’un sursaut.
ÉLÉMENTS : À l’époque du tout-écran, vous avez lancé une campagne d’affichage public de l’Institut et de son Manifeste, ce dont nous nous réjouissons. Nous ne sommes pas des créatures totalement dématérialisées. Que de révolutions ont commencé avec des « placards » : les 95 thèses de Luther, les mazarinades, les dazibaos maoïstes ! Qu’avez-vous voulu faire en lançant cette campagne d’affichage ?
ROMAIN PETITJEAN. Cette affiche est un moyen nouveau pour interpeller nos concitoyens, tenter de les sortir de leur léthargie. Des stagiaires et des auditeurs ont organisé des sessions de collage dans les quartiers universitaires de Paris, Lille et Rouen ; d’autres campagnes d’affichage sont au programme. Ce mode d’action peut surprendre, mais tous les moyens sont bons pour diffuser notre message et rallier à nous les jeunes générations.
ÉLÉMENTS : Une fois le Manifeste rédigé, il faut écrire la feuille de route de l’Institut. Quelle en seront les grandes étapes dans les prochains mois ?
ROMAIN PETITJEAN. Le rendez-vous majeur de l’année sera notre colloque du 2 avril 2022, qui réunira plus d’un millier de personnes. La très forte dynamique éditoriale va se poursuivre avec la publication de livres importants sur l’Islam, la famille, ainsi que de nombreux livres jeunesse. L’enjeu principal pour l’Institut Iliade, au-delà de la consolidation des grands piliers qui le fondent, sera de fédérer au mieux les nombreuses personnes qui passent dans nos rangs en s’assurant que leur engagement soit total. Nous avons d’ailleurs mis sur pied un nouvel outil pour nous aider à cela : un incubateur de projets, Le Nid, qui vise à accompagner les entreprises en gestation, les associations culturelles en train de se structurer, etc. ; autant d’initiatives qui permettent de faire concrètement vivre nos idées de façon pérenne. Enfin, nous avons décidé de créer un pôle « Études et recherches » qui nous permettra d’engager un travail de fond sur les idées et les mots qui orienteront les débats de demain.